«C’est un hurluberlu qui a eu un mouvement d’humeur. Le geste est condamnable mais il ne doit pas être surinterprété. Il a fait au Président ce que beaucoup de Français aimeraient lui faire… tout en sachant qu’il ne le faut pas», résume Me Régis de Castelnau à notre micro, dans la foulée de la décision rendue hier par le tribunal judiciaire de Valence.
Damien Tarel était jugé en comparution immédiate ce jeudi 10 juin pour avoir giflé le Président de la République. Le tribunal correctionnel a condamné le jeune homme de 28 ans à 18 mois de prison, dont quatre mois ferme, avec mandat de dépôt. Une peine moins lourde que celle requise par le parquet, qui réclamait 18 mois de prison ferme avec interdiction définitive d’exercer une fonction publique. L’auteur des faits encourait jusqu’à trois ans de prison et 45.000 euros d’amende. «Un jugement malin» de la part des magistrats qui apaise –ou n’attise pas, tout au moins– l’émotion suscitée par cette affaire dans l’opinion et le «bloc élitaire», selon Me Régis de Castelnau. Auteur de l’essai Une justice politique (Éd. L’Artilleur), ce dernier perçoit sans peine la portée… et les limites de telles affaires.
Contenter les deux blocs
C’est au cri de «Montjoie, Saint Denis! À bas la Macronie!» que Damien Tarel a giflé le Président de la République en visite officielle dans la Drôme mardi 8 juin. Le cri de guerre des armées capétiennes, popularisé par le film Les Visiteurs, qui a ouvert la voie à une mise à l’index politique. L’exemplaire de Mein Kampf trouvé à son domicile ainsi que les profils suivis par l’intéressé sur Facebook (Papacito, Julien Rochedy…) témoignaient pour les médias d’une filiation de l’intéressé avec l’extrême droite. Plus encore, d’une montée des extrêmes en France.
À l’exemple du Monde qui, dans son éditorial du 9 juin dernier, s’inquiétait d’«un vent mauvais [qui] souffle sur la démocratie», allant jusqu’à comparer cette gifle à l’attentat du Petit-Clamart lorsque l’OAS avait tenté d’abattre le général de Gaulle en 1962. Ou bien le tir au 22 Long Rifle manqué contre Jacques Chirac lors du défilé du 14 juillet 2002.
«Il y a une surréaction du bloc élitaire, disons la France d’en haut, et plus précisément la classe politique et médiatique, qui crie abusivement à la République attaquée. Pour essayer de nous faire croire à un horrible attentat», observe Régis de Castelnau.
«Je suis abasourdi de ce qu’on entend depuis quelques jours», poursuit-il.
Des circonstances vraisemblablement prises en compte par les trois juges qui ont condamné le jeune homme ce jeudi. C’est du moins ce que conclut l’avocat pour qui, «en fin de compte, ce jugement est difficilement critiquable des deux côtés». À la fois par la classe politique et les médias, «qui ont dramatisé l’événement avec excès», puisqu’il y a condamnation. Mais aussi par une partie de «la France d’en bas qui déteste Emmanuel Macron» et conçoit bien, au dire de notre interlocuteur, «que quatre mois de prison, sans doute moins avec les aménagements de peine à venir, ce n’est pas grand-chose».
Macron, l’arroseur arrosé?
Sans casier judiciaire jusqu’ici, vivant d’intérim et de petits boulots, Damien Tarel, pour expliquer son acte, s’est effectivement dit porté par un sentiment d’injustice envers le peuple français. Le «dégoût» ressenti au moment du bain de foule du Président, symbole de «la déchéance de notre pays», a-t-il affirmé devant les juges, aurait motivé l’intéressé, qui se dit ouvertement proche des Gilets jaunes.
«Je me suis senti investi par ce que représentent les Gilets jaunes, qui ne sont jamais écoutés, et par le peuple en général», a-t-il déclaré.
Pour Régis de Castelnau, il est évident qu’une partie du peuple français a pu «jubiler ou avoir une joie mauvaise» en assistant à l’événement. Néanmoins, affirme l’avocat, «celle-ci sait aussi que même si l’acte n’est pas bien grave, il n’en reste pas moins une agression du chef de l’État qui fragilise la figure présidentielle». Au cours du procès, le procureur a d’ailleurs appelé à ce que la peine soit «exemplaire» pour «protéger les institutions».
Le jour même de la comparution, Emmanuel Macron accordait, depuis Clairefontaine, un entretien exclusif à RMC et BFMTV au cours duquel il est revenu sur l’incident. Le Président de la République a jugé l’acte «imbécile et violent», tout en appelant à «relativiser» sans «rien banaliser». Pour Emmanuel Macron, inutile de surinterpréter un événement, qui ne dit pas «quelque chose de plus profond qu’un acte isolé», et de lui donner du sens. Une tentative de prévenir la critique à son encontre et qu’assène toutefois Régis de Castelnau, reprochant au chef de l’État d’avoir «avili la fonction présidentielle» et donc ouvert la voie à de telles atteintes.
À plusieurs reprises depuis le début de son mandat, le Président de la République a en effet été accusé de désacraliser la fonction présidentielle. À l’exemple de son challenge avec les deux YouTubeurs McFly et Carlito au mois de mai dernier, ou les appels du pied renouvelés à la jeunesse par son équipe présidentielle. Un choix de communication, dans l’idée de cultiver une image accessible du chef de l’État, mais en rupture avec la verticalité présidentielle imposée par la Ve République. Un mouvement d’horizontalisation des rapports de pouvoir déjà amorcé par ses prédécesseurs, rappelle néanmoins Régis de Castelnau pour qui «Sarkozy avait abaissé la fonction, Hollande l’a avilie, Macron fait les deux».