À l'occasion des 20 ans de la loi Taubira du 21 mai 2001 qui définit la traite et l'esclavage perpétrés par les Européens comme «crime contre l'humanité», une équipe du CNRS a mis au point une base de données fonctionnant comme un moteur de recherche, révèle Le Figaro. Fruit de deux ans de travail, elle répertorie tous les propriétaires d'esclaves indemnisés après l'abolition.
Il est ainsi possible d’avoir accès à des informations biographiques sur des personnes qui possédaient des esclaves et le montant des indemnisations perçues en entrant une date (1825 ou 1849), un nom ainsi que le nom d’une ancienne colonie (Guyane, Guadeloupe, Haïti …) ou d’une ville.
Qui et combien
Les propriétaires d’esclaves qui estimaient avoir été spoliés de leur bien ont eu droit à une compensation financière après l'abolition de l’esclavage en 1848, rappelle le quotidien. La somme allouée se chiffrait entre 72 et 672 francs or par esclave, en fonction des prix sur le «marché local». En somme, près de 10.000 personnes ont reçu des indemnisations de l'État pour 126 millions de francs or.
Ce projet dissipe quelques idées reçues, constate Le Figaro. Par exemple, tous les propriétaires d'esclaves n'étaient pas riches et blancs. En Martinique, 30% d’entre eux étaient noirs ou métis. De plus, même des femmes possédaient des esclaves.
Le nouveau moteur de recherche montre que l'esclavage était simplement l’une des formes du capitalisme, attirant des spéculateurs cherchant à s’enrichir. C’était le cas de «certains propriétaires […] arrivés de métropole pour racheter à tour de bras des titres de propriété» après l'abolition pour toucher des indemnités, indique au Figaro Myriam Cottias, chercheuse au CNRS.
Des initiatives privées
Deux associations françaises ont porté plainte contre l'État et contre la Caisse des dépôts et consignations, les accusant de complicité de crime contre l'humanité: le Mouvement International pour les Réparations (Mir) en 2005 et le Conseil représentatif des associations noires de France (Cran) en 2013. Un geste vain, comme c’est le cas partout dans le monde, car aucun État n'a rien donné à ces associations militantes, note le quotidien.
Or, des institutions ont songé à indemniser, au moins moralement, les descendants des victimes de l'esclavage. Ainsi, l'université de Georgetown a présenté des excuses en 2016, la première aux États-Unis, pour ses liens historiques avec l'esclavage au XIXe siècle. 272 esclaves ont en effet été vendus en 1838, parfois arrachés à leurs familles, pour payer des dettes. La principale des mesures adoptées est l’admission plus facile à Georgetown pour les descendants de ces 272 esclaves.
L'université de Glasgow (Écosse) a de son côté évalué en 2018 le montant des dons de personnes ayant bénéficié de la traite des Noirs à 229 millions d’euros, et annoncé un plan de «justice réparatrice» en créant un Centre d’étude de l’esclavage. Sur 20 ans, l’université va consacrer 22 millions d’euros, majoritairement sous la forme de bourses de recherche et de subventions.
La faculté anglaise de Cambridge en a fait de même en 2019 en lançant un programme de recherche de deux ans destiné à établir si elle a bénéficié du commerce des esclaves. Les conclusions doivent être rendues à l'automne 2021.
«En revanche, le Portugal, premier pays négrier, qui a réalisé à lui seul 40% du trafic, élude totalement le sujet. En Espagne, aux Pays-Bas et en Allemagne, la question n’est pas non plus beaucoup traitée», précisait début mai sur TV5 Monde l’historien Marcel Dorigny, membre du conseil scientifique de la Fondation pour la mémoire de l'esclavage, en commentant la reconnaissance des péchés esclavagistes.
Une exposition inédite consacrée au passé colonial des Pays-Bas s'est ouverte le 18 mai au Rijksmuseum, à Amsterdam. Elle fait la lumière sur le rôle du pays dans l'esclavage dans les Caraïbes, au Brésil, en Asie et en Afrique du Sud. Le musée souhaite rouvrir le débat aux Pays-Bas, qui ne se sont jamais formellement excusés pour leur rôle dans la traite des esclaves, relate l'AFP. «C'est une page de l'histoire nationale, pas seulement pour un petit groupe, mais pour chacun d'entre nous», a déclaré à l’agence la dirigeante du département d'histoire du Rijksmuseum.