Attractivité: la France première en Europe, mais jusqu’à quand?

Avec 985 décisions d'investissements étrangers sur son territoire en 2020, la France demeure la destination plébiscitée en Europe pour les investissements étrangers selon le baromètre d’attractivité EY. L’exécutif brandit ce classement comme un trophée. Pourtant, la réalité invite à plus de mesure. Analyse.
Sputnik

La France demeure championne d’Europe des investissements étrangers (IDE), selon le dernier baromètre annuel de l'attractivité d’EY (ex-Ernst & Young) publié ce 7 juin.

Malgré l’impact de la crise du Covid en 2020, marquée par une chute de 18% du nombre de «projets» d’investissements étrangers sur son territoire, l’Hexagone trône encore sur la première marche du podium.

Regain de l’attractivité française, une tendance lourde

La France devance ainsi d’une très courte tête (dix projets) le Royaume-Uni, à qui elle avait ravi la médaille d’or fin 2019, pour la première fois depuis la création de cet indice en 1997, ainsi que l’Allemagne et ses 930 projets.

«C'est l'illustration que la politique d'attractivité voulue par le Président de la République fonctionne!» claironnait sur LCI Agnès Pannier-Runacher, ministre délégué chargé de l'Industrie. «Fait complémentaire, la France en termes de projets industriels, en a autant que l’Allemagne, le Royaume-Uni et l’Espagne réunies», enchérissait-elle.

​Pour autant, à la lecture des multiples rapports d’EY sur la compétitivité des pays européens, tous les chiffres ne font pas nécessairement la part belle à l’action des gouvernements d’Édouard Philippe et de Jean Castex. Certes, les allégements de la charge fiscale (IS, impôts de production, charges sociales patronales) sur les entreprises ainsi que les assouplissements du cadre réglementaire ont contribué à faire monter la France de manière inédite sur la première marche du podium européen de l’«attractivité». Hélas, cette réussite apparente cache des tendances lourdes bien moins exaltantes!

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D’une part, la chute de 18% du nombre de projets montre par son ampleur que la France a moins bien résisté que le Royaume-Uni (-12%) et l’Allemagne (-4%). D’autre part, elle signifie l’arrêt d’une hausse ininterrompue des investissements étrangers en France observée depuis… 2012. Date à laquelle l’Europe de l’Ouest est progressivement redevenue la zone la plus attractive du monde aux yeux des investisseurs internationaux, repassant devant la Chine.

Bref, alors que l’attractivité française était en hausse depuis une dizaine d’années, jusqu’à dépasser celles de la Grande-Bretagne et de l’Allemagne, les trois pays terminent 2020 quasiment au même niveau… Alors que cette «année du Brexit» devait selon le cabinet d’audit marquer la consécration de la France dans le «match Paris-Londres» avec le retour des sièges et fonctions tertiaires vers le continent, le Royaume-Uni recolle ne s’avoue pas vaincu.

En termes d’investissements étrangers, la moyenne européenne est certes dans le rouge, à -13%, mais des pays tels que la Pologne et la Turquie continuent d’afficher une croissance à deux chiffres (respectivement 10% et 18%) .

Des projets industriels moins créateurs d’emplois

Autre bémol, les emplois créés par ces investissements étrangers. Si la France peut s’enorgueillir de surclasser ses voisins en nombre absolu de «projets» (qui restent à concrétiser), elle récolte relativement moins d’emplois par ce biais.

En effet, avec «seulement» 30.558 emplois, soit trente-quatre en moyenne par projet, malgré une légère amélioration (en 2019, le nombre d’emplois moyen par projet industriel en France était de trente et un), l’Hexagone est à la remorque du Royaume-Uni (soixante et un emplois par projet) et même de l’Allemagne (quarante-huit). Or ce différentiel tend à s’aggraver. En Espagne, les projets sont certes trois fois moins nombreux, mais pèsent socialement quatre fois plus avec une moyenne de 135 emplois chacun. Même son de cloche à l’est du continent.

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Cette tendance ne date pas d’hier. Voir des implantations industrielles se multiplier tout en restant «peu créatrices d’emplois» est un point sur lequel EY alerte d’ailleurs depuis au moins 2014, où la France était déjà la première destination européenne en matière de projets d’implantations industrielles.

Reste à savoir si, en 2021, la France creusera de nouveau l’écart avec les autres pays européens, en misant sur la confiance qu’elle peut inspirer aux investisseurs étrangers. Or, si 44% d’entre eux estimeraient selon EY que le plan de relance de Bruno Le Maire aurait été «plus performant» que ceux des autres pays du Vieux Continent, ils seraient tout autant à envisager d’ajuster à la baisse leurs projets d’investissements en France. 14% les reporteraient «à l’horizon 2022 ou plus tard.»

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