Conquête spatiale, itinéraire du succès chinois

En l’espace d’un mois, la Chine a posé son premier robot sur Mars et entamé la construction de sa station spatiale. Une réussite qui doit beaucoup à la volonté politique et à la patience du pouvoir en place. Une leçon –ou une piqûre de rappel– pour l’Occident. Analyse avec Olivier Sanguy, rédacteur en chef du site Web de la Cité de l’espace.
Sputnik
«On ne doit plus se demander si la Chine est une vraie puissance spatiale. Elle l’est», souligne Olivier Sanguy pour Sputnik.

Le mois qui vient de s’écouler donne raison au rédacteur en chef du site Web de la Cité de l’espace à Toulouse. Dans la nuit du 14 au 15 mai, l’atterrisseur chinois équipé du robot Zhurong s’est posé sur la planète Mars. La première mission chinoise en totale autonomie vers la planète rouge. «Placer une sonde en orbite autour de Mars et faire se poser un atterrisseur du premier coup, sans échec préalable, c’est du jamais vu dans l’histoire de la conquête spatiale», ajoute le spécialiste en aéronautique. 

​Deux semaines auparavant, la Chine propulsait Tianhe, le module central de sa future station spatiale (CSS). «Palais céleste» (Tiangong), c’est son nom, devrait être opérationnelle à la fin de 2022 et accueillir dès le mois de juin des taïkonautes à son bord. Une nouvelle réussite que le président Xi Jinping a qualifiée de «projet de premier plan pour faire du pays une puissance des sciences, des technologies et de l’espace.» Nouvelle démonstration, selon Olivier Sanguy, d’une «maturité technologique» patiemment acquise, que la puissance chinoise doit en grande partie à «sa volonté politique» et «une vision du temps long» propice au succès des projets spatiaux.

La Longue Marche vers les étoiles

La première incursion de la Chine dans la conquête spatiale, alors disputée par les États-Unis et l’URSS, remonte aux années 1970, lorsque le premier satellite artificiel chinois est mis en orbite autour de la Terre. Un exploit dû aux désormais célèbres fusées, au nom emblématique et annonciateur, Longue Marche.

​Deux ans avant le lancement du satellite soviétique Sputnik-1 en 1957, Mao Zedong déclarait déjà que la Chine devait s’ériger en grande puissance spatiale. Un projet de longue haleine soutenu par le Parti communiste chinois à coups de milliards grâce à l’essor économique du pays. Un budget annuel spatial qui avoisinerait aujourd’hui les 10 milliards de dollars.

«Avec le premier vol habité de 2003 du programme Shenzhou, la Chine a franchi un nouveau cap. Mais même à l’époque, certains experts n’y voyaient encore que du folklore, une agitation de drapeau. Ils n’ont pas vu l’intelligence patiente de la Chine qui a su apprendre des échecs et des avancées de la conquête spatiale», ajoute le spécialiste. 

Cinq vols habités suivront de 2003 à 2016 et en 2019, la Chine fait atterrir un engin sur la face cachée de la Lune. Cette même année, le pays se place en première position du nombre de lancements dans l’espace, avec 34 tirs, contre 25 pour la Russie et 21 pour les États-Unis. C’est donc peu dire que la place de première puissance spatiale que s’arrogent ces derniers est pour le moins disputée. La longue marche est réussie. 

Non, les Chinois ne sont pas de vulgaires copieurs

Le pays a néanmoins bénéficié des acquis de la littérature scientifique spatiale produite par la course à l’espace entre les deux puissances rivales de la guerre froide: URSS et USA. «Reproduire une telle technologie et l’appliquer sans erreur est déjà une prouesse», nuance Olivier Sanguy.

«Pour l’espace, être bon ne suffit pas. L’excellence est requise, car un boulon mal placé peut enterrer dix années de travail. On observe aujourd’hui l’aboutissement d’une vraie ambition politique et notamment celle d’égratigner un cliché qui a la vie dure. Celui d’une Chine condamnée à copier et reproduire», analyse-t-il à notre micro.

Selon le rédacteur en chef du site Web de la Cité de l’espace, le dernier robot qui a pris ses quartiers sur Mars n’est pas une vulgaire imitation des sondes américaines Viking 1 et Viking 2 de la NASA établies sur la planète rouge en 1976. Preuve d’une réappropriation innovante par la technologie chinoise, l’atterrisseur débarqué à la mi-mai «a fait du surplace pour éviter les obstacles avant d’atterrir». Une première, selon le spécialiste.

​De même, les Chinois se sont-ils inspirés de la station spatiale soviétique Mir, disparue en 2001, pour réfléchir à la conception de leur Palais Céleste. Mais en «mieux équipée et automatisée». Mars et Jupiter sont aussi dans le collimateur de l’agence spatiale internationale. Cette dernière a aussi dans l’idée d’établir une base lunaire en coopération avec la Russie. Du jamais vu, là encore.

La revanche du temps long 

«On sent qu’il y a un plan qui se chiffre en décennies et un pouvoir politique qui s’y tient», précise Olivier Sanguy. Pour ce passionné de l’espace, observateur assidu depuis une trentaine d’années des différentes politiques spatiales, ces dernières sont parfois victimes des alternances au pouvoir et des échéances électorales, à l’exemple du programme américain Constellation de 2004. Défini par le président George W. Bush et destiné à envoyer des astronautes sur la Lune, le projet sera enterré en 2010 par l’arrivée de l’administration Obama.

«Le temps politique n’est pas le temps spatial, qui exige pour être efficace de se structurer sur plusieurs décennies, précise Olivier Sanguy. Une vision du temps long qui ne fait pas défaut pour l’instant à la Chine.»

A contrario, le programme Artémis de la NASA, programmé par Donald Trump, a survécu à l’élection du Président Démocrate Joe Biden. Au mois de février, Jen Psaki, porte-parole de la Maison-Blanche, déclarait que le chef d’État élu emboiterait le pas à son prédécesseur républicain.

Pour Olivier Sanguy, la Chine a aussi compris, «ce que l’Occident a peut-être oublié», que le spatial reste un vecteur de souveraineté et un outil puissant d’irrigation du secteur universitaire et industriel.

«Les faire travailler et réfléchir sur des technologies aussi exigeantes que celles du spatial, cela permet de tirer ingénieurs et chercheurs vers le haut tout en promettant des applications concrètes à leurs travaux!», s’enthousiasme notre interlocuteur.
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