Des chiffres qui donnent le tournis. Alors qu’il a récemment évalué à 45.000 le nombre de faillites en 2021 en France, le géant de l’assurance-crédit Euler Hermès s’est cette fois attaqué au problème de la dette. Un sujet qui concernait déjà plusieurs pays de la zone euro avant la pandémie et le Covid-19 n’a rien arrangé.
Euler Hermès estime, dans une étude publiée ce 20 mai, que pour la France, l’Italie et l’Espagne, «un retour au niveau de la dette publique rapportée au PIB d’avant la crise d’ici à 2035 n’est clairement pas envisageable». Paris doit composer avec une dette publique qui a atteint «son niveau le plus élevé depuis 1949» en 2020, comme le soulignait le 26 mars dernier l’Insee.
Des décennies pour effacer des mois de pandémie
Elle a ainsi atteint le chiffre record de 2 650,1 milliards d’euros, soit 115,7% du PIB. Le déficit s’est quant à lui creusé de 9,2%, soit son niveau «le plus élevé depuis 1949». Le 3 mai, le ministre de l’Économie Bruno Le Maire déclarait sur RTL que la politique du «quoi qu’il en coûte» prônée par Emmanuel Macron pour faire face à la crise avait coûté la bagatelle de 168 milliards d’euros à l’État en 2020.
Un chiffre qui a forcément pesé sur la dette publique. Celle de l’ensemble des pays de la zone euro a augmenté d’environ 2.000 milliards d’euros, soit 17 points de PIB en deux petites années. Du côté de l’Italie, le déficit public a culminé à 9,5% et la dette a atteint en 2020 155,6% du PIB. En zone euro, seule la Grèce fait pire, avec un ratio dette/PIB qui dépasse les 200%.
La situation n’est pas idyllique non plus du côté de l’Espagne. D’après des données publiées par la Banque d’Espagne, Madrid a vu sa dette publique s’envoler de 10,3% en 2020. Alors que le ratio dette/PIB représentait moins de 100% fin 2019 (95,5%), il dépasse désormais le seuil symbolique des 100% (117,1% fin 2020).
D’après Euler Hermès, Paris, Rome et Madrid mettront longtemps, très longtemps avant de revenir à leur niveau d’endettement d’avant-crise. Le leader de l’assurance-crédit estime qu’en se basant sur l’hypothèse que la croissance du PIB et les déficits primaires seraient comparables à ce qu’ils étaient entre 2000 et 2019, l’Espagne aurait besoin de 89 ans pour revenir à un niveau d’endettement pré-Covid. Un chiffre absolument saisissant.
La France fait à peine mieux: 67 ans. Nos voisins italiens, pourtant pas habitués à briller par leur orthodoxie budgétaire, ont réussi à dégager un excédent primaire lors des 20 dernières années. Résultat: il ne leur faudrait «que» 26 ans pour faire de même. Comme le rappellent nos confrères des Échos, «le calcul est purement théorique». L’étude est d’ailleurs critiquée par plusieurs experts, notamment l’économiste de l’OFCE Henry Sterdyniak.
Elle n’en demeure pas moins une indication supplémentaire que la pandémie de Covid-19 pèsera encore de très nombreuses années sur les finances des pays États. Euler Hermès assure que même dans le cas où l’exécutif français ferait des choix résolument dirigés vers la baisse du niveau de dette, celle liée au Covid-19 mettrait tout de même 34 ans à être absorbée. Quant à nos voisins allemands, ils font encore office de bons élèves. D’après le spécialiste de l’assurance-crédit, ils retrouveraient leur niveau d’endettement d’avant la pandémie d’ici à 2028.
De quoi donner du grain à moudre à ceux qui parlent de décrochage économique français? Sûrement. Reste que la situation n’est pas forcément dramatique. La Banque centrale européenne (BCE) fait tout pour aider les pays de la zone euro à surmonter cette crise. L’institution monétaire dirigée par Christine Lagarde a mis en place un programme d’achat de titres d’urgence (PEPP pour Pandemic Emergency Purchase Programme) doté d’une enveloppe de 1.850 milliards d’euros. De plus, elle a maintenu son principal taux d’intérêt à zéro.
Tant que la BCE rachète massivement les dettes des États et que les taux sont proches de zéro, la situation est gérable sans vraiment sentir la douleur. Les espoirs de reprise économique se sont cependant accompagnés de légères tensions sur les taux d’intérêt. Comme le souligne Europe 1, «avant le Covid, l’État français pouvait emprunter de l’argent sur 10 ans à taux négatif, à environ -0,30%». Ce 21 mai à 15h10, il est repassé en territoire positif (0,232). Cela reste proche de zéro mais une tendance se dessine.
La BCE au centre des attentes
De nombreux économistes estiment par ailleurs que la politique monétaire ultra accommodante de la BCE devra à un moment donné prendre fin. Les récentes craintes liées à un retour de l’inflation pourraient précipiter le tour de vis. Si elle a fortement augmenté en avril aux États-Unis –atteignant +4,2% sur un an, soit un record depuis 13 ans–, elle a également accéléré dans plusieurs pays européens tels la France (1,2%) et l’Allemagne (2%).
Un resserrement de la politique monétaire de la BCE serait fortement susceptible d’entraîner une hausse des taux qui rendrait davantage problématique la question de la dette publique. Un scénario qui ne ferait pas les affaires de la France et de plusieurs de ses voisins. De plus, les règles budgétaires européennes vont avoir droit à un coup de neuf en 2022. La BCE devrait arrêter de financer les déficits publics. «C’est à ce moment-là que la contrainte budgétaire va réapparaître», prévient dans Les Échos l’économiste Patrick Arthus, également directeur de la recherche et des études de Natixis.
Pour le moment, la BCE fait tout pour se montrer rassurante. Ce 21 mai, Christine Lagarde a affirmé qu’il était trop tôt pour que l’institution qu’elle dirige démarre des discussions visant à réduire l’enveloppe du PEPP. «Nous sommes déterminés à préserver des conditions de financement favorables en utilisant l’enveloppe du PEPP, et à le faire au moins jusqu’en mars 2022», a-t-elle déclaré lors d’une conférence de presse. Et d’ajouter «qu’il est bien trop tôt et en fait inutile de débattre de questions à plus long terme».
De quoi apporter un peu de répit à Paris, Rome, Madrid et les autres.