Diplomatiquement, Le Caire est sur tous les fronts depuis le début des hostilités à Gaza.
D’après des informations de l’AFP, les services de renseignements égyptiens ont eu depuis le 10 mai des contacts directs avec des responsables d’Israël, du Hamas et de l’autorité palestinienne. Son appareil diplomatique a échangé officiellement sur ce dossier avec la Russie, l’Arabie saoudite, la Jordanie, la Tunisie, la Grande-Bretagne, l’Allemagne, l’Union européenne et nombre d’autres pays. Le ministre des Affaires étrangères égyptien, Sameh Shoukry, s’est entretenu avec ses homologues français et américains le 17 mai.
À défaut de pouvoir apporter sa pierre à l’édifice d’une solution politique, Emmanuel Macron a ainsi reçu le chef d’État Al-Sissi pour, entre autres sujets, soutenir les efforts de médiation égyptiens en vue d’obtenir une trêve.
Le Caire, médiateur naturel entre Israël et le Hamas
À la tribune du conseil de sécurité de l’Onu le 16 mai, le chef de la diplomatie égyptienne a déclaré que son pays ne ménagerait aucun effort pour parvenir à un cessez-le-feu entre Israël et les Palestiniens de Gaza, dans le contexte de leur confrontation meurtrière. À ce jour, difficile de voir un acteur mieux placé pour y parvenir.
«Le Caire est, depuis 2009 au moins, le médiateur privilégié entre le Hamas et Israël», rappelle au micro de Sputnik Yahia Zoubir, professeur en relations internationales à la Kedge business school, spécialiste du grand Maghreb.
Voisin de la bande de Gaza et d’Israël, l’Égypte dispose d’une situation singulière vis-à-vis des belligérants. Lors du très violent été de 2014, le cessez-le-feu entre Israël et le Hamas avait été en grande partie négocié par l’Égypte. Les négociations s’étaient lors déroulées en Égypte avec l’aide de pays arabes. La capacité du pays des pharaons à parler aux deux belligérants avait alors fait ses preuves.
Ayant signé un traité de paix avec l’État hébreu en 1979, Le Caire entretient des relations avec celui-ci, tout comme la Jordanie, qui a signé un traité de paix avec Israël en 1994. Une délégation égyptienne s’est d’ailleurs rendue à Tel-Aviv le 13 mai pour discuter d’un armistice.
Le Caire est également un partenaire privilégié du Hamas, qui dirige Gaza, à qui il envoie par voie terrestre de nombreuses ressources, notamment à travers le checkpoint de Rafah, l’une des seules ouvertures de la bande sur l’extérieur. Ni trop proche du Hamas, ni trop proche de Tel-Aviv, l’Égypte est donc un intermédiaire naturel.
«Les Égyptiens ne sont pas tendres avec le Hamas. Ils ont détruit nombre de leurs tunnels. Ils sont d’ailleurs en partie opposés au Hamas, qui est lié avec les Frères musulmans, ennemis de l’actuel gouvernement égyptien. Cela leur confère une position un peu plus neutre vis-à-vis d’Israël», souligne le chercheur.
Les puissances internationales en sont conscientes. «Je compte beaucoup sur la médiation égyptienne. Les Égyptiens sont les seuls qui parlent à tout le monde, avec les Israéliens depuis longtemps, avec la Haute autorité palestinienne de Mahmoud Abbas. Ils parlent aussi avec le Hamas et ils sont un peu les seuls à avoir un minimum de confiance avec les responsables du Hamas», expliquait Jean-Yves Le Drian en préambule de la visite du Président égyptien Al-Sissi à Paris, ce lundi 17 mai.
Aide d’urgence et ambulances égyptiennes au poste-frontière de Rafah aujourd’hui, se préparant à entrer dans la bande de Gaza, sous les ordres du Président Al-Sissi.
Pour Yahia Zoubir, un cessez-le-feu verra probablement le jour, et celui-ci passera nécessairement par Le Caire.
«L’Égypte de Sissi n’est pas la même que celle de Mohammed Morsi, ni même celle de Moubarak. Le nouveau régime voit le Hamas comme allié à la Confrérie et considère la guerre à Gaza comme une extension de celle qu’il mène contre les Frères musulmans en Égypte», expliquait en 2014 au Figaro Khaled el-Gindy, membre du centre pour le Moyen-Orient au think-tank Brookings.
Washington occupé ailleurs
Si l’importance du Caire est aussi cruciale pour obtenir un cessez-le-feu, c’est aussi du fait de la volonté américaine de rester en retrait face à cette nouvelle escalade. Par le passé, Washington était très largement impliqué dans les processus d’apaisement des conflits entre Israël et le Hamas, comme cela avait été le cas en 2014, mais la conjoncture géopolitique aurait conduit l’Administration en place à ne pas s’impliquer dans ce nouveau cycle de violence, estime Yahia Zoubir:
«Joe Biden veut remettre sur pied l’accord sur le nucléaire iranien. C’est crucial pour lui. Il considère qu’il en va de la sécurité nationale de son pays. Si Biden est si silencieux et laisse le champ libre à Israël, c’est parce qu’il attend en retour que Netanyahou n’entrave pas le retour américain dans l’accord sur le nucléaire» estime le chercheur, avant de préciser: «tant au niveau international qu’au niveau du Congrès américain.»
Il y aurait donc, à en croire Yahia Zoubir, un accord tacite entre les deux parties. «Les négociations vont effectivement bon train, et le nouveau résident de la Maison-Blanche ne veut pas tout jeter en l’air», analyse le professeur en relations internationales à la Kedge business school.
Le Président des États-Unis s’est d’abord contenté de rappeler le 12 mai la position traditionnelle américaine en réaffirmant «son ferme soutien au droit d’Israël de se défendre contre les attaques à la roquette du Hamas et d’autres groupes terroristes à Gaza.» Et ce, tout en partageant sa «préoccupation» que «des civils innocents, y compris des enfants, aient tragiquement perdu la vie au milieu d’une violence continue.»
Cessez-le-feu en vue
Le 16 mai à l’Onu, Washington «a bloqué plusieurs jours d’efforts de la Chine, de la Norvège et de la Tunisie pour que le Conseil de sécurité publie une déclaration, y compris un appel à la cessation des hostilités», a mentionné Associated Press.
Évitant le sujet depuis le début des hostilités, le Président Biden a finalement exprimé son soutien à un cessez-le-feu entre Israël et le Hamas lors d’un appel jeudi 13 mai avec le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, a indiqué la Maison-Blanche dans un communiqué paru ce 17 mai. En partie sous la pression de l’aile gauche de son parti.
Pour mettre fin à l’effusion de sang au Proche-Orient, les yeux du monde sont donc tournés vers Le Caire. Les dirigeants égyptiens le savent et comptent bien en tirer profit.
«Cette position permet à l’Égypte de gagner des points sur la scène internationale et de se détacher de l’image qui lui est parfois attribuée de régime dur et dictatorial.»
La diplomatie et les renseignements égyptiens ont donc multiplié les démarches pour parvenir à un potentiel cessez-le-feu. Des efforts qui semblent porter leurs fruits: des informations émanant d’Israël laissent désormais entrevoir une possible cessation des hostilités. Ce 16 mai, Bloomberg, qui reprend des informations du site israélien Walla, cite une source officielle israélienne sous couvert d’anonymat indiquant qu’Israël commencera à s’orienter vers un cessez-le-feu maintenant que plusieurs objectifs militaires ont été atteints contre le Hamas. À savoir, subjuguer l’ennemi et lui faire comprendre à qu’attaquer Israël lui coûtera plus que cela ne lui rapportera.