Agression d'institutrices dans le sud algérien: «La responsabilité de l’État est engagée»

Neuf enseignantes et une enfant de deux ans ont été agressées dans leur sommeil à Bordj Badji Mokhtar, ville de l’extrême sud algérien. Les agresseurs ont pénétré par effraction dans leur logement de fonction situé à l’intérieur de leur école. Les institutrices avaient attiré l’attention des autorités locales sur le problème de l’insécurité.
Sputnik

Nuit d’horreur à Bordj Badji Mokhtar, ville située à 2.200 kilomètres de la capitale. Durant la nuit du mardi 18 avril, neuf institutrices et une petite fille ont été agressées dans le logement de fonction qu’elles occupaient. Selon des syndicalistes de l’éducation de la wilaya d’Adrar (chef-lieu du département situé à 800 km au nord de Bordj Badji Mokhtar), quatre individus ont pénétré par effraction dans l’appartement à deux heures du matin. Les victimes ont été surprises dans leur sommeil.

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Contactée par Sputnik, Mounira, enseignante et syndicaliste qui a eu l’occasion de rencontrer brièvement les victimes lors de leur évacuation vers l’hôpital d’Adrar, revient sur le drame subi par ses collègues.

«Ces hommes avaient le visage masqué avec des chèches. Ils leur ont pris leurs téléphones portables et leur argent. Ensuite, ils ont menacé la petite fille avec un couteau et ont isolé les enseignantes l’une après l’autre dans une chambre. Ils ont utilisé l’enfant comme moyen de pression pour accomplir leur acte. Il est impossible de l’affirmer fermement, car nous ne savons pas ce qui s’est réellement produit, mais nous supposons qu’elles ont été victimes d’agressions sexuelles», affirme Mounira.

Enquête en cours…

Le viol a été mis en avant dans les médias et les réseaux sociaux dès que cette affaire a été rendue publique. Le déroulement des faits laisse supposer que les enseignantes ont été victimes d’agressions sexuelles. Une chose est sûre, les enseignantes et l’enfant ont subi une succession d’actes de violence durant plusieurs heures. «Les victimes sont dans un état physique et psychique déplorable. La petite fille refuse de quitter sa maman. Deux femmes ont été blessées par lame, l’une à la main et l’autre au visage», note Mounira.

Dans un communiqué rendu public mercredi, le procureur a fait état de l’interpellation de deux individus soupçonnés d’être membres du groupe d’agresseurs. Pour le corps enseignant, ce drame aurait pu être évité. Les institutrices de cette petite école primaire, distante de plusieurs kilomètres de la ville de Bordj Badji Mokhtar, avaient saisi à plusieurs reprises les autorités locales au sujet du problème de l’insécurité.

«Elles avaient adressé quatre correspondances pour dénoncer l’insécurité qui règne dans cet établissement situé en plein désert. Il y a eu des agressions dans les classes et dans l’enceinte de l’établissement en plus des multiples cambriolages de leur logement de fonction. Les responsables locaux sont au courant de tout. Elles ne demandaient que le recrutement d’un gardien pour assurer la sécurité au sein de l’établissement, notamment la nuit, ainsi que des patrouilles régulières de gendarmes. Mais aucune demande n’a été prise en considération», regrette Mounira.

Exode

Cet événement tragique a provoqué la colère au sein de la communauté de l’éducation à travers tout le pays. Tous les syndicats de ce secteur ont dénoncé les violences subies par les enseignantes, ainsi que les conditions de travail de l’ensemble de leurs collègues à travers les régions du sud du pays. À Adrar, les professionnels de l’éducation ont tenu un sit-in devant le siège de la wilaya. Le wali (préfet) n’ayant pas voulu les recevoir, ils ont organisé une marche jusqu’à la direction de l’académie. Soulef, qui enseigne l’anglais dans un petit village de la région, ne cache pas sa colère au micro de Sputnik.

«La situation est très grave. Plus aucune femme ne veut travailler à Bordj Badji Mokhtar, nous assistons depuis hier à un retour d’une grande majorité des enseignantes originaires d’Adrar. Nous avons peur, mais cette peur ne date pas d’aujourd’hui. J’ai moi-même été victime d’une agression lorsque je louai un appartement avec une collègue. Une nuit, nous avons été réveillées par un homme armé d’un couteau. Nous avons crié et il a fini par fuir. Il s’est avéré que c’était le père du propriétaire de l’appartement qui avait gardé un double des clés et s’est introduit», souligne Soulef.

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Amel Hadjadj, militante féministe et représentante de la Fondation du journal féministe algérien, estime que ce danger serait justement un désengagement des enseignantes de leur poste de travail. «Les appels pour ne plus envoyer des femmes travailler loin de chez elles se multiplient. C’est une erreur de lancer de telles idées, car la question de la sécurité n’a aucun lien avec la notion d’éloignement», insiste-t-elle.

«La responsabilité de l’État est engagée, c’est une évidence. Les travailleurs de l’éducation exigent des conditions de travail correctes et avant toute chose d’être en sécurité. Le cas des enseignantes de Bordj Badji Mokhtar n’est pas unique. Elles sont nombreuses à vivre dans des logements insalubres et dans l’insécurité. Il est impossible de promouvoir l’emploi féminin au sud du pays dans ces conditions», assure Amel Hadjadj.

La militante met en avant que les associations féministes doivent «soutenir les victimes ainsi que leurs collègues qui subissent à travers elles un véritable traumatisme». Amel Hadjadj appelle également à agir auprès des autorités afin de renforcer les lois et les dispositifs de protection des femmes.

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