«Dans une décennie, il se peut fort que la France ne joue plus qu’un rôle secondaire en Afrique»

Est-ce que la nouvelle recette française de la potion économique pour l’Afrique peut combler le sentiment de non-assistance des Africains et pourquoi il ne faut pas mettre de côté la rivalité avec la Russie et la Chine sur le continent? Réponses pour Sputnik de Siaka Coulibaly, analyste burkinabè.
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La France, qui se trouve toujours en pleine pandémie avec ses conséquences économiques, sanitaires et sociales, organise ce mardi à Paris un sommet avec une quinzaine de dirigeants africains. Le but est d’agir face au «choc économique» que l’Afrique a subi à cause du Covid-19, qui a notamment provoqué la première récession du continent africain en 25 ans. Les conséquences de la pandémie pour l’Afrique concernent surtout son économie.

Quoi de neuf dans le «New Deal»?

Emmanuel Macron prône un «New Deal» et de nouvelles recettes économiques, il affirme que «les besoins de financement de l’Afrique sont estimés à 400 milliards de dollars, selon le FMI». Le dirigeant français fait allusion à la politique de Franklin Roosevelt après la crise de 1929 qui incluait, entre autres, l’injection de crédits supplémentaires et un moratoire sur les dettes.

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Ce système des tirages spéciaux a été «testé» dernièrement sur les États-Unis et les pays européens qui ont respectivement bénéficié de plans de relance de 2.000 milliards de dollars et de 750 milliards d’euros. Serait-ce au tour de l’Afrique désormais? Siaka Coulibaly, analyste burkinabè, insiste qu’il faut encore attendre la matérialisation du plan «pour en voir les contours réels».

«Les fonds qui pourraient être mobilisés ne viendront pas forcément du Trésor français, si bien que la notion de "New Deal" franco-africain ne me semble pas tout à fait convenir ici. Un éventuel "New Deal" entre la France et l’Afrique serait un premier pas positif, car les Africains ont le sentiment d’avoir plus donné à la France qu’ils n’ont reçu d’elle.»

Les transferts effectués dans le cadre de la coopération française actuelle sont peu connus du grand public africain et ne parviennent pas à combler son sentiment de non-assistance, résume l’analyste.

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Pourquoi les pays anglophones?

Le chef d’État français, depuis plus d’un an, a ouvert une nouvelle étape des relations avec l’Afrique anglophone. L’initiative actuelle avec les pays africains peut aussi servir d’opération de charme de la France envers des pays qui n’ont pas une tradition de relations avec elle. Et si la France a été choisie par ses pairs des puissances mondiales pour conduire le plan anti-Covid sur le continent, cela peut expliquer pourquoi la France s’intéresse aux pays anglophones, estime M.Coulibaly.

«Il est certain cependant que la facilité avec laquelle la France agit avec les pays africains francophones ne peut pas être reproduite chez les pays africains anglophones, tant les institutions et les mentalités sont différentes.»

La France pourrait perdre du terrain en Afrique parce que, dans les pays francophones, les opinions sont très remontées contre elle, rappelle l’analyste burkinabè. Il cite entre autres le franc CFA et l’immobilisme socio-économique. De plus, «on assiste depuis quelques années à une expansion assez rapide d’autres puissances sur le continent africain, comme la Chine et la Russie».

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La rivalité entre la France et la Russie en Afrique

Depuis le sommet russo-africain à Sotchi en 2019, la présence russe se renforce sur le continent africain, et notamment dans les pays francophones, comme la République centrafricaine. D’après Siaka Coulibaly, la «réaction» de la France s’explique par le risque de perdre de l’influence dans une zone du monde où elle s’est comportée, pendant plus de 100 ans, «en maître absolu».

«Maintenant que des poids lourds géopolitiques se sont installés sur le continent africain et commencent à prendre racine, il est assez normal que la France essaie de réagir. Mais en a-t-elle seulement les moyens financiers et militaires, là est la question. Pour l’instant, la France continue à jouer un rôle important en Afrique parce que la Chine et la Russie sont en phase préparatoire et cherchent à moduler leurs dispositifs. Dans une décennie, il se peut fort que la France ne joue plus qu’un rôle secondaire en Afrique.»

Pour l’instant, les pays africains n’ont pas la capacité même de «choisir» entre la France et la Russie, poursuit l’analyste burkinabè, car les Africains n’ont pas de dispositifs autonomes de politiques étrangères qui leur permettent de faire de la stratégie. L’avenir de l’Afrique en termes de jeu des puissances étrangères se trouve «dans le rapport de force qui va se dégager entre la France et la Russie essentiellement, la Chine n’ayant pas d’action militaire sur ce continent».

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