«Je m’en fiche complètement.» Cette phrase lapidaire résume l’état d’esprit de Julien, un graphiste de 32 ans basé à Paris. Peut-être traduit-elle également le ressenti de la grande majorité des Français au sujet des régionales et des départementales. Les élections se dérouleront les dimanches 20 et 27 juin prochain. «Cela ne changera rien à ma vie», tonne Claire au micro de Sputnik. La jeune femme de 27 ans, qui travaille dans le secteur de la communication en région parisienne, n’ira donc pas voter. Serge, 36 ans et commercial en Île-France, a appris que les élections se tenaient ce week-end grâce à un débat télévisé diffusé le… 14 juin. Cette découverte tardive ne semble pas l’inciter à revoir ses projets de week-ends pour se ruer vers l’isoloir!
Et ils devraient être nombreux dans ce cas! Selon Frédéric Dabi, directeur général de l’Ifop, l’abstention «s'annonce tout à fait massive». Ainsi, «dans les projections Ifop-Fiducial, on est environ à 60% d'abstention. Ce serait un record absolu pour une élection régionale», a-t-il indiqué à France info. L’éventualité n’a rien de sidérant. Depuis 1986, la proportion d’abstentionnistes n’a eu de cesse d’augmenter, passant de 23% il y plus de trente ans, à un peu plus de 50% depuis 2010.
Des problématiques nationales plutôt que régionales
Le politologue Frédéric Saint Clair explique ce nouveau record par «l’effet psychologique qu’a le Covid-19 auprès d’un segment assez faible de la population», qui pourrait aggraver le taux d’abstention cette année. Aussi rappelle-t-il que, «historiquement, ce type d’élection mobilise très peu». Le fruit d’une méconnaissance des compétences des régions, souligne le politologue. En 2015, le taux d’abstention s’établissait à 50%.
Néanmoins, ce que les Français comprennent de plus en plus, «c’est que les problématiques auxquelles le pays fait face, sont des problématiques nationales: insécurité, immigration, ou encore l’islamisation du pays, ce sont elles qui perturbent le fonctionnement habituel autour des valeurs républicaines», analyse l’auteur de La Refondation de la droite (éd. Salvator).
«Les Français savent très bien que, au niveau local, on n’a pas de puissance. [ …] Donc à quoi bon se mobiliser pour des échelons intermédiaires qui ne vont pas régler les questions qui nous sont absolument essentielles?» décrypte Frédéric Saint Clair.
D’autant plus que ces problématiques continuent de perdurer. «On vit aujourd’hui une période d’impuissance du politique qui n’arrive plus à protéger la société, ni contre les dérives de la mondialisation en matière économique, ni contre les dérives de la mondialisation en matière sécuritaire», précise Frédéric Saint Clair. La conséquence d’un système libéral qui serait selon lui «trop mou et trop faible».
«On est face à une déliquescence de la puissance publique et cela justifie en partie l’abstention», constate Frédéric Saint Clair.
Par ailleurs, il désigne un autre élément préoccupant: «Il existe actuellement une fracture démocratique.»
Une crise de la représentativité
«Il y a, de la part du peuple, une méfiance voire une défiance croissante vis-à-vis des élites. La population estime que les élites les représentent de moins en moins bien», avance Frédéric Saint Clair. Selon un baromètre Cevipof, entre 2009 et 2019, 85% des personnes interrogées considéraient que les «responsables politiques ne se préoccupent pas d'elles». Pis, 74% estimaient que le «personnel politique est plutôt corrompu». Or un autre baromètre de l’institut, publié en mai dernier, indiquait que les maires continuent de jouir d’une très bonne cote de confiance auprès des Français (64%), devançant de loin les députés (42%) ou le Président de la République (36%). Des résultats en partie liés à la proximité qu’entretiennent ces édiles avec leurs concitoyens.
«Une crise de la représentativité qui la France. Surtout les couches populaires! Par ailleurs, il y a un épuisement démocratique. Dans le monde occidental, la démocratie est un peu à bout de souffle parce que les ressorts sur lesquels elle s’appuie sont fatigués et parce qu’elle n’apporte pas suffisamment de changement au peuple», diagnostique Frédéric Saint Clair.
Pourtant, le politologue regrette qu’une partie des Français «ne voient pas suffisamment le caractère historique de ces régionales». «Oui mais ce n’est pas attractif», ironise Julien, notre graphiste parisien. «On a un clivage inédit entre libéraux et nationaux à un an de l’élection présidentielle. À la fois pour les régionales et la course à l’Élysée, les chiffres nous annoncent que l’on pourrait assister à une modification inédite de notre classe politique», appuie cependant Frédéric Saint Clair.
Dans plusieurs régions en effet, les candidats Rassemblement national sont en tête des intentions de vote au premier tour. C’est le cas notamment en PACA avec Thierry Mariani, crédité de 41% d’intentions de vote, ou encore avec la liste menée par Julien Odoul en Bourgogne-Franche-Comté, qui pourrait réunir 30% des voix.
«Que l’on soit pour ou contre le RN, pour ou contre Macron, en faveur de LR ou du PS, nous sommes à une période charnière de notre histoire. Donc les Français qui ne se déplacent pas portent une responsabilité ou, en tout cas, témoignent d’une forme d’aveuglement politique que je crois être coupable», conclut Frédéric Saint Clair.