Amazon ne contribue pas «à l’équilibre du bien commun». Dans les colonnes du Guardian, la députée travailliste Margaret Hodge dénonce une «campagne d’évasion fiscale incessante» de la firme de Seattle. La raison de sa colère, l’ardoise fiscale réglée par le géant du commerce en ligne au titre de l’impôt sur les sociétés (IS) pour 2020: zéro euro. Un chiffre qui contraste avec les 44 milliards de chiffre d’affaires qu’il a réalisé sur le vieux continent.
La décision du groupe américain de rendre public le bilan comptable qu’il a communiqué aux autorités luxembourgeoises n’a pas arrangé les choses. N’y figure pas le chiffre d’affaires réalisé par pays de son marché européen. En revanche, ses comptes aux États-Unis montrent que les revenus dégagés au seul Royaume-Uni ont augmenté de 51% en 2020, pour atteindre un record de 26,5 milliards de dollars (22,47 milliards d’euros). Rien qu’au quatrième trimestre 2020, la firme de Jeff Bezos enregistre une croissance de 42% sur ses ventes mondiales par rapport à 2019, bondissant de 87,4 à 125,6 milliards de dollars (106,53 milliards d’euros), dépassant ainsi largement les attentes du marché.
Amazon: roi de l’optimisation fiscale, pas de la fraude
Des revenus qui «ont grimpé en flèche durant la pandémie, alors que nos commerces se débattent, mais elle continue de transférer ses bénéfices vers des paradis fiscaux comme le Luxembourg pour éviter de payer sa juste part d’impôts», accuse la députée travailliste.
Celle-ci fustige les «grandes entreprises du numérique» qui «s’appuient toutes sur nos services publics, notre infrastructure et notre main-d’œuvre éduquée et en bonne santé», mais «ne parviennent pas à verser équitablement dans le pot commun pour le bien commun.» Contrairement aux «petites entreprises et aux contribuables assidus.»
«Qu’est-ce que mes camarades travaillistes attendent pour reconstituer un impôt universel et progressif, c’est-à-dire l’IR [impôt sur le revenu, ndlr] anglais sur la distribution de dividendes aux actionnaires britanniques d’Amazon et sur la plus-value mobilière?» tacle sans détour le fiscaliste Marc Wolf.
L’ancien directeur adjoint à la direction générale des impôts (DGFIP), chargé de la sous-direction du contrôle fiscal enfonce le clou: «Avant de gémir lamentablement, faisons d’abord notre boulot et taxons les profits distribués!»
Car cet impôt crée durant l’entre-deux-guerres n’était alors qu’une «commodité de sécurisation du recouvrement sur la distribution des profits.» En clair, l’IS est un prélèvement effectué à «titre de sécurité» par l’administration fiscale, qui doutait de pouvoir suivre (et donc taxer) la redistribution des capitaux en aval. Or les progrès ont été significatifs en la matière ces dernières années. Chaque euro redistribué par une entreprise, quelle que soit sa forme (salaires, dividendes), est aujourd’hui traçable et donc directement imposable.
«La taxation intelligente est de taxer la consommation finale, la TVA dans les pays de consommation, de taxer la production là où les locaux sont établis, ainsi que les prélèvements liés aux salaires et cotisation sociales. On taxe –ou pas– le capital rémunéré à travers les dividendes et les plus-values, et à titre de sécurité, on met de l’IS pour récupérer immédiatement l’impôt», résume-t-il.
Sur le premier point, l’impôt de consommation, Marc Wolf rappelle le cas des plateformes de vente en ligne asiatiques qui avaient fraudé la TVA en Europe. Il doute très fortement qu’Amazon puisse s’adonner à un tel jeu directement depuis le sol des pays européens. Tout acheteur sur le site d’Amazon voit clairement le montant facturé au titre de la TVA que l’entreprise est priée de prélever pour l’État.
«Ils ne commettraient jamais la folie de se mettre en fragilité sur ce point», estime l’ex-cadre du fisc, qui corrobore la défense de la firme américaine quand celle-ci affirme régler son dû aux différents États où elle opère. «Je ne crois pas qu’ils trichent de ce point de vue là, ils trichent même moins que d’autres: pour se défendre sur l’IS, il faut qu’ils soient inattaquables sur le reste», insiste Marc Wolf.
Amazon: une manne de TVA durant la crise sanitaire
Si l’explosion de la vente en ligne n’a pas fait que des heureux, l’État fait clairement partie de ceux qui ont profité de l’engouement –encouragé– des Français durant le confinement pour les transactions via Internet. En effet, les ventes en ligne ont atteint 112 milliards d’euros en 2020 dans l’Hexagone, qui se positionne comme le deuxième marché européen et le cinquième mondial en la matière.
À la rentrée 2020, Bruno Le Maire se félicitait que les recettes de TVA aient été plus importantes durant l’été qu’avant la crise sanitaire. «Nous venons d’avoir les chiffres de la TVA pour le mois d’août, 15,5 milliards d’euros de recettes, c’est 0,7 milliard de plus qu’en août 2019. Donc, c’est un chiffre très tangible pour montrer que la consommation redémarre», se félicitait-il au micro de Jean-Jacques Bourdin.
Même son de cloche cette année: «l’économie résiste», se félicitait fin avril Olivier Dussopt, ministre délégué aux Comptes publics. Selon ce dernier les recettes de TVA auraient été en janvier et février 2021 au même niveau que celles de 2020, soit avant la crise sanitaire et son confinement.
«D’où vient cette TVA? Des achats en ligne! […] Le chiffre d’affaires d’Amazon a explosé, comme celui de tous les vpcistes. Ils se sont goinfrés, comme tous les vpcistes!» martèle le fiscaliste.
Mais au-delà de la taxation de la consommation de ses clients et de celle de ses moyens de production, reste à savoir si la valeur créée par Amazon l’est véritablement en Europe. The Guardian prend ce parti-pris en calculant le chiffre d’affaires moyen par salarié de la firme en Europe (8,4 millions d’euros). Un point de vue que ne partage visiblement pas l’ancien patron du contrôle fiscal en France.
«Y a-t-il de la création de valeur dans le métier de l’e-commerce au Luxembourg? Peut-on soutenir cela en termes d’analyse de la valeur? J’en doute fortement. Si Amazon est profitable sur son ancien métier [l’e-commerce, ndlr.], c’est par son innovation de rupture, qui est territorialement localisée à Seattle. Donc si on admet ce sujet, la question est pour Biden, pas pour nous!»
Pour Marc Wolf, la seule marge qu’il reste aux États européens désireux de récupérer leur dû sur les activités d’Amazon est de taxer au juste niveau ceux qui profitent de la redistribution des richesses générées par Amazon. Autrement dit, les actionnaires résidents fiscaux dans les pays européens.
Flat tax: réel obstacle à la taxation des profits d’Amazon?
Qu’il s’agisse des dividendes issus des profits effectifs d’Amazon ou de plus-values générées par la revente d’actions dont la valeur est gonflée par cette perspective de surprofits, leur juste taxation est ainsi pour Marc Wolf la manière la plus efficace pour les États de récupérer leur dû.
«Vous appliquez le barème chez un gros détenteur de portefeuille mobilier et vous avez une taxation parfaitement compétitive, qui ne préjudicie pas votre économie. Vous taxez Amazon!»
«Toutes les multinationales se tamponnent complètement de savoir si leurs actionnaires sont taxés ou pas», ajoute l’ancien cadre de Bercy. «Qu’est-ce qu’on attend pour taxer la distribution [de dividendes, nldr], la réponse en Angleterre comme en France, c’est l’abrogation de la flat tax», renchérit-il, ciblant directement la mesure instaurée en France par Emmanuel Macron, qui plafonne à 30% la taxation (impôts sur le revenu et prélèvements sociaux) des profits générés par le capital.