Ministre des Finances du Burundi: le pays «est résolu à s’attaquer aux questions de développement»

À l’occasion du Forum économique international de Saint-Pétersbourg, Sputnik a pu s’entretenir avec Domitien Ndihokubwayo, ministre des Finances du Burundi, sur le but de sa visite. Il expose notamment la situation actuelle de son pays et les nouveaux moyens de financement de l’Afrique.
Sputnik

Sputnik: Quel est le but de votre visite à Saint-Pétersbourg? Avez-vous prévu de signer des accords ou des contrats importants?

Domitien Ndihokubwayo: C’est la troisième fois que je me retrouve ici, à Saint-Pétersbourg, pour participer à ce Forum économique international, mais à chaque fois, il y a du nouveau. Je ne suis pas ici pour la signature de contrats, de conventions ou d’accords particuliers, je suis venu pour me rendre compte de ce qui bouge à travers le monde. Pourquoi? Parce qu’ici, à Saint-Pétersbourg, à ce forum plus précisément, c’est un lieu de rencontres. D’abord des gens — des hommes et des femmes —, mais aussi des idées, on voit tout ce qui est exposé à ce forum, on voit que c’est le résultat de plusieurs idées qui ont été mises ensemble. Et surtout, c’est la rencontre des résultats, résultats d’une réflexion assez profonde, qui montre combien le monde est en train de bouger. Donc à partir de là, nous pensons que le Burundi peut tirer des leçons pour voir ce qui sera nécessaire au pays, qui est en développement.

Sputnik: Quel bilan faites-vous de cette première journée?

Domitien Ndihokubwayo: On a la très bonne impression qu’on aura beaucoup d’éléments pour nourrir son esprit et que peut-être, à la fin, on aura beaucoup gagné. Ce qui est très important, c’est de voir comment les autres ont pu arriver là où ils en sont et ce que nous pourrions faire pour en tirer profit. Nous allons tirer les leçons de ce que les autres ont fait pour faire avancer les choses dans notre société au Burundi.

Sputnik: La crise sanitaire a eu un impact qui a coûté 150 milliards de francs burundais au Burundi. Vous avez annoncé en janvier que les échanges avec les autres pays ne se déroulent pas comme avant. Comment évaluez-vous la situation économique actuelle, six mois plus tard?

Domitien Ndihokubwayo:En effet, nous avons annoncé en janvier que la pandémie de Covid-19 avait eu un impact important — comme dans tous les pays du monde — de 150 milliards de francs burundais. Aujourd’hui, nous pouvons dire que le pays a eu de la chance, mais cette chance provient du fait que le gouvernement avait adopté une bonne stratégie face au Covid. La pandémie n’a pas pu s’étendre avec une trop grande ampleur sur la population. Il est vrai que l’on a connu des cas positifs, mais Dieu merci, ces cas ont pu être guéris et nous comptons peu de décès. La propagation de la pandémie n’a donc pas été aussi grave que l’on aurait pu le penser au départ. La population burundaise a donc continué à vaquer à ses activités et on a surveillé la situation pour pouvoir traiter les cas positifs et empêcher une plus grande propagation. Aujourd’hui, nous nous en félicitons: la population est au travail. Malheureusement, cela n’a pas empêché la diminution des flux commerciaux, les autres pays étant également confrontés au Covid-19. Il est donc normal que les échanges aient connu une forte diminution.

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Sputnik: Avez-vous pu partager votre stratégie avec les pays voisins?

Domitien Ndihokubwayo: Quand la pandémie a explosé, les stratégies étaient élaborées pays par pays, il n’y avait pas de stratégie unifiée. Au départ, ce qui comptait, c’était d’abord la survie de sa propre population dans les frontières mêmes du pays, ce n’était pas le moment de partager sa stratégie avec les autres. Aujourd’hui, la stratégie burundaise a donné des résultats qui sont satisfaisants et d’autres pays sont venus voir ce qui a été fait et essayer d’appliquer cela. Il est difficile de dire précisément quel pays s’est basé sur notre stratégie, car c’est plus une question d’adaptation culturelle — puisque la population burundaise vit à sa manière — qu’une question de copier-coller. Cela ne fait pas longtemps que les gens commencent considérer d’un autre œil ce que fait le Burundi. Le pays a montré qu’il peut suivre sa propre voie, bien évidemment, une voie partagée avec les autres, et ça a donné de bons résultats. Nous espérons que cela continuera. Le plus important, c’est que le Burundi continue à surveiller de près comment évolue la pandémie de Covid pour toujours adapter sa stratégie à la situation du moment.

Sputnik: Le gouvernement burundais prévoit-il l’achat de vaccins contre le Covid-19, que ce soit le vaccin russe Spoutnik V ou d’autres?

Domitien Ndihokubwayo: De par le passé, il y a peut-être eu une incompréhension parce qu’il y en a qui ont pensé que le Burundi allait rester isolé, qu’il n’allait pas acheter de vaccins. Mais le gouvernement a dit qu’il allait surveiller la situation pour voir son évolution. Au niveau des vaccins, une fois qu’il y aura un consensus, que le Burundi aura vu que c’est le moment d’acheter le vaccin, de vacciner — évidemment après en avoir expliqué à la population le bien-fondé parce que, comme j’ai déjà dit, il y a aussi des questions culturelles derrière et il faut que la population ait compris aussi. Le Burundi pourra alors passer à cette étape.

Sputnik: Donc il n’y a pas de préférence pour certains vaccins pour le moment?                              

Domitien Ndihokubwayo: Non, pour le moment, le Burundi ne s’est pas encore fixé pour un vaccin ou un autre.

Sputnik: Quels nouveaux projets importants le gouvernement burundais finance-t-il actuellement, parmi ceux vous voudriez souligner vous-même?

Domitien Ndihokubwayo: Il y a longtemps, on considérait le Burundi comme un pays sous-développé, un pays où règnent la faim, la pauvreté, etc. Aujourd’hui, le Burundi a décidé de sortir de ce schéma-là pour d’abord s’attaquer aux questions de développement. On a connu des guerres, on a connu des périodes de conflit, on a connu des périodes de transition, mais aujourd’hui le Burundi est résolu à s’attaquer aux questions de développement. Pour cela, plusieurs domaines sont prioritaires même si un prime sur les autres: l’agriculture. C’est le secteur qui doit être développé pour que chaque citoyen ait suffisamment à manger pour qu’on ne parle pas d’insécurité alimentaire au Burundi. C’est de là peut-être que les forces pour développer les autres secteurs pourront venir. À côté de l’agriculture, nous avons le domaine de la jeunesse. On doit donner l’espoir à la jeunesse pour que la jeunesse d’aujourd’hui ne puisse pas constituer un désespoir pour la jeunesse de demain. Investissement dans la jeunesse donc, mais aussi investissement dans la santé, l’éducation, etc. Je rappelle encore une fois qu’au Burundi, il y a un slogan, «que chaque bouche ait à manger et que chaque poche ait de l’argent», c’est ce qui nous pousse, et le Président nous a tous invités à y travailler.

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Sputnik: Emmanuel Macron a lancé il y a deux semaines un «New deal» pour aider financièrement l’Afrique. Comment évaluez-vous cette démarche? Pourrait-elle aider le Burundi à sortir de la crise post-Covid?

Domitien Ndihokubwayo: Sans vouloir commenter ce qu’a dit le Président français Emmanuel Macron sur un projet pour aider au développement de l’Afrique, je peux dire deux choses. On a beaucoup parlé de la pauvreté en Afrique et on a beaucoup parlé aussi de l’aide des pays développés aux pays sous-développés, y compris le Burundi. Mais 60 ans après, on n’a pas encore vu le développement de l’Afrique. Donc je m’interroge sur le projet d’une aide qui développera l’Afrique sans que l’Afrique ait participé au développement de ce projet-là. Mon point de vue, c’est que l’Afrique doit s’asseoir elle-même à une table pour pouvoir élaborer son propre schéma de développement. Ce n’est pas à un autre pays de le faire, au risque que les résultats ne soient pas tout à fait satisfaisants. Donc à mon avis, si je parle pour le Burundi tout du moins, les Burundais ont pris les choses en main pour pouvoir dessiner leur propre chemin de développement: ce qui est valable ici n’est pas forcément ce qui est préféré par les autres.

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