Conflit à Gaza: en proposant un cessez-le-feu à l’Onu, la France veut aussi «se racheter auprès des peuples arabes»

Sans surprise, Washington va refuser la proposition de cessez-le-feu que la France, l’Égypte, la Jordanie et la Tunisie souhaitent faire passer au conseil de sécurité de l’Onu. Une tentative française de rupture avec Washington et de séduction des populations arabes, estime le géopolitologue Riadh Sidaoui.
Sputnik
«La France a pris ses distances vis-à-vis de Washington», estime Riadh Sidaoui, directeur du Centre arabe de recherches et d’analyses politiques et sociales (CARAPS).

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«Pays de l’Otan, européen et allié des États-Unis», Paris s’engage dans un bras de fer avec Washington pour mettre en place un cessez-le feu à Gaza. Les États-Unis ont néanmoins prévenu ce 19 mai qu’ils ne répondraient pas favorablement au projet de résolution proposé la veille par la France, la Jordanie, la Tunisie et l’Égypte au conseil de sécurité de l’Onu. Le texte, qui n’est pas encore ouvertement en circulation auprès des quinze membres du conseil, «exige une cessation immédiate des hostilités» et «appelle à la fourniture et à la distribution sans entraves d'une aide humanitaire dans tout Gaza».

«Nous avons été clairs et cohérents sur le fait que nous nous concentrons sur les efforts diplomatiques intensifs en cours pour mettre fin à la violence et que nous ne soutiendrons pas les actions qui, selon nous, sapent les efforts en faveur d’une désescalade», a rétorqué une porte-parole de la mission américaine à l’Onu.

Une indication claire que les États-Unis useront de leur droit de veto si jamais cette résolution était soumise à un vote. Rien d’étonnant: ce serait la quatrième fois consécutive en dix jours que les Américains empêcheraient le Conseil de sécurité d’instaurer un cessez-le-feu à Gaza.

Trois veto américains au Conseil de sécurité depuis le 10 mai

Il s’agit là de la première confrontation publique entre les deux alliés transatlantiques depuis l'arrivée au pouvoir de Joe Biden. Le nouveau Président avait pourtant promis un réengagement américain dans la diplomatie multilatérale et auprès de ses partenaires traditionnels.

La résolution est née d’échanges entre Emmanuel Macron, son homologue égyptien, Abdel Fattah al-Sissi, et le roi de Jordanie, Abdallah II. Selon Paris, le projet d’accord comporte «trois éléments simples»: «Les tirs doivent cesser, l'heure est au cessez-le-feu et le Conseil de sécurité des Nations unies doit se saisir de la question

«Victoire» symbolique pour la cause palestinienne

Derrière cette tentative, la stratégie française n’aurait toutefois pas vocation à mettre un terme aux effusions de sang, estime Riadh Sidaoui. Rien ne porterait à croire que Washington change, comme par enchantement, de stratégie et vote cette nouvelle résolution. Selon le chercheur, le but de la stratégie française est ailleurs:

«Cette tentative vaine de la France est aussi un moyen de se racheter à moindre coût auprès des peuples arabes.»

Dans le monde arabo-musulman, la popularité du Président français et du drapeau tricolore a effectivement pris du plomb dans l’aile ces deux dernières années.

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En cause, les publications réitérées des caricatures du prophète reconnu par les musulmans et la loi séparatisme votée en février 2021 par l’Assemblée nationale, qui a largement été perçue au Moyen-Orient comme ostracisant les Français de confession islamique. Les deux événements ont même provoqué un boycott des produits français, qui a eu un impact économique limité et concernait en majorité les produits alimentaires.

«En présentant cette résolution mort-née, l’appareil diplomatique français peut, sans déployer d’importantes ressources diplomatiques ou autres, montrer au monde arabe qu’il se tient à ses côtés, avec la Jordanie et l’Égypte, face aux États-Unis», analyse notre interlocuteur.

En inscrivant un désaccord entre Paris et Washington sur la situation à Gaza, l’appareil diplomatique français renverrait ainsi les observateurs à une image de «la France gaullienne ou chiraquienne», plus indépendante à l’égard des États-Unis, estime Riadh Sidaoui.

Historiquement, «la France a souvent été proche de la cause palestinienne et arabe. Et ce, depuis le général de Gaulle. Ses positions ont souvent été distinctes de celles des États-Unis. Cela a continué travers des chefs d’État gaullistes comme Jacques Chirac», ajoute-t-il.Même si «la France reste également un État occidental qui soutient Israël et il ne faut pas le négliger», tempère-t-il.

«Les résolutions du Conseil de sécurité peuvent ne pas être respectées»

Il n’en demeure pas moins vrai qu’une division entre la France et les États-Unis sur la question gazaouie représente au moins un micro-succès pour les habitants de la bande et la partie du monde arabo-musulman qui n’a pas abandonné la cause palestinienne.

«Il y a une forme de victoire pour les Palestiniens, puisqu’une puissance occidentale comme la France, qui représente d’une certaine manière l’Union européenne, se distancie de la position des États-Unis à l’Onu sur le conflit israélo-palestinien», affirme le directeur du CARAPS.

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Si symbolique soit-elle, cette victoire resterait ainsi un succès, même si l’effet serait nul sur le terrain et sur les bombardements. Le but de la proposition ne serait donc pas d’obtenir un cessez-le-feu. Les négociateurs dans les couloirs de l’Onu en sont d’ailleurs conscients: si la menace d'un veto américain se précise, «la France n'ira pas jusqu'à mettre son texte au vote», prédit un diplomate cité par L’Express, sous couvert d'anonymat.

Et si, par miracle, cette résolution était votée au Conseil de sécurité, il faudrait un second prodige, sur le terrain cette fois: «Une résolution onusienne vaut ce qu’elle vaut», constate à regret Riadh Sidaoui, qui rappelle que «les résolutions du Conseil de sécurité peuvent ne pas être respectées».

«Au nom de sa sécurité nationale, Israël n’a pas respecté la résolution 242, votée par le Conseil de sécurité en 1967, qui demandait le retrait israélien du Golan et nombre d’autres résolutions», rappelle notre interlocuteur.

Mais, pour Paris, la mission serait déjà accomplie. L’objectif diplomatique et symbolique serait déjà atteint.

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