Malgré les apparences d’apaisement entre Macron et Erdogan, le spectre des tensions reste omniprésent

Après deux années d’intenses tensions, la visite du chef de la diplomatie turque à Paris vient confirmer l’élan d’apaisement ente la France et la Turquie. Une détente entre les deux puissances à laquelle il ne faut pas trop s’attacher, tant les contentieux sont nombreux, prévient auprès de Sputnik Samim Akgönül, spécialiste de la Turquie.
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«Les relations entre la Turquie et la France viennent de traverser une période de tensions, inhabituelle pour deux pays alliés.» Dans une tribune publiée dans L’Opinion en prélude de sa visite en France ce lundi 7 juin, le ministre des Affaires étrangères turc, Mevlüt Cavusoglu, semble montrer des signes de bonne volonté et faire des désaccords entre la Turquie et la France de l’histoire ancienne.

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Paris et Ankara retrouvent en effet petit à petit la voie du dialogue. Au cours de deux années 2019 et 2020 particulièrement compliquées, les contentieux internationaux et nationaux se sont multipliés, des insultes ont été proférées, et un engagement militaire a même failli avoir lieu, lorsqu’un bâtiment turc a illuminé par trois fois la frégate française Courbet. Cette tension a culminé en 2020 avec l’imposition de sanctions européennes à la Turquie pour lesquelles la France avait fortement insisté.

Des tensions coutumières

Pourtant, les tensions entre Ankara et Paris ne semblent pas si «inhabituelles» que cela, à en croire Samim Akgönül, directeur du département d’études turques de l’université de Strasbourg, qui ne trouve que partiellement vraie l’affirmation du diplomate truc.

«La France et la Turquie sont deux pays qui ont l’habitude des moments de crise et des moments d’apaisement. Il y a eu des hauts et surtout des bas bien plus violents que ça», affirme le chercheur, auteur de La Turquie «nouvelle» et les Franco-Turcs: une interdépendance complexe (éd. L'Harmattan).

Les sujets de discorde existent et polluent les relations entre les deux pays. Les perceptions pour le moins différentes sur le génocide arménien, la situation politique concernant l’île de Chypre toujours coupée en deux et l’opposition française à l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne sont autant de sujets au long cours qui suscitent à intervalles irréguliers des épisodes de tensions, nous explique Samim Akgönül, qui reste prudent et ne peut écarter qu’elles ne surviennent encore:

«Il y a effectivement un apaisement, mais ça ne veut pas dire que demain il n’y aura pas d’autres épisodes de tensions, basés sur des questions très concrètes».

Pour l’heure, Erdogan ne remet plus en cause la «santé mentale» d’Emmanuel Macron. La diplomatie est de mise, en atteste des démarches comme le Forum diplomatique d’Antalya intitulé «Diplomatie innovatrice: nouvelle ère, nouvelles approches», à laquelle prendra part le ministre des Affaires étrangères français Jean-Yves Le Drian.

En Libye et en Méditerranée orientale, différentes initiatives d’apaisement font entrevoir la lumière au bout du tunnel. À Tripoli, un gouvernement d’union nationale gouverne désormais une Libye unie. Avec la Grèce aussi: «les différends avec notre voisin grec font aujourd’hui l’objet d’un dialogue serein dans le cadre de divers mécanismes», affirmait Mevlüt Cavusoglu dans sa tribune pour l’Opinion. En effet, les deux rivaux ont repris en janvier 2021 le dialogue bilatéral enterré depuis 2016 sur la situation en Méditerranée orientale pour trouver une sortie de crise pacifique.

Fragile apaisement

Au-delà des «divergences au long cours» qui subsistent dans les relations franco-turques, plusieurs dossiers encore chauds menacent le fragile apaisement auquel sont parvenues les deux puissances. En Syrie, la France continue de soutenir les forces démocratiques syriennes que la Turquie accuse de terrorisme du fait de l’appartenance de certains groupes au PKK/YPG. Mevlüt Cavusoglu n’a d’ailleurs pas hésité à le rappeler en amont de sa visite:

«Quant à nos désaccords liés à la collaboration de nos alliés avec les terroristes du PKK/YPG dans leur lutte contre Daech, ils ne pourront être dépassés que quand cette coopération cessera définitivement», a prévenu le ministre turc.

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À cela s’ajoute le soutien de la France à la cause arménienne dans son combat territorial face à l’Azerbaïdjan. L’acquisition de systèmes de défense antiaérienne russes S-400, incompatibles avec les systèmes de l’Otan, dont fait pourtant partie Ankara, pourrait bien elle aussi s’immiscer entre les deux alliés supposés.

De même, le soutien officiel ou officieux de la Turquie à une certaine diaspora turque et musulmane accusée d’islamisme en France pose de sérieux soucis à Paris. En atteste le récent débat autour de la subvention de la mosquée de Strasbourg par la Confédération islamique Millî Görüs (CIMG), organisation islamique et politique réputée proche du pouvoir turc.

Récupération politique

Toutes ces crises sont autant d’obstacles qui rendent tout apaisement difficile à envisager dans la durée, estime Samim Akgönül. D’autant que les récupérations politiques de part et d’autre n’arrangent rien.

«Il y a un degré de politique politicienne dans les différents qu’ont Emmanuel Macron et Recep Tayyip Erdogan», analyse le directeur du département d’études turques de l’université de Strasbourg.

Le Président Erdogan «vit politiquement avec les crises, il les adore et en a besoin car il les instrumentalise». C’est son «assurance popularité en interne», estime le spécialiste de la Turquie. Et il n’est d’ailleurs pas le seul à profiter de crises externes pour améliorer sa popularité:

«Emmanuel Macron aussi a profité de ces tensions avec une Turquie qui a une mauvaise image actuellement en France, voire en Europe, en particulier dans sa lutte avec l’extrême droite. Cela lui a permis de s’ériger en bouclier contre l’islamisme et de grappiller des voix sur sa droite», considère notre interlocuteur.

Ainsi, la visite de Mevlüt Cavusoglu pourrait bien n’être qu’une exception d’apaisement confirmant la règle des tensions franco-turques.

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