«La France a pris ses distances vis-à-vis de Washington», estime Riadh Sidaoui, directeur du Centre arabe de recherches et d’analyses politiques et sociales (CARAPS).
«Nous avons été clairs et cohérents sur le fait que nous nous concentrons sur les efforts diplomatiques intensifs en cours pour mettre fin à la violence et que nous ne soutiendrons pas les actions qui, selon nous, sapent les efforts en faveur d’une désescalade», a rétorqué une porte-parole de la mission américaine à l’Onu.
Une indication claire que les États-Unis useront de leur droit de veto si jamais cette résolution était soumise à un vote. Rien d’étonnant: ce serait la quatrième fois consécutive en dix jours que les Américains empêcheraient le Conseil de sécurité d’instaurer un cessez-le-feu à Gaza.
Trois veto américains au Conseil de sécurité depuis le 10 mai
Il s’agit là de la première confrontation publique entre les deux alliés transatlantiques depuis l'arrivée au pouvoir de Joe Biden. Le nouveau Président avait pourtant promis un réengagement américain dans la diplomatie multilatérale et auprès de ses partenaires traditionnels.
La résolution est née d’échanges entre Emmanuel Macron, son homologue égyptien, Abdel Fattah al-Sissi, et le roi de Jordanie, Abdallah II. Selon Paris, le projet d’accord comporte «trois éléments simples»: «Les tirs doivent cesser, l'heure est au cessez-le-feu et le Conseil de sécurité des Nations unies doit se saisir de la question.»
«Victoire» symbolique pour la cause palestinienne
Derrière cette tentative, la stratégie française n’aurait toutefois pas vocation à mettre un terme aux effusions de sang, estime Riadh Sidaoui. Rien ne porterait à croire que Washington change, comme par enchantement, de stratégie et vote cette nouvelle résolution. Selon le chercheur, le but de la stratégie française est ailleurs:
«Cette tentative vaine de la France est aussi un moyen de se racheter à moindre coût auprès des peuples arabes.»
Dans le monde arabo-musulman, la popularité du Président français et du drapeau tricolore a effectivement pris du plomb dans l’aile ces deux dernières années.
«En présentant cette résolution mort-née, l’appareil diplomatique français peut, sans déployer d’importantes ressources diplomatiques ou autres, montrer au monde arabe qu’il se tient à ses côtés, avec la Jordanie et l’Égypte, face aux États-Unis», analyse notre interlocuteur.
En inscrivant un désaccord entre Paris et Washington sur la situation à Gaza, l’appareil diplomatique français renverrait ainsi les observateurs à une image de «la France gaullienne ou chiraquienne», plus indépendante à l’égard des États-Unis, estime Riadh Sidaoui.
Historiquement, «la France a souvent été proche de la cause palestinienne et arabe. Et ce, depuis le général de Gaulle. Ses positions ont souvent été distinctes de celles des États-Unis. Cela a continué travers des chefs d’État gaullistes comme Jacques Chirac», ajoute-t-il.Même si «la France reste également un État occidental qui soutient Israël et il ne faut pas le négliger», tempère-t-il.
«Les résolutions du Conseil de sécurité peuvent ne pas être respectées»
Il n’en demeure pas moins vrai qu’une division entre la France et les États-Unis sur la question gazaouie représente au moins un micro-succès pour les habitants de la bande et la partie du monde arabo-musulman qui n’a pas abandonné la cause palestinienne.
«Il y a une forme de victoire pour les Palestiniens, puisqu’une puissance occidentale comme la France, qui représente d’une certaine manière l’Union européenne, se distancie de la position des États-Unis à l’Onu sur le conflit israélo-palestinien», affirme le directeur du CARAPS.
Et si, par miracle, cette résolution était votée au Conseil de sécurité, il faudrait un second prodige, sur le terrain cette fois: «Une résolution onusienne vaut ce qu’elle vaut», constate à regret Riadh Sidaoui, qui rappelle que «les résolutions du Conseil de sécurité peuvent ne pas être respectées».
«Au nom de sa sécurité nationale, Israël n’a pas respecté la résolution 242, votée par le Conseil de sécurité en 1967, qui demandait le retrait israélien du Golan et nombre d’autres résolutions», rappelle notre interlocuteur.
Mais, pour Paris, la mission serait déjà accomplie. L’objectif diplomatique et symbolique serait déjà atteint.