Lundi 17 mai, à Paris, s’est tenue la Conférence des Amis du Soudan à l’initiative d’Emmanuel Macron. Cette conférence internationale d'appui à la transition soudanaise a réuni des dizaines de dirigeants d'États africains, européens, du Golfe et asiatiques, ainsi que des organisations internationales comme le FMI, la Banque mondiale, l’Union africaine (UA), l’Onu et l’Union européenne (UE). Outre le Président soudanais Abdel Fattah Al-Burhan, ses homologues, entre autres d'Égypte et d'Éthiopie, ont également pris part à ce sommet aux côtés des chefs de la diplomatie de l’Allemagne, de l’Italie, de l’Arabie saoudite, des Émirats arabes unis, du Qatar, du Koweït, de la Chine, du Japon et de la Russie.
Le lendemain, un sommet sur les économies africaines a également réuni une quinzaine de dirigeants africains, de hauts responsables européens et des organisations internationales.
En plus d’un prêt de 1,5 milliard de dollars, la France a décidé d’annuler la créance de cinq milliards de dollars du Soudan qui ploie sous une dette de près de 60 milliards de dollars, détenue à près de 40% par le Club de Paris.
Dans un entretien à Sputnik, le Dr Abdelkader Soufi, enseignant-chercheur en géopolitique et politiques de Défense, explique que «cette région est devenue hautement stratégique pour les grandes puissances mondiales qui cherchent à se positionner en Afrique, un continent en pente ascendante en termes de croissance et de développement».
Un «évènement majeur»
Afin de cerner les enjeux de la nouvelle dynamique diplomatique et économique des puissances occidentales, notamment de la France, des États-Unis et du Royaume-Uni dans la région de la Corne de l’Afrique et de l’Afrique centrale et subsaharienne, le Dr Soufi estime nécessaire de mettre en perspective l’accord militaire conclu entre la Russie et le Soudan en novembre 2020.
En effet, «Moscou et Khartoum ont signé un accord relatif à la construction d’une base militaire navale logistique à Port-Soudan, sur les côtes de la mer Rouge, dans le but de soutenir le déploiement de la marine russe - présente depuis plus de dix ans en Méditerranée orientale - au large de la Corne de l’Afrique, dans le golfe Persique et dans l’océan Indien», affirme l’expert, soulignant que «cette base va permettre de faire une jonction avec celle de Tartous en Syrie via le canal de Suez […]. Ceci en plus de l’accès qu’elle donne à la Russie sur le golfe d’Aden via le détroit de Bab El-Mandeb».
Dans le même sens, le spécialiste indique que «cet accord est à ajouter à la présence militaire russe en République centrafricaine, pays auquel elle a dernièrement livré une importante cargaison d’armes légères».
Dans ce contexte, le Dr Abdelkader Soufi fait remarquer «que quelques semaines après l’accord russo-soudanais, le Président Donald Trump a annoncé en janvier 2021 le retrait du Soudan de la liste des pays sponsor du terrorisme international sur laquelle il figurait depuis 1993, en plus d’une aide financière d’un milliard de dollars pour rembourser sa dette à la Banque mondiale, de 1,6 milliard de dollars. Le tout dans le sillage d’un accord de normalisation de ses relations avec Israël».
Ainsi, le Dr Soufi explique que «la Conférence de Paris s’inscrit dans la même logique, visant à ouvrir des espaces aux Américains, aux Français et autres pour contrer la présence de la Russie mais aussi de la Chine».
Et d’ajouter que c’est dans ce sens «qu’il faut analyser la campagne médiatique lancée fin avril par certains médias, dont Al-Ain, Al-Arabiya et Sky News Arabia, connus pour leur accointance avec les services américains annonçant une suspension de l’accord militaire entre la Russie et le Soudan. Chose que l’ambassade de Russie à Khartoum a tout de suite réfutée […]. Ce n’est également pas un hasard si en mars un navire de guerre américain a effectué un arrêt à Port-Soudan, un jour seulement après l’arrivée d’une frégate russe».
Quid des enjeux économiques et géostratégiques?
Par ailleurs, l’expert assure que le retour en force des puissances occidentales au Soudan a également en ligne de mire les intérêts et les enjeux économiques.
«La réappropriation du Soudan particulièrement par les États-Unis, la France et le Royaume-Uni, en comptant sur l’intervention de leurs alliés du Golfe auprès des dirigeants soudanais, va créer une situation géopolitique inédite dont le but est de se positionner en interlocuteurs incontournables avec la Chine, l’Inde et la Russie pour tout projet économique en Afrique, notamment celui de la Route de la soie», avance l’enseignant-chercheur.
En effet, selon lui, «l’Afrique sera divisée en deux parties, le Nord et le Sud, via une bande formée par un ensemble de pays: la Mauritanie, le Mali, le Niger, le Tchad, le Soudan, l’Érythrée et Djibouti, tous se trouvant sous influence française, américaine et britannique». Ainsi, «La présence militaire américaine et française dans cette bande va permettre le contrôle de toutes les voies terrestres et ferroviaires reliant les pays d’Afrique du Nord à ceux de l’Afrique centrale et du sud, ce qui va donner un poids important à ces pays dans toutes les négociations avec la Chine ou la Russie».
Dans le même sens, il souligne que «la Route de la soie qui passera par le port d’El-Hamdania (avec 6,5 millions de conteneurs et 25,7 millions de tonnes de marchandises par an) en Algérie, dont la construction en collaboration avec la Chine vient d’être relancée, en direction des pays du Sahel, via la route transsaharienne où les voies ferrées, sera ainsi soumise aux tentatives de contrôle par les Occidentaux».
Enfin, le Dr Soufi évoque «le mégaprojet de corridor de transport Lamu-Soudan du Sud-Éthiopie (LAPSSET) qui ambitionne de relier le Kenya à l’Éthiopie, à l’Ouganda et au Soudan du Sud, dont la Chine a remporté plusieurs parties. Ce projet de 25 milliards de dollars prévoit de relier les quatre pays par une voie ferrée, une autoroute, un oléoduc et un câble de fibre optique. Il comprend également plusieurs aéroports, des stations balnéaires, une raffinerie de pétrole, un port à Lamu».
«La voie ferrée du projet LAPSSET permettra de rejoindre par la suite le corridor d’Afrique de l’Ouest Douala-Lagos-Cotonou-Abidjan qui traverse le Cameroun, le Nigeria, le Bénin, le Togo, le Ghana et la Côte d’Ivoire, dont le meilleur trajet est celui qui passe par la République centrafricaine», ponctue-t-il.
Et de conclure: «la déstabilisation de la frontière entre le Tchad et la République centrafricaine porte un coup dur à la construction par les entreprises russes de l’oléoduc reliant la région de Kouilou (sur le golfe de Guinée) au nord de la République populaire du Congo avec des possibilités d’exportation vers les pays du nord, dont le Tchad».