«Il faut évidemment y voir l’aboutissement de toutes les pesanteurs qu’endurent les Français depuis un certain temps et des impasses du système politique actuel», analyse Christophe Boutin à notre micro.
L’émoi est vif dans la classe politique devant la montée de la «violence» en pleine campagne électorale. Le florilège d’agressions a démarré le mardi 8 juin avec le Président de la République giflé par le militant Gilets jaunes Damien Tarel lors d’une visite officielle dans la Drôme. Quarante-huit heures plus tard, le tribunal correctionnel de Valence a condamné l'individu à quatre mois de prison ferme. Vendredi 11 juin, la tête de liste LREM aux régionales, François de Rugy, était enfarinée à Nantes. Le lendemain même, c’était au tour de Jean-Luc Mélenchon de recevoir un jet de poudre blanche au départ d’une manifestation contre l’extrême droite à Paris. Le premier annonçant dans la foulée porter plainte contre son agresseur, l’autre s’y refusant. Au même moment circulait sur les réseaux sociaux la vidéo de l’altercation entre le ministre de la Justice Éric, Dupond-Moretti, et le candidat du Rassemblement national, Damien Rieu. Une passe d’armes ayant animé le marché de Péronne ce samedi 12 juin. En réponse à son enfarinage, le chef des Insoumis a d’ailleurs prévenu qu’une campagne 2022 «sale et violente» se profilait selon lui à l’horizon.
Il faudrait surtout y voir la confluence de plusieurs violences ressenties par une partie des Français qui «pensent trouver dans ces actes un semblant de réponse à un mécontentement légitime», observe le politologue Christophe Boutin.
Une gifle vaut-elle un enfarinage?
Cette violence, tout particulièrement soulignée par les médias ces derniers jours, ne date pourtant pas d’hier. En particulier pour ce qui est de l’enfarinage, dont avait déjà été victime par exemple François Fillon en avril 2017 lors d’un meeting à Strasbourg. En 2012, François Hollande, alors en campagne électorale, était lui aussi recouvert de blanc. Autre temps, autre ingrédient, François Bayrou recevait une tarte à la crème en plein visage au mois d’avril 2012.
Ainsi faudrait-il raison garder, nous rappelle Christophe Boutin. Toutes les agressions amalgamées ces derniers jours par les médias ne relèvent pas selon l’analyste politique du même registre. Et n’ont donc pas la même résonance ni la même gravité:
«Les enfarinages rappellent les entartages d’une certaine époque et ont plus à voir avec le comique troupier qu’autre chose. On peut trouver ces comportements regrettables et considérer à bon droit qu’ils méritent une sanction. Mais ils ne sont pas comparables à l’agression récente du Président», nuance le politologue au micro de Sputnik.
L’Élyséen avait déjà reçu un œuf en plein visage au Salon de l’agriculture en février 2020. Une symbolique différente de la claque et qui, quoi qu’il en soit, se distingue des récentes agressions menées contre les responsables politiques ce week-end à en croire notre interlocuteur.
«Quand bien même le Président a participé de manière éhontée à cet abaissement de la fonction présidentielle, dans tous les cas, il y a dans cette gifle une atteinte symbolique faite au chef de l’État qui mérite condamnation», conclut-il.
La démocratie en danger?
Certains journaux en France, à l'exemple du Figaro ou du Monde, n’avaient pas hésité à comparer l’évènement de la gifle présidentielle à l’attentat du Petit-Clamart lorsque l’OAS avait tenté d’abattre le général de Gaulle. Ou bien le tir au 22 long rifle manqué contre Jacques Chirac lors du défilé du 14 Juillet 2002 qui a aussi refait surface dans la presse.
Une montée des extrêmes, voire un danger pour la démocratie, une nouvelle fois démontrée selon les médias par l’actualité de cette fin de semaine. Des comparaisons qui font sourire notre interlocuteur qui, tout en étant attaché au respect de la sacralité présidentielle, s’amuse des analogies douteuses.
«Regardez le nombre d’impacts de balles sur la DS présidentielle lors de l’attentat qui visait le général en 1962. Regardez également le type d’arme utilisée par Maxime Brunerie lors de son tir raté de 2002. Puis regardez la gifle de Macron. Je veux bien qu’on compare tout et n’importe quoi. Mais, en termes de violence, il n’y a rien de comparable».
Enfarinage de Mélenchon ou gifle du Président, l’unanimité était de circonstance dans la presse et dans la classe politique pour condamner ces récentes agressions.
Jusqu’au militant de La France insoumise François Ruffin qui déclarait le jour de l’agression du Président sur son compte Twitter qu’en «démocratie, les baffes, ça se met dans les urnes». Moyen de rappeler aux individus tentés par ce type d’actes que le combat politique se joue en France au plan électoral. Un point de vue avec lequel s’accorde Christophe Boutin, mais que le politologue tient à nuancer.
«Lorsque les Français placent en tête de leurs inquiétudes l’insécurité, l’immigration et plus globalement l’identité, qu’aucune traduction de ces impératifs n’a lieu en politique, ni à droite ni à gauche, la tension entre citoyens et responsables est vouée à se durcir. Sans parler de la dissolution avancée de la souveraineté nationale dans un ensemble européen peu démocratique qu’observent, impuissants, les Français», ajoute-t-il.
Et notre interlocuteur de préciser que le système électoral tend à conforter certains individus dans leur mépris de l’élection en «empêchant, par son fonctionnement, un parti rassemblant aujourd’hui une part non négligeable de l’électorat d’avoir une plus juste représentativité en élus». Autant d’impasses qui expliqueraient aujourd’hui le mépris d’une part croissante de l’opinion envers son personnel politique. Un phénomène confirmé chaque année par le baromètre de la confiance politique du Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF).