«Il n’y a pas de couple franco-allemand, il y a des déclarations d’amour de la France à l’Allemagne qui ne sont suivies d’aucun effet.»
Le constat de l’eurodéputé Hervé Juvin, tête de liste du Rassemblement national (RN) en Pays de la Loire pour les élections régionales, est sans appel. Et pour cause, les dossiers où l’Allemagne use de son poids à Bruxelles afin de saper la France s’amoncellent, que ce soit dans les domaines énergétique, agroalimentaire ou de la coopération industrialo-militaire. «Ce qui est clair, c’est que la France a adopté une position de faiblesse par rapport à l’Allemagne que nous sommes en train de payer très cher», estime l’eurodéputé.
Électricité: l’outil de production français découpé, sur injonction de Berlin
Le documentaire Éoliennes: du rêve aux réalités, sorti le 1er juin, met en lumière ce phénomène. Il revient notamment sur le lobbying des énergéticiens outre-Rhin dès la fin des années 90 auprès des instances bruxelloises, épaulés par Berlin, afin d’affaiblir EDF. Leur but: éviter que ce soit l’énergie nucléaire française bon marché qui inonde le marché commun en devenir.
«Les fonctionnaires français qui étaient là ont été plus européens et plus allemands que français», relate, face caméra, Loïk le Floch-Prigent, ex-patron de l’énergéticien français. Une concession, voire un abandon des Français qui a abouti aux démembrements successifs de l’ex-numéro un mondial de la production et de l’exportation d’électricité qu’était EDF, le tout sous couvert de libre concurrence. Le projet Hercule –qui consiste en la scission de ce qu’il reste d’EDF–, s’inscrit sur cette lancée entérinée à la fin des années 1990.
«Ces projets de démantèlement, imposés à EDF, sont une attaque directe contre la souveraineté de la France», fustige Hervé Juvin. «Elle doit clairement dire "carton rouge, on ne passera pas!"», poursuit-il.
À ses yeux, cet acharnement contre l’énergéticien public ne vise pas à amputer l’Hexagone uniquement de l’avantage compétitif que lui fournit son nucléaire civil, mais également de son parent militaire avec lequel il demeure «intrinsèquement lié».
«La puissance nucléaire française et l’indépendance énergétique qu’elle conférait à la France gênent ceux qui sont nos ennemis ou ceux qui sont nos concurrents. […] La France ne peut pas conserver sa puissance nucléaire militaire si elle n’a pas le développement du nucléaire civil», développe l’eurodéputé RN.
Comme si cela ne suffisait pas, Berlin a pesé de tout son poids afin que le nucléaire ne figure pas dans la taxonomie européenne. Ce document, qui doit être adopté d’ici à 2021, définira, au niveau européen, quelles énergies pourront être qualifiables de «vertes» et ainsi dignes d’accéder aux financements communautaires.
L’indépendance nucléaire française, civile et militaire, ciblée
Dans cette France, modèle en matière de décarbonation de sa production électrique, les textes européens relatifs au développement des énergies renouvelables (EnR) sont venus s’appliquer sans discernement. Leur transposition dans le droit français, avec pour objectif d’atteindre 32% d’EnR dans la consommation finale brute d’énergie à l’horizon 2030, a été le dernier clou du cercueil de la compétitivité tricolore. Les investissements massifs dans leur développement sur tout le territoire ont fait exploser les coûts de production du kilowattheure.
La faute aussi, selon Hervé Juvin, aux ONG et «militants politiques» qui, à ses yeux, «collaborent avec ceux qui veulent en finir avec l’indépendance énergétique française comme ils veulent en finir avec l’indépendance alimentaire française». Clin d’œil à la lente agonie du secteur agraire et de l’élevage en France, qui subit les coups de boutoir des écologistes arguant de la lutte contre le réchauffement climatique… et ceux de l’Allemagne.
Ursula von der Leyen, ministre d’Angela Merkel durant près de 16 ans et à présent à la tête de la Commission européenne, a en effet présenté en mai 2020 un «Green Deal» visant à conditionner une partie de ces aides précieuses aux agriculteurs et éleveurs français au respect de nouvelles normes environnementales. En lieu et place de la taille des exploitations agricoles.
Collaborations déséquilibrées: ces cadeaux à répétition de Paris à l’outil industriel allemand
«Très clairement pour moi, ce que dit madame Merkel dans sa logique allemande prussienne, c’est "tout ce qui est à moi est à moi, tout ce qui est à vous se négocie".»
Même tableau du côté du MGCS, dont l’Allemagne a pourtant le leadership. Le groupe en charge de sa maîtrise d’œuvre est KDNS, issu de l’union entre l’entreprise familiale Krauss-Maffei Wegmann (qui a conçu le char Léopard 2) et le français Nexter (concepteur du char Leclerc). Ce fleuron français fut privatisé sous François Hollande afin de créer un «Airbus des blindés» contrôlé à 50/50 par Paris et Berlin. Non seulement la direction bicéphale franco-allemande a depuis été abandonnée au profit d’un seul patron opérationnel allemand, mais désormais le conglomérat de Düsseldorf Rheinmetall entend bien racheter le tout en exigeant que la France se désengage du capital de KDNS.
L’initiative d’Emmanuel Macron de proposer à Angela Merkel la création d’un «Airbus du rail» via un «mariage entre égaux» entre Alstom et la branche ferroviaire de Siemens était également plus que discutable. D’une part Alstom affichait de bien meilleures performances que son concurrent outre-Rhin, mais d’autre part, Paris s’interdisait de monter au capital du futur groupe tout en offrant la possibilité de le faire à Berlin… Ce sera finalement la Commission européenne qui empêchera le TGV de devenir allemand.
«Jusqu’où allons-nous accepter de délocaliser nos brevets, un certain nombre de nos entreprises?» s’insurge Hervé Juvin, pointant un gouvernement qui à ses yeux «sacrifie les intérêts de la France à une obsession d’entente avec l’Allemagne».
En campagne dans les Pays de la Loire, l’eurodéputé évoque le cas de Man Energy Solutions, qui produit les moteurs Diesel d’appoint des sous-marins nucléaires français. «Il semble très clair que l’actionnaire majoritaire, Volkswagen, est en train de déshabiller l’entreprise de St-Nazaire pour faire passer les emplois en Allemagne.» Pour Hervé Juvin, Paris se met le doigt dans l’œil jusqu’au coude dans son rapport à Berlin.
Coopération européenne: Paris doit «prendre ses distances» avec Berlin
En privilégiant notamment ceux qui ont des atomes crochus avec l’Hexagone, par exemple les Britanniques en matière de défense, avec qui la France avait d’ailleurs collaboré en premier lieu sur le programme SCAF… avant de se tourner vers l’Allemagne à la suite du Brexit et de l’élection d’Emmanuel Macron.
Ironie du sort, c’est aujourd’hui Berlin qui négocier avec Londres son entrée dans le MGCS. Cette prise de distance serait d’autant plus vitale que, malgré le fait qu’Angela Merkel soit sur le départ, les choses ne risquent pas de s’arranger, selon Hervé Juvin… bien au contraire.
«Tout va dépendre de l’accession à la coalition des Verts. Si les Verts accèdent au pouvoir, je pense que la France devra très vite prendre des distances par rapport à l’Allemagne car les préjugés des écologistes allemands vont nous poser des problèmes redoutables pour nos exportations d’armement et nos programmes d’armement.»
Dans les récents sondages outre-Rhin, les Verts allemands sont donnés grands gagnants des élections législatives du 26 septembre prochain.