Est-il vrai que la France entend, sous couvert de concessions à Belgrade, faire reconnaître le Kosovo par la Grèce?

Selon un expert serbe, si la volonté de Macron de marquer des points dans le domaine diplomatique en résolvant la question du Kosovo est tout à fait compréhensible, le plan de règlement du conflit qui serait développé par la France est plein de pièges et de bizarreries.
Sputnik

Ce plan a été annoncé hier dans une interview accordée à TV Klan Kosova par Artan Behrami, conseiller de l'ancien Président du Kosovo, Hashim Thaçi. Selon lui, Paris propose un accord intérimaire entre Belgrade et Pristina sans reconnaissance mutuelle, une autonomie pour le nord du Kosovo et l'élargissement des droits de l’Église orthodoxe serbe pour les Serbes, ainsi que la reconnaissance par la Grèce et la libéralisation du régime des visas pour les Albanais du Kosovo. Behrami affirme que Bruxelles soutient cette démarche.

«Selon les informations à ma disposition, l'Allemagne déclare forfait à cause des élections et l'Amérique a délégué les pouvoirs concernant le dialogue entre Belgrade et Pristina à Bruxelles. L'idée de la France est de signer un accord intérimaire comme celui de Washington. Mais, pour le Kosovo, c'est une idée qui est néfaste, car elle implique une autonomie pour le nord et plus de droits pour l'Église [orthodoxe serbe, ndlr]», a affirmé l’ancien conseiller du Président Thaçi, lequel est actuellement poursuivi par la justice pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité.

Aujourd'hui, le 26 mai, le Président serbe, Aleksandar Vucic, rencontre l'ambassadeur français Jean-Louis Falconi, les résultats de cette réunion n'ont pas encore été rendus publics. Le chef de la diplomatie grecque, Nikos Déndias, se rendra au Kosovo début juin, rapportent les médias albanais, citant une confirmation de la part du ministère grec des Affaires étrangères.

Qui en bénéficiera?

Évoquant le contenu éventuel du plan français, Dusan Gujanicic, expert en politique française de l'Institut d'études politiques de Belgrade, se demande ce que la Grèce recevra en échange de la reconnaissance du Kosovo:

«Que la Grèce vient-elle faire dans ce jeu? C'est l'un des cinq pays de l'UE qui n'a pas reconnu l'indépendance du Kosovo et, je crois, elle ne le fera pas, malgré toutes les rumeurs selon lesquelles la Grèce est un "maillon faible" et pourrait céder. Il me semble que ces rumeurs ont peu de choses à voir avec la réalité.»

Selon l'interlocuteur de Sputnik, l'indication du caractère temporaire de l'accord soulève également des questions:

«Les accords intérimaires ne contribuent à aucune stabilité. En fait, ils ne résolvent rien du tout. L'application de ces accords dans la pratique semble également être très problématique. Tout d'abord, ils font le jeu de ceux qui les proposent: ces forces, qui reçoivent ainsi une raison de se vanter de leurs propres succès diplomatiques.»

Libéralisation des visas: un leurre avec une perspective vague

Les choses ne sont pas si simples non plus avec la libéralisation des visas, que Pristina attend avec impatience. Cependant, le récent dialogue entre Bernard Nikaj, ancien ambassadeur de Pristina à Paris, et Gérard Araud, diplomate français, ancien ambassadeur aux États-Unis et représentant de la France auprès de l'Onu, montre que cette perspective est assez floue. Au tweet de Nikaj sur l'annulation des visas pour le Kosovo en 2022, Araud a répondu que, compte tenu des prochaines élections, c’était à rêver.

Gujanicic note que, contrairement à l'Allemagne, les élections principales en France n'auront pas lieu cette année, elles auront lieu au printemps 2022, mais on peut supposer que la campagne a déjà commencé. Quant à l'ancien conseiller de l'ex-Président du Kosovo, qui a parlé du plan français aux médias, il a noté que la remarque d'Araud faisait partie d'une «tactique de négociation».

L'expert dit que, hormis le désir de Macron de montrer comment Paris et lui-même peuvent contribuer à résoudre des questions internationales tordues, il ne voit aucune raison pour laquelle la France pourrait s'y intéresser. Dans le même temps, selon Gujanicic, la proximité des échéances électorales contribuera à ce qu'une part importante de la politique étrangère et intérieure de Macron soit coordonnée avec sa volonté d’arracher un second mandat.

Paris ne fait-il pas autorité pour Pristina?

L'interlocuteur de Sputnik doute que les Albanais du Kosovo soient enclins à prêter l’oreille à l'opinion de Paris:

«Je pense que l'influence de Paris sur Pristina est très limitée. Bien que la France ait été l'une des premières à reconnaître l'indépendance du Kosovo, je ne suis pas sûr que ce soit Paris qui soit le maillon de la chaîne européenne dans lequel le camp albanais voit son patron et sur lequel il compte.»

Selon Behrami, on peut s'attendre à une discussion de ce plan, prétendument proposé par la France, lors d’une rencontre entre le Président serbe, Aleksandar Vucic, et le Premier ministre kosovar Albin Kurti, qui, selon des données non officielles, devrait avoir lieu en juin à Paris.

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