Risques d’inflation galopante au Canada: «les inquiétudes sont fondées»

Hausse des prix à la consommation, taux d’intérêt anormalement faibles… des observateurs craignent de plus en plus que les Canadiens ne soient frappés à terme par l’inflation. Pour l’économiste Germain Belzile, si l’État fédéral continue d’engendrer de si grands déficits budgétaires, le pays de l’érable n’est pas à l’abri d’une récession. Entrevue.
Sputnik

Le Canada bientôt frappé par l’inflation? C’est l’une des hypothèses en vogue depuis que la pandémie de Covid-19 a pointé le bout de son nez. Le 21 avril dernier, Statistique Canada annonçait que l’indice des prix à la consommation était en hausse de 2,2% en mars par rapport au même mois de l’année précédente. Ces derniers jours, des économistes ont invité à se montrer prudent avant de conclure à la catastrophe, mais Germain Belzile, contacté par Sputnik, se veut moins rassurant.

Taux d’intérêt «anormalement faibles», un mauvais présage?

Économiste bien connu au Canada, il souligne d’entrée de jeu que plusieurs aliments ont déjà augmenté en épicerie, signe concret des impacts économiques du confinement. Selon lui, le maintien de taux d’intérêt «anormalement faibles» par la Banque du Canada pourrait, entre autres facteurs, contribuer à détériorer la santé de l’économie canadienne.

«Une explosion de l’inflation n’est pas un scénario impossible, les inquiétudes sont fondées. Il ne faut pas être exagérément alarmiste, mais il faut certainement rester vigilant. […] Quand la demande est en hausse et que l’offre diminue, la règle veut que le coût de la vie augmente. Actuellement, la forte progression des prix des matériaux de construction et du bois illustre cette tendance», explique-t-il.

Mais ce que craint le plus Germain Belzile, ce sont les effets à moyen et long terme des déficits budgétaires des Libéraux, dirigés par le Premier ministre fédéral Justin Trudeau. Durant la pandémie, ils ont multiplié les programmes d’aides en tous genres et les dépenses de manière, ont-ils expliqué, à stimuler l’économie pour compenser les impacts négatifs des mesures sanitaires.

La Fed est-elle en train de tuer le dollar? Les conséquences pourraient être «sévères»
La vice-Première ministre et ministre des Finances, Chrystia Freeland, s’est justifiée à l’occasion du dépôt du dernier budget:

«Dans le contexte actuel où les taux d’intérêt sont faibles, non seulement nous pouvons nous permettre ces investissements dans l’avenir du pays, mais il serait peu judicieux de notre part de ne pas les faire. Notre décision l’an dernier d’aider les Canadiens –à coût élevé bien sûr– est déjà fructueuse.»

Ce dernier budget comprend un plan de relance de 100 milliards de dollars canadiens. Selon les projections, d’ici à cinq ans, la dette fédérale canadienne pourrait représenter le double de ce qu’elle totalisait avant la première vague du virus et ainsi atteindre 1.411 milliards de dollars.

Déficits budgétaires à gogo à Ottawa

Maître d’enseignement à l’École des hautes études commerciales de Montréal (HEC), Germain Belzile juge inconséquente cette politique budgétaire, laquelle «refilerait la facture aux prochaines générations».

«Il y a une grande insouciance de la part des Libéraux de Trudeau dans la gestion des finances publiques. […] Conjuguée au vieillissement de la population et à l’augmentation des coûts en santé, l’accumulation des déficits pourrait nous plonger dans une situation délicate. […] 8% des taxes et impôts qui vont au fédéral servent seulement à payer les intérêts sur la dette [… ]. Les gens ont commencé à avoir peur d’acheter des obligations de la dette canadienne», observe l’économiste.

Ces dernières semaines, l’augmentation faramineuse du prix du bois au Canada, laquelle peut aller jusqu’à 300% en fonction du type d’essence, a été déplorée dans les médias. Alors que le marché de la construction s’apprête à reprendre son envol, la pénurie de matériaux de base pourrait avoir de lourdes conséquences sur les finances des Canadiens.

Germain Belzile précise toutefois que sur ce plan, le Canada subit encore aujourd’hui les contrecoups de la crise financière mondiale de 2007-2008. Aux États-Unis, de nombreuses usines de transformation du bois et autres matériaux avaient alors dû fermer leurs portes, réduisant l’offre dans le pays voisin.

Sur une note, l’économiste invite d'ailleurs à ne «jamais prendre pour acquise» la bonne santé de l’économie canadienne:

«Aucun pays n’est totalement à l’abri d’une forte inflation et d’une épidémie d’impression de monnaie. C’est toujours quelque chose qui peut survenir à nouveau si l’on ne fait pas attention», insiste-t-il.
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