Au Cameroun, le bilan fait état de 330 partis politiques. Est-ce l'expression du dynamisme de la vie politique ou un danger pour la «jeune» démocratie camerounaise? Le débat a été rouvert à la suite de la publication, le 5 mai 2021, d’un communiqué de Paul Atanga Nji, ministre de l’Administration territoriale, officialisant la création de 11 nouveaux partis politiques au Cameroun. Parmi ces nouveaux partis politiques figurent l’Alliance patriotique du Cameroun (APAR) de Célestin Djamen,- qui a récemment démissionné du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC) de Maurice Kamto-, le Rassemblement démocratique du Cameroun (RDC), l’Alliance démocratique des handicapés et sympathisants du Cameroun (FMDC) ou encore l’Onction pour la paix et le développement du Cameroun (OPDC). Dans son communiqué, le ministre de l’Administration territoriale justifie cette nouvelle vague par
«le souci d’enrichir le débat politique et d’encourager l’expression des libertés, chère au chef de l’État, son excellence Paul Biya, grand chantre de la démocratie dans notre pays, le ministre de l’Administration territoriale vient d’agréer 11 partis politiques qui, dorénavant, vont contribuer à l’animation d’un débat politique contradictoire et constructif», indique Paul Atanga Nji.
L’inflation des partis politiques fait débat
Depuis l'avènement du multipartisme en 1990, le Cameroun a vu le nombre de partis politiques exploser passant du parti unique -UNC (Union nationale camerounaise) devenue en 1985 RDPC (Rassemblement démocratique du peuple camerounais), parti au pouvoir- à 330 partis politiques à ce jour. Une croissance exponentielle qui a ouvert la voie à de nombreux questionnements relatifs à la hausse vertigineuse de l’offre politique: «le débat essentiel est en fait le bien-fondé d’une telle inflation alors que sur le terrain la plus-value du nombre existant n’est pas perceptible», souligne pour Sputnik Aristide Mono, analyste et enseignant des sciences politiques à l’université de Yaoundé 2.
«Il s’agit de l’opportunité d’une telle course à la création, la pertinence de cette saga aux autorisations alors que, depuis 30 ans, ce n’est qu’une formation qui tient de façon quasi monopolistique tous les grands résultats électoraux», poursuit le politologue.
Certes, la Constitution camerounaise consacre, depuis 1990, la liberté de création des partis politiques. Aristide Mono précise néanmoins que les ressorts de cette prolifération sont à chercher ailleurs.
«Le premier facteur c’est le clientélisme politique. Le parti est pris comme un instrument de marchandage ou de deal politique à chaque fois que le marché des alliances et des contres alliances est ouvert. Le deuxième facteur est la non professionnalisation des partis qui présentent généralement les gènes de patrimonialisations, c’est-à-dire l’érection des partis en propriété privée de son père fondateur.»
«Ce n’est pas Paul Biya qui les envoient créer des partis politiques», objecte Hervé-Emmanuel Nkom, cadre du RDPC. Il estime que la naissance de nouvelles formations politiques est un corollaire de l'expression de la démocratie.
«Pourquoi ça devrait faire débat? Si à la place d'autoriser ces nouveaux partis politiques, on leur refusait le droit d'exister, ça poserait encore un problème. On peut même aller jusqu'à 1.000 partis politiques, c'est l'expression de la vitalité politique. Certains vont dire que c'est de l'émiettement, ou encore qu'on divise pour mieux régner mais, ce n'est pas Paul Biya qui leur a demandé de créer des partis politiques», insiste-t-il.
Quid de la représentativité?
Après son accession au pouvoir en 1982, Paul Biya se présente comme le chantre des libertés publiques. Dans une interview accordée à RMC en 1990, le Président disait vouloir qu’on retienne de lui «l’image de celui qui a apporté la démocratie» au Cameroun. Quelques décennies plus tard, le pays compte une multitude de partis qui participent régulièrement aux élections. Mais, relève Aristide Mono, «si la prolifération des organisations politiques s’affirme comme une preuve de la vitalité du pluralisme politique […] dans des contextes de démocratie précaire comme le nôtre, ce nombre excessif peut trahir la gêne qu’éprouve le champ politique à canaliser les citoyens dans un jeu polarisé».
«Dans le cas camerounais, ce nombre exorbitant est la manifestation d’une banalisation de la concurrence électorale lorsqu’on sait qu’au final c’est un nombre très réduit qui arrive à répondre aux exigences de fonctionnement d’un parti. Plusieurs d’entre eux ne totalisent pas de militants, ne disposent pas déjà de siège ou sont en manque de personnel. Les activités routinières sont souvent quasi-inexistantes», constate le politologue.
«Le parti au pouvoir doit évidemment faire face à une offre alternative dans l’expression de la démocratie. Mais encore faut-il que ces partis soient à la hauteur. Ce ne sera pas à nous de réfléchir à leur place», poursuit le cadre du parti au pouvoir.
De fait, sur la pléthore de partis présents au Cameroun, très peu sont représentés dans les institutions officielles. Au terme des dernières élections législatives de février 2020, par exemple, le RDPC au pouvoir compte 152 députés sur les 180 sièges. Sept autres partis politiques se partagent les 28 autres sièges. À la chambre haute du parlement, en dehors du parti au pouvoir qui détient encore une majorité écrasante, seul le Social Democratic Front (SDF), parti d’opposition, y est représenté avec sept sièges sur les 100. À l’issue des toutes premières élections régionales de l’histoire du Cameroun, le parti de Paul Biya a remporté le scrutin dans neuf des 10 régions. Trois partis, dont deux de la majorité présidentielle, se partagent le reste des sièges. Des données qui, de l’avis d’Aristide Mono, démontrent la nécessité de la «condensation des énergies dans peu de camps».
«Plus le nombre de camps en compétition est réduit, plus le jeu politique est intéressant. Généralement, l’animation de la concurrence est plus intéressante entre deux ou trois camps. C’est d’ailleurs le bien fondé des élections à deux camps qui s’impose comme le modèle par excellence dans l’expression de la pluralité politique. Et lorsque le jeu est bien animé, il y a naturellement un équilibre de force souhaitable. Or, au Cameroun, la saturation hypothèque toutes les chances de cristallisation de la compétition», conclut le politologue.