La main-d’œuvre africaine pour compenser le vieillissement européen? Une «idéologie mondialiste»

Selon une nouvelle étude alarmiste, les Européens n’auraient qu’une solution pour faire face au manque de main-d’œuvre qui se profile à l’horizon 2050: l’immigration africaine. C’est oublier la donnée essentielle qu’est la natalité, explique Jean-Paul Gourévitch, spécialiste de l’Afrique et des migrations. Analyse.
Sputnik

«Bruxelles et Londres devront prendre conscience de la véritable crise migratoire: il n’y a pas assez de migrants», considère le Center for Global Development (CGD) dans une étude publiée le 14 juin. Si les Européens maintiennent tels quels les flux migratoires, les conséquences seront dévastatrices, à en croire le think tank américain: tensions budgétaires, ralentissement de la croissance économique et remise en cause du modèle social… D’ici à 2050, le nombre de travailleurs actifs en Europe aura ainsi reculé de 95 millions de personnes par rapport à 2015, selon l’institut qui martèle que la migration africaine est «la seule réponse qui peut combler le fossé». Faux, rétorque au micro de Sputnik Jean-Paul Gourévitch, auteur de Les migrations pour les Nuls (Éd. First).

La natalité, la grande oubliée

Et celui-ci de préciser que cette thèse abondamment répandue est soutenue par une «idéologie mondialiste et parfois immigrationniste», qui souhaite valoriser les aspects les plus positifs de l’immigration. Si le spécialiste reste prudent sur les résultats de ces projections, cette étude très pessimiste comporterait selon lui un biais militant:

«Elle s’inscrit dans une série d’études convergentes depuis une dizaine d’années qui pointent toutes l’idée que l’immigration est un bienfait puisqu’elle va permettre de compenser les manques de la force de travail et de payer les retraites. Cette étude dans laquelle on essaie de formater l’opinion n’est pas originale.»

Visant officiellement à «réduire la pauvreté dans le monde», le Center for Global Development n’est pas un think tank quelconque. Son président, Masood Ahmed, a longtemps gravité au FMI et à la Banque mondiale et son conseil d’administration compte deux anciens fonctionnaires de l’Administration Obama. Son budget d’environ 20 millions de dollars en 2019 provenait principalement de fondations –comme la fondation Bill & Melinda Gates– mais également de gouvernements occidentaux. C’est Christine Lagarde, désormais présidente de la Banque centrale européenne, qui avait dressé les louanges de «l’incroyable» CGD qui ne «fait pas que penser», il est aussi «dans l’action». Le principal auteur de l’étude relayée par BFMTV est l’économiste Charles Kenny, ancien de la Banque mondiale, qui est également éditorialiste pour la chaîne Bloomberg Business.

La natalité française s’écroule, Bayrou demande davantage d'immigrés: comme un air de déjà-vu?
Ce dernier aurait-il lu récemment François Bayrou? En mai, le haut-commissaire au Plan proposait un «plan national pour la démographie» française dans lequel il présentait deux options: la relance de la natalité et l’accueil supplémentaire de migrants. Le CGD ne semble avoir retenu que la seconde pour répondre à ce manque de main-d’œuvre engendré par le vieillissement accéléré de la population. L’inclusion des femmes sur le marché du travail, le prolongement de l’âge de la retraite, l’automatisation de la production ne suffiraient donc pas à répondre aux immenses besoins européens en 2050. C’est l’Allemagne qui accuserait la pénurie la plus importante, avec sept millions de travailleurs, mais la France ne serait pas en reste avec 3,9 millions, suivie par le Royaume-Uni avec 3,6 millions.

«Cela suggère la nécessité d’un changement urgent si l’Europe veut éviter une crise du vieillissement», affirme alors, toujours alarmiste, le Center for Global Development. Mais rassurons-nous, l’Europe a un «avantage important», c’est sa proximité géographique avec l’Afrique dont la population compte un «nombre croissant de jeunes motivés et instruits», explique l’étude. D’ici à 2050, la population africaine en âge de travailler doublera pour atteindre 1,3 milliard d’individus tandis que l’Europe présente «trop peu de personnes pour occuper les emplois nécessaires». Dans le cadre d’une vision interchangeable des populations, le boom de la main-d’œuvre africaine serait donc la solution ultime au vieillissement européen.

Jean-Paul Gourévitch n’est pas d’accord et il le dit: l’immigration de travail n’est pas une fatalité, notamment pour le cas français. Alors que l’Hexagone subit depuis plusieurs années une baisse de la natalité, l’année 2020 marquée par le Covid-19 et les confinements successifs a été catastrophique pour le solde naturel (les naissances moins les décès), estimé à 67.000. Mais le spécialiste y croit fermement, en exposant la solution de la relance de la natalité «sur le long terme» et de la formation «sur le court terme».

L’immigration de travail minoritaire en France

D’ailleurs, le spécialiste reproche à l’étude américaine d’omettre le panorama complet des migrations, comme si toute immigration était «une immigration immédiate ou future» de travail, «ce qu’elle n’est pas». Or Gourévitch rappelle qu’en France, les deux principaux viviers d’immigration sont les migrations «étudiante et familiale», puis la migration sociale, la migration médicale, la migration politique et religieuse.

«Il faudrait déjà qu’il s’agisse d’une immigration de travail. En France, ce n’est pas le cas. Celle-ci représente, selon les estimations, entre 8 et 15% des vagues migratoires, cela signifie que toute une partie de l’immigration ne l’est même pas.»

C’est ainsi que le spécialiste préconise le recours à «l’immigration choisie», notamment souhaitée par Nicolas Sarkozy dès 2006, mais à l’en croire très peu mise en place. Celle-ci consistait à rééquilibrer «l’immigration subie» vers une immigration de travailleurs qualifiés sélectionnés par quotas. En 2007, les migrants pour motif économique représentaient 15,4% du total, pour atteindre 14% en 2019, selon les chiffres de la Direction générale des étrangers en France (DGEF) du ministère de l’Intérieur. Si celui-ci évoque effectivement des «niches» dans le système économique, l’aide à la personne, les livraisons, le BTP et l’hôtellerie, dans lesquelles des étrangers sont capables de travailler, celles-ci ne permettraient pas l’équation où «l’immigration serait la solution au manque de main-d’œuvre».

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