Barkhane, c’est fini.
«S’ils pouvaient boire de l’alcool, aujourd’hui, les chefs djihadistes sabreraient le champagne. Avec le retrait français, le Sahel devient une zone encore plus instable, avec une possibilité de reconstitution du fantasme de Daech* d’obtenir un territoire, un califat», regrette au micro de Sputnik Georges Kuzmanovic, ancien lieutenant de l’armée de terre.
Désormais, la lutte contre le terrorisme sera menée «avec des forces spéciales structurées autour de (l’opération) Takuba, avec évidemment une forte composante française -avec encore plusieurs centaines de soldats- et des forces africaines, européennes, internationales, [qui] aura vocation à faire des interventions strictement de lutte contre le terrorisme», a annoncé Emmanuel Macron le 10 juin. La «transformation» de l’opération Barkhane va passer par la fermeture des bases françaises dans la région.
Européanisation de la lutte anti-terroriste au Sahel
Le calendrier de cette annonce n’est pas anodin: ce 11 juin débute le sommet du G7, trois jours plus tard a lieu le sommet de l’Otan et le 15 juin le sommet États-Unis-Union européenne se déroulera en présence de Joe Biden. Le Président français compte ainsi mettre la pression sur ses partenaires transatlantiques pour qu’ils soutiennent les initiatives multilatérales au Sahel.
«C’est de la pure communication, rétorque Georges Kuzmanovic. Comme cela a été présenté, ce n’est pas de nature à améliorer durablement la situation sécuritaire.»
Avec 600 militaires de huit pays européens, la force Takuba est essentiellement composée de forces spéciales. En l’état actuel des choses, elle n’aurait pas beaucoup de chances d’améliorer la situation sécuritaire sur un territoire aussi étendu que le Vieux Continent! Même suppléée par la Minusma (Onu) et la force G5 Sahel. Comme beaucoup, l’ancien militaire estime que «le politique doit traiter les problèmes de pauvreté endémique, aggravée par les traités inégaux de libre-échange.»
Notre interlocuteur pense toutefois qu’en finir avec l’opération Barkhane et ramener le gros des 5.100 hommes français à la maison est le bon chemin à suivre. Malgré quelques récents succès militaires sur le terrain, le bilan des opérations Serval puis Barkhane reste pour le moins contrasté. D’aucuns dénonçant même un échec. Plus de cinquante soldats français sont morts sur le terrain. Près d’un milliard d’euros a été englouti annuellement dans la région. Or les résultats sont minimes au regard de l’immensité des enjeux.
«Nous n’avons rien réglé, le problème s’est au mieux métastasé sur les pays voisins», analyse notre interlocuteur.
Le mal malien dépasse les frontières du Sahel. La menace est certes moins concentrée sur un territoire précis, mais elle est bien plus diffuse. Du Bénin au Tchad, en traversant toute la bande saharo-sahélienne, les groupes djihadistes sévissent sporadiquement.
En témoigne la récente attaque de Solhan au Burkina Faso dans la nuit du 4 au 5 juin. 160 personnes ont été tuées par des groupes armés terroristes en l’espace d’une nuit. Depuis 2015, des bandes se revendiquant notamment d’Al-Qaïda* ou de Daech*, ont fait au moins 1.400 morts et ont engendré plus d’un million de déplacés rien qu’au Burkina Faso.
Au sol, «hormis le Tchad, aucune armée locale n’a réussi à prendre le relais sur le terrain. Désormais, on demande à l’armée de pallier d’autres problèmes. Mais ce n’est pas son rôle. C’est le rôle du politique, aux niveaux national et international», rappelle Georges Kuzmanovic.
Avec des moyens limités et sans stratégie concrète, les militaires français au sol ne pouvaient qu’assurer le service minimal, tant au niveau sécuritaire qu’au niveau politique et développement. «Il faut savoir que chaque jour, nous apportons à peu près quatre cents actes de soins pour la population locale», expliquait le général Jérôme Pellistrandi à France Info ce 10 juin. Un effort énorme et paradoxalement ridicule face à l’immensité de forces nécessaires au développement régional.
Face à cette situation, le retrait de la majorité des troupes françaises et la fin de l’opération Barkhane auraient depuis déjà un certain temps été dans les cartons de l’Élysée et du ministère des Armées.
«On était de facto dans une situation d’enlisement et le coup d’État [au Mali, ndlr] donne un prétexte idéal pour se dégager», estime notre interlocuteur.
La reconnaissance par la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) du colonel putschiste Assimi Goïta, après un second coup d’État en un an a ainsi offert une porte de sortie honorable au locataire de l’Élysée. La position officielle de Paris plaidait pour un retour au gouvernement de transition civil, ce qui n’a pas eu lieu.
* Organisation terroriste interdite en Russie.