Après une semaine compliquée, la Bourse de New York a redémarré avec une séance plus que mitigée le 17 mai. Le Dow Jones a terminé en repli de 0,16% à 34.327,79 points. Pas mieux du côté de l’indice phare des valeurs technologiques: le Nasdaq. Il a cédé 0,38% à 13,379,05 points pendant que l’indice élargi S&P 500 lâchait 0,25% à 4.163,29 points.
Comment expliquer que des marchés américains habitués à enchaîner les records depuis des mois traversent une mauvaise passe? La raison principale est à aller chercher du côté des craintes d’une hausse généralisée des prix. La Réserve fédérale américaine (Fed) a bien «continué à minimiser le risque d'inflation», comme l’a rappelé Peter Cardillo de Spartan Capital Securities. Mais pas de quoi faire oublier de récentes données qui préoccupent les marchés.
«La crise du Covid-19 a changé la donne»
L’inflation s’est nettement accélérée en avril aux États-Unis (+0,8%). Sur un an, la hausse des prix a atteint 4,2%. Du jamais vu depuis treize ans. Les 1.900 milliards de dollars dégainés par Joe Biden au titre de son plan de relance ajoutés aux plus de 2.000 milliards qu’il souhaite mettre sur la table pour rafraîchir les infrastructures du pays n’expliquent pas à eux seuls cette hausse des prix. De nombreux économistes accusent d’injections monétaires massives les banques centrales et leurs politiques ultra-accommodantes, faites de taux proches de zéro. Un choix qui a évidemment été celui de la Fed.
«Jusqu'à récemment, l'effet inflationniste des politiques monétaires des banques centrales n'était pas directement apparent dans l'économie réelle. Il a été contenu, car cet argent frais a surtout bénéficié aux membres des cercles de pouvoir, notamment monétaires et politiques, qui ont investi dans les actifs financiers», analyse au micro de Sputnik le fondateur d’Or.fr, Fabrice Drouin Ristori.
«Un tel schéma était en place depuis la crise de 2008, mais le Covid-19 a changé la donne», poursuit-il.
En dehors de l’Oncle Sam, des signes de poussées inflationnistes fleurissent un peu partout. Les coûts à la production ont de nouveau augmenté en avril en Chine. Ils atteignent un plus haut en quatre ans selon La Tribune. Même l’Europe est concernée. Les étiquettes ont valsé en avril du côté de la France (1,2%) et de l’Allemagne (2%). Certes, ces données n’ont rien d’affolant. Elles s’expliquent en partie par une hausse des coûts énergétiques. Il n’empêche qu’une tendance bien réelle se dessine.
Des signes de pression inflationniste
La hausse du prix des matières premières inquiète du côté des acteurs économiques. D’après Le Figaro, les cours «se rapprochent de ceux de 2008». Des métaux comme le cuivre, mais également le bois, ou même des céréales comme le blé voient leur prix s’envoler depuis plusieurs semaines. Quant au prix du pétrole brut, il a connu une hausse d’environ 30% depuis un an.
«Avec le Covid-19, l'argent a également été distribué directement aux particuliers et aux entreprises au moment même où les chaînes logistiques mondiales se sont arrêtées, ce qui a réduit l’offre. D’où une première pression sur les prix des produits finis. Laquelle s’est répercutée sur le prix des matières premières», analyse Fabrice Drouin Ristori.
La réouverture de l’économie mondiale et ses espoirs de reprise arrivent à un moment où les chaînes logistiques sont toujours perturbées. La forte demande accroît ainsi les cours des matières premières ou des semi-conducteurs, qui connaissent une pénurie. Le manque de puces électroniques met en péril la fabrication de nombreux appareils électroniques et d’automobiles. La production de semi-conducteurs, majoritairement fabriqués à Taïwan, a également souffert des perturbations climatiques qui viennent de frapper l’île.
Pour Fabrice Drouin Ristori, les politiques d'impression monétaire illimitée des banques centrales et les perturbations sur les chaînes logistiques «expliquent la flambée des prix des matières premières». Un embrasement qui a forcément une incidence sur les prix de détail.
Pour le moment, l’inflation reste maîtrisée dans la plupart des pays. Mais la forte poussée enregistrée aux États-Unis pose question. En cas de hausse des prix trop importante, les banques centrales n’auraient d’autre choix que de serrer la vis. Et les conséquences risqueraient d’être spectaculaires.
«La plus sévère serait le bond des taux d'intérêt et donc l'augmentation du coût de remboursement des dettes pour tous les gouvernements. Rappelons que les banques centrales financent majoritairement les États en achetant les bons du Trésor qu’ils émettent. Cela maintient artificiellement les taux d'intérêt à des niveaux bas», souligne Fabrice Drouin Ristori.
Face à la crise du Covid-19, les banques centrales, Fed et Banque centrale européenne (BCE) en tête, ont massivement acheté de la dette publique et privée par le biais de programmes de rachats d’actifs. D’où une explosion de leurs bilans. Celui de la Fed dépasse un tiers du PIB américain quand le bilan de la BCE fait pire: plus de deux tiers du PIB de la zone euro.
«Diluer le montant colossal des dettes»
Une hausse des taux d’intérêt serait dramatique pour le financement de nombreuses économies. Mais Fabrice Drouin Ristori n’y croit pas, du moins pas dans un avenir proche:
«L'objectif des gouvernements et des banques centrales est plutôt de diluer le montant colossal des dettes publiques en diluant la valeur des monnaies. Historiquement, c'est très souvent ce qui se passe dans un contexte de dette colossale: la monnaie est sacrifiée.»
L’expert interrogé par Sputnik invite à s’attarder sur l’évolution du cours de l’or ces dernières années. D’après le site spécialisé Bullionbypost.eu, le prix de l’or a connu une hausse d’environ 188% en quinze ans. À 15h53 ce 18 mai, il culminait à 1.868,02 dollars. Mais, pour Fabrice Drouin Ristori, «le cours de l'or n'augmente pas en termes réels. C'est le pouvoir d'achat de la monnaie qui diminue».
«Les prix des produits, services et matières premières augmentent, car la valeur de la monnaie baisse. Le pouvoir d'achat des monnaies diminue. L'inflation est une conséquence des politiques monétaires laxistes, certes accentuée, depuis la crise du Covid, par un choc sur l'offre.»
D’après le fondateur d’Or.fr, la prise de conscience de ce phénomène est récente pour certains. En effet, l'inflation touche maintenant l'économie réelle et donc directement les populations mondiales.
Et ses effets sont loin d’avoir fini de se faire sentir à en croire Fabrice Drouin Ristori:
«Les conséquences seront sévères pour le dollar. Une monnaie de réserve mondiale est censée jouer son rôle de... réserve de valeur. Si le dollar ne maintient plus sa valeur, les détenteurs de dollars vendront leurs billets verts pour se réfugier sur d'autres valeurs plus stables comme l'or physique ou des actifs tangibles.»
L’expert assure que c’est d’ailleurs déjà le cas depuis «plus de dix ans». Fabrice Drouin Ristori rappelle la politique de «dédollarisation» mise en place par plusieurs pays, dont la Russie. Ce processus souligne «que le dollar ne pourra pas rester indéfiniment la monnaie de réserve mondiale alors que la Fed est engagée dans une politique monétaire de destruction de sa valeur pour alléger le poids de la dette américaine».