Pénurie de main-d’œuvre: au Québec, on doute que l’immigration soit encore un «remède miracle»

Les enjeux liés à l’immigration divisent en deux la Belle Province. Alors que des milieux d’affaires déplorent toujours une pénurie de main-d’œuvre, d’autres observateurs dénoncent un véritable mythe. Économiste à l’Institut économique de Montréal, Miguel Ouellette apporte pour Sputnik quelques nuances au tableau.
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«À chaque fois que je rentre un immigrant qui gagne moins de 56.000 dollars canadiens [38.000 euros, ndlr], j’empire mon problème. À chaque fois que je rentre un immigrant qui gagne plus de 56.000 dollars, j’améliore ma situation.» Cette déclaration du Premier ministre québécois François Legault devant le Conseil du patronat du Québec a vite suscité la controverse. Des députés d’opposition y ont vu une insulte envers les nouveaux arrivants:

«J’ai été profondément blessée par les propos tenus par le Premier ministre du Québec sur les immigrants. Les immigrants ne sont pas des objets, encore moins des numéros. Ce sont des êtres humains», a dénoncé la députée de gauche Ruba Ghazal, dont les parents sont d’origine palestinienne.

Questionné à ce sujet à l’Assemblée nationale, François Legault a affirmé ne pas regretter ses propos qu’il juge mal interprétés. Le chef du centre maintient que son objectif est d’augmenter le salaire moyen, une «obsession» pour lui, avoue-t-il publiquement.

L’immigration pour augmenter le salaire moyen?

Selon Miguel Ouellette, économiste et chef des opérations à l’Institut économique de Montréal, la déclaration du Premier ministre québécois est «une insulte aux travailleurs honnêtes». Non seulement le Québec aurait besoin d’immigrés gagnant moins de 56.000 dollars canadiens, mais plus de 50% des Québécois ont un revenu annuel inférieur à ce seuil, souligne-t-il. L’économiste estime également que la moyenne des salaires n’est pas un bon indice pour mesurer la santé économique de la province, suggérant plutôt d’utiliser la médiane.

«L’immigration fait partie de la solution au problème de la pénurie de main-d’œuvre. D’ailleurs, plusieurs secteurs réclament actuellement des travailleurs non qualifiés dont les salaires ne seront pas si élevés.»

Le titulaire d’une maîtrise en économie de l’Université de Toronto nuance toutefois: «L’immigration n’est pas non plus un remède miracle. Les milliers de nouveaux entrants qui vont arriver demain vont créer une hausse de la demande pouvant engendrer un déplacement de la pénurie.»

Depuis plusieurs années, le Conseil du patronat et divers milieux d’affaires pressent les gouvernements québécois successifs d’augmenter le nombre de travailleurs étrangers accueillis chaque année. Une demande toujours contestée par des élus et chroniqueurs de tendance nationaliste pour qui «l’immigration massive» met en péril l’identité québécoise et la survie du français. Certains observateurs parlent même d’une «fumisterie» ou d’un «mythe» pour qualifier ce qui serait un faux manque de personnel. Soulignons que chaque année, le Québec reçoit en moyenne 50.000 nouveaux arrivants, alors que sa population est aujourd’hui de 8,5 millions d’habitants.

L’immigration, thème sensible au Québec

Durant la campagne électorale de 2018, François Legault et son parti, la Coalition Avenir Québec, s’étaient engagés à réduire le seuil d’immigration de 20%. «En prendre moins mais en prendre soin», répétait le candidat Legault dans les médias. Une promesse qui a porté ses fruits à l’élection du 1er octobre 2018, mais qui n’a pas été tenue intégralement puisque le parti a revu ce seuil à la hausse. Et le gouvernement Legault a récemment annoncé que l’immigration serait encore en progression pour 2021: «Ce qu’on veut faire au Québec, c’est vraiment répondre aux besoins économiques du Québec», a alors déclaré Nadine Girault, la ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration.

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Miguel Ouellette insiste: l’immigration peut résoudre en partie la pénurie de main-d’œuvre, mais il y a d’autres moyens pour l’amortir. L’assouplissement des critères d’embauche pour certaines catégories de travailleurs fait partie de ces moyens, de même que la reconnaissance des études effectuées à l’étranger.

«Les secteurs hautement syndiqués sont souvent ceux où il y a le plus de pénurie. Ce n’est peut-être pas une coïncidence. On met des barrières à l’emploi dans plusieurs domaines. […] Au Québec, le Collège des médecins, par exemple, fixe des critères d’admissibilité déraisonnables pour les futurs étudiants en médecine. Résultat: les Québécois ont un très mauvais accès aux soins», déplore-t-il.

La pandémie de Covid-19 a-t-elle amplifié ou atténué la pénurie de main-d’œuvre dans la province francophone? Pour Miguel Ouellette, «il est encore tôt pour le dire». Ce qui est certain, c’est qu’un retour à la normale pourrait augmenter la demande de produits et services en tout genre de manière considérable.

«Le déconfinement n’aura pas les mêmes impacts dans tous les secteurs. […] S’il y a une si forte pénurie de main-d’œuvre actuellement, c’est peut-être aussi parce qu’il y a trop d’entreprises par habitant. Le marché pourrait se rééquilibrer. On souhaite toujours qu’il y ait plus de sociétés, mais il doit y avoir une adéquation entre le nombre de travailleurs disponibles et les entreprises», conclut l’économiste.
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