Algérie: des salafistes chassés de deux villages de Kabylie

En Algérie, des villageois de Kabylie ont banni des islamistes radicaux de leurs localités. Objectif: soustraire les assemblées de village et la mosquée de l’emprise des salafistes. Un ancien maire pointe du doigt le jeu trouble des autorités et l’absence de la société civile et des partis démocrates qui ont fait le lit de ces islamistes.
Sputnik

Tighozratine et Iguer Amar ne veulent plus entendre parler des salafistes. Les habitants de ces deux hameaux de la vallée de la Soummam, dans la wilaya (département) algérienne de Béjaïa (Est) ont pris la décision de chasser les islamistes radicaux. Braham Bennadji, ancien maire de Tinebdar, dont relèvent administrativement Tighozratine et Iguer Amar, en a fait l’annonce sur sa page Facebook.

Guerre des mosquées

Les décisions d’expulsion ont été prises vendredi 28 mai par les tajmaât (assemblées de villages, système de gouvernance traditionnel) de Tighozratine et d’Iguer Amar. Le nombre d’individus concernés par cette décision n'est pas connu. Braham précise qu'il s'agit d'un «groupe de personnes» à Tighozratine et de «quelques barbus» à Iguer Amar.

Courant ultra-conservateur très présent dans les grandes villes d’Algérie, le salafisme tente depuis une quinzaine d’années de s’installer en Kabylie, notamment en milieu rural. Une stratégie qui a éclaté au grand jour dès 2010 avec l’affaire de la mosquée d’Aghrib, commune de la wilaya de Tizi-Ouzou qui été au centre d’un conflit entre les villageois et des islamistes radicaux regroupés au sein d’une association religieuse.

Contacté par Sputnik, Braham Bennadji dénonce «une offensive aux visées politiques» qui passe par le contrôle des mosquées de village et la déstabilisation des assemblées villageoises.

«En premier lieu, les salafistes visent la mosquée du village et font en sorte de marginaliser les anciens imams qui pratiquent un islam traditionnel modéré. Généralement, la prise de pouvoir du lieu de culte se déroule avec la complicité de la direction des affaires religieuses qui est chargée de la nomination administrative des imams. Nous avons véritablement l’impression que l’administration et des structures satellites du pouvoir encouragent le phénomène salafiste en Kabylie», souligne Braham Bennadji. 
Trois ans ferme: verdict du procès en inquisition contre un universitaire algérien

La "complaisance" relevée par Braham fait écho à une idée partagée par beaucoup d'observateurs selon laquelle le courant salafiste aurait gangréné certaines administrations, notamment les affaires religieuses, et chercherait à utiliser les moyens de l'Etat pour étendre son influence.

Selon Braham, le profil de ces islamistes est généralement le même. «Ils sont originaires de la région. Ils reviennent en Kabylie après avoir fait des études en sciences islamiques. Ils sont donc formés idéologiquement », assure-t-il.

«D’autres ne passent pas par l’université, mais reviennent dans leur région pour ouvrir des commerces. Cette situation soulève de nombreux questionnements, notamment sur la provenance des fonds qui leur permettent d’avoir une telle activité. Le travail d’influence se déroule par étapes, en commençant pas les personnes qui sont dans le besoin et qui ont des problèmes familiaux. Ils profitent de la vulnérabilité de certains villageois pour élargir leur base», ajoute Braham Bennadji.

Absence des démocrates

Ancien maire de Tinebdar qui a également été député, mandats qu’il a assumés en qualité d’élu indépendant, Braham Bennadji est membre fondateur du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) en 1989. Il a fini par quitter ce parti démocrate en 2007 «car il avait dévié de ses principes fondateurs». Il estime que l’offensive des salafistes en Kabylie est, en partie, à mettre sur le compte du retrait de l’espace social «des partis démocrates et du mouvement associatif».

«Les responsabilités sont partagées. Leur absence a fait le lit des promoteurs de l’islam radical dans la région. Les salafistes ont su tirer profit de ce vide», regrette l’ancien élu.

En Algérie: condamné à 10 ans de prison à cause d’une page manquante dans un Coran?
Braham Bennadji, qui était menacé, dans les années 1990, par les terroristes présents dans la région de Béjaïa, appelle à «une véritable prise de conscience de la population, notamment dans les villages qui doivent faire preuve de vigilance à travers les tajmaât»

Discuter