«Vous verrez que, dans la dernière semaine de la campagne présidentielle, nous aurons un grave incident ou un meurtre», pour «montrer du doigt les musulmans», «tout ça, c’est écrit d’avance»… Avec cette déclaration pour le moins controversée, lancée lors de son passage dans l’émission «Questions politiques», Jean-Luc Mélenchon a suscité une indignation quasi unanime. Sur Twitter, Sarah El Haïry, secrétaire d’État chargée de la Jeunesse et de l’Engagement, a ainsi qualifié le chef de file de La France insoumise (LFI) «d’irresponsable politique qui salit ceux qui sont tombés face aux terroristes».
Toujours au sein du gouvernement, Marlène Schiappa, ministre délégué à la Citoyenneté, a dénoncé sur BFMTV lundi 7 juin, «un mélange de paranoïa et de complotisme». Christian Estrosi, maire de Nice, a quant à lui fustigé un propos «indigne, honteux, minable», se désolant de voir Jean-Luc Mélenchon dériver «vers les pires théories complotistes».
«Un mélange de paranoïa et de complotisme»
Sur Twitter, certains y voient pire: Elisabeth Lévy, la directrice de la rédaction du magazine Causeur va même plus loin: «C’est encore plus grave que le point de détail de Le Pen [sur les chambres à gaz, ndlr].»
Pour justifier cette comparaison plutôt osée, elle explique au micro de Sputnik que, si «on peut dire que Jean-Marie Le Pen minimisait, que c’était méprisant pour les victimes, il ne disait pas que ça avait été manipulé par je ne sais pas qui».
L’ex-leader du Front national [aujourd’hui Rassemblement national, ndlr] avait déclaré pour la première fois en 1987 que les chambres à gaz étaient un «détail» rapportées à l’histoire de la Seconde Guerre mondiale. Pour ces propos, il avait été condamné à deux reprises, au civil, par la justice Française. En 2015, il les avait maintenus lors d’une interview sur BFMTV. Ce qui lui avait valu une nouvelle condamnation par le tribunal correctionnel en avril 2016. Une sanction confirmée en mars 2018 par la Cour de cassation, qui a validé la condamnation de Jean-Marie Le Pen à 30.000 euros d'amende.
La directrice de la rédaction du magazine Causeur évoque un sentiment «de colère et de dégoût» face aux assertions du leader de LFI. Mais ces déclarations ne l’étonnent «finalement pas».
«Il nous explique que les assassinats commis par Merah ont été commandités par le “système”. Je suis assez sidérée qu’il ose aller jusque-là. Et le pire, c’est que je pense qu’il y croit. Il y a quelque chose de sa vérité qui est ressorti», affirme t-elle au micro de Sputnik.
Une prise de position qui fait dire à l’éditorialiste qu’il a «perdu toute respectabilité et son honneur».
Elle pointe en effet que, lors de l’interview, diffusée sur France Info dimanche 6 juin, «Jean-Luc Mélenchon ne dit pas que ce sont des mouvements islamistes, des djihadistes» qui sont coupables, «ni même Merah, qui était le premier responsable de ces crimes, mais qu’il a été manipulé».
Des propos mal compris?
L’éditorialiste fustige d’ailleurs l’«absence de réaction des journalistes» face à cette déclaration de l’ancien sénateur. «On lui laisse dire que tout ça, c’est bateau. Merah c’est bateau?» tonne Élisabeth Lévy. En effet, il a insinué que, lors des prochaines Présidentielles, «nous aurons le petit personnage sorti du chapeau, nous aurons l'événement gravissime qui va une fois de plus permettre de montrer du doigt les musulmans et d'inventer une guerre civile, voilà, c'est bateau tout ça».
«Je suis frappée que, lorsqu’on est de gauche ou d’extrême gauche, il y a quand même une sorte d’indulgence», regrette Élisabeth Lévy.
Pourtant, l’intéressé a tenu à se défendre face à ce qu’il qualifie de «buzz affligeant» dans une publication Facebook: «Quand Le Pen récupère l’émotion d’un crime pour faire sa propagande, c’est génial; quand quelqu’un met en garde contre ce type de manipulation, c’est qu’il est complice avec les meurtriers». «Ainsi en vient-on à nier cette évidence que les meurtriers attendent le meilleur moment pour faire parler d’eux», a poursuivi le candidat malheureux à l’élection présidentielle de 2017.
Une ligne qu’a martelée Clémentine Autain, tête de liste de LFI aux régionales en Île-de-France sur CNews. Pour elle, certains «ont volontairement mal compris et déformé ses propos», «ce qu’il visait, c’est l’extrême droite», qui «instrumentalise ce qui arrive […] pour affirmer des propos xénophobes, liberticides, antirépublicains».
Un argumentaire qui «ne tient pas la route» pour Élisabeth Lévy. L’éditorialiste affirme qu’il «n’y a pas eu de récupération politique en 2012 parce que c’était précisément la campagne électorale. Donc personne n’a voulu en faire des caisses.» Néanmoins, comme elle l’explique: «Fallait-il faire comme si c’était un fait divers alors que l’on a assassiné des enfants juifs et des soldats?»
Vers une plainte des familles victimes de Mérah?
Au-delà de l’indignation de la classe politique, ce sont les familles touchées par ce drame qui dénoncent la teneur des propos de l’inventeur des meetings par hologramme. Albert Chennouf-Meyer, père du caporal Abel Chennouf, et Latifa Ibn Ziaten, mère du parachutiste Imad Ibn Ziaten, deux militaires assassinés par Merah, ont condamné cette sortie.
C’est le cas également de Samuel Sandler, le père de Jonathan (30 ans) et le grand-père d'Arieh et Gabriel, âgés respectivement de 5 et 3 ans et victimes de Mohamed Merah lors de l'attentat contre l'école juive Ozar Hatorah à Toulouse. Sur France Info, son avocat Patrick Klugman a confié que son client a «extrêmement mal réagi».
«Il a qualifié les propos de Jean-Luc Mélenchon comme étant d’une violence inouïe, qui banalisent et presque nient ce qui est arrivé à sa famille, ce qu’ont été les assassinats perpétrés par Mohamed Merah et le combat judiciaire que M. Sandler a mené pour les faire reconnaître. Oui, ces propos sont insupportables», a détaillé Me Klugman.
L’avocat a d’ailleurs lancé un ultimatum à Jean-Luc Mélenchon. Compte tenu de «l’extraordinaire gravité» des propos, «par leur portée et par leur auteur», si d’aventure le leader de la LFI «ne les retire pas», «nous ferons une dénonciation au parquet du fait de diffusion de fausses nouvelles, parce que nous entrons dans ce cadre législatif.»
«Alerte à l’appel au meurtre»
Quelques heures après les déclarations de Jean-Luc Mélenchon, le youtubeur Papacito a réagi en publiant une vidéo intitulée «Le gauchisme est-il pare-balles?». On peut le voir notamment donner plusieurs coups de couteau à un mannequin en plastique vêtu d’un tee-shirt «Je suis communiste». L’objectif annoncé par le vidéaste, ami de Zemmour de l’aveu de ce dernier? «Voir si le matériel de base du mec qui vote Jean-Luc Mélenchon va lui permettre de résister à la potentielle attaque d'un terroriste sur le territoire.» Un «appel au meurtre» pur et simple pour le chef de la LFI.
«Une ambiance morbide et violente est entretenue contre les Insoumis et contre moi nommément. […] J’appelle les organisateurs de campagnes flétrissantes – militants politiques et médias – à mesurer leurs responsabilités dans ce contexte», a plaidé Jean-Luc Mélenchon.