«Entre vingt-cinq et trente personnes aux Invalides pour commémorer une des plus grandes figures françaises.» À la vue de la célébration du bicentenaire de la mort de Napoléon, le 5 mai, Pierre Malinowski peine à cacher son amertume. Un dépôt de gerbe à la nécropole militaire, un discours d’Emmanuel Macron à l’Institut, le tout sans honorer l’empereur. Pour la peine, le président de la Fondation pour le développement des initiatives historiques franco-russes n’a pas allumé sa télévision: «Je n’ai absolument rien à écouter de ce personnage», tacle-t-il à l’encontre du chef de l’État.
Malinowski avait vu les choses en grand pour la cérémonie. Il avait œuvré pour une présence de Vladimir Poutine avec le rapatriement d’un proche de l’empereur, le général Charles Étienne Gudin, tombé près de Smolensk en 1812. Et avec cela, une haie d’honneur de grognards sur le pont Alexandre-III. Pour l’occasion, la fondation avait même envisagé de commander une œuvre musicale à Vangelis: «C’était une opportunité exceptionnelle. Ça représentait deux ans et demi de travail.»
Lignes rouges –Jean-Baptiste Mendes reçoit Pierre Malinowski, président de la Fondation pour le développement des initiatives historiques franco-russes et auteur du livre «À la recherche du tombeau perdu», aux éditions du Cherche-Midi.
Le 10 juillet 2019, Pierre Malinowski et son équipe d’archéologues découvraient enfin la sépulture du général Gudin sur un promontoire de Smolensk. Condisciple de Bonaparte à l’école de Brienne, ce proche du maréchal Davout avait été un intime de l’empereur, qu’il «tutoyait après le sacre». Peu de temps après la découverte, le 19 août, au fort de Brégançon, Emmanuel Macron évoquait le sujet avec Vladimir Poutine. Véritable consécration, Malinowski était invité dans la foulée à l’Élysée: «Vu mon CV, pour qu’ils m’invitent, ils devaient vraiment être motivés!»
«Les deux présidents réunis aux Invalides pour un général d’Empire, ça aura de la gueule»
Car cet archéologue n’a pas tout pour plaire. Après un passage dans l’armée de terre, il est entré en politique, adhérant au Front national. Il a même été l’assistant parlementaire de Jean-Marie Le Pen et d’Aymeric Chauprade à Bruxelles. En 2015, il participait aussi à l’exfiltration de deux pilotes français de République dominicaine. Ceux-ci étaient inculpés, sans doute à tort, dans une procédure visant un trafic de drogue. Resté dans les mémoires sous le nom d’affaire Air Cocaine, l’épisode avait valu à notre intervenant et à deux autres Français de faire l’objet d’un mandat d’arrêt international émis par la République dominicaine.
Malgré le passé un peu sulfureux de l’ancien militaire, Bruno Roger-Petit, le conseiller mémoire du Président, a accueilli son initiative avec enthousiasme: «Les deux Présidents réunis aux Invalides pour un général d’Empire, ça aura de la gueule.»
«De nombreuses réunions se sont enchaînées. Je suis allé sept ou huit fois à l’Élysée. C’était énorme. Tout était en pourparlers, en discussion.»
Chargé d’établir les contacts avec la partie russe, il peut rapidement compter sur le soutien de Dmitri Peskov. Le porte-parole du Kremlin s’était dit «à 100% positif». Mais l’essentiel reposait sur la France. Peskov avait besoin d’une demande officielle de rapatriement de la dépouille. «On ne va pas mettre le corps comme ça dans un avion d’Aeroflot et le rapporter aux Invalides», ironisait-il.
«Pour moi, Gudin ça ne se fera pas» affirme désormais Malinowski, dépité. La faute à la diplomatie française: «On a le Quai d’Orsay le plus antirusse de tous les temps.»
«Pour eux, rien que de devoir demander quelque chose à Poutine, par exemple de rapatrier un corps, c’est trop. Eux, ils s’en foutent de Napoléon, de Gudin. Ils voient juste le côté russe. Le blocage vient d’eux. Ça vient vraiment du ministère des Affaires étrangères.»
«Au final, Gudin est dans une boîte en plastique. Il attend son retour depuis deux ans.» À défaut de contribuer à un rapprochement diplomatique entre Paris et Moscou, Malinowski souhaite désormais rapatrier lui-même le squelette et le ré-inhumer «aux côtés de sa femme» dans le caveau familial de Saint-Maurice-sur-Aveyron, en accord avec les descendants.
Poutine à Malinowski: «Il m’a dit, en gros: Allez-y!»
«Côté russe, je suis toujours positif. Ça se finit toujours bien», rapporte le proche d’Aymeric Chauprade. D’ailleurs, les choses avaient commencé sous les meilleurs auspices. À l’occasion de sa venue à Paris pour le 11 novembre 2018, Vladimir Poutine en personne avait encouragé Pierre Malinowski: «Il a souri et m’a dit, en gros: Allez-y».
Aussi loue-t-il avec amusement le paradoxe russe à propos du vainqueur de Wagram: «Il est plus simple d’organiser ici [en Russie, ndlr.] une cérémonie en l’honneur de Napoléon… Vous imaginez?» Si la campagne (puis la retraite) de Russie en 1812 a «détruit énormément de choses dans tous les villages jusqu’à Moscou», peu importe: l’Empereur garde de nombreux «fans» dans un pays raffolant de collections et de reconstitutions historiques.
«Je n’ai jamais entendu un Russe dire: Quel sale homme! Même eux l’appellent l’Empereur, vous imaginez? Les Russes ont un très grand respect pour les grands personnages français. Que ce soit Jeanne d’Arc, de Gaulle ou Napoléon. Malgré une guerre atroce en 1812, vous pouvez discuter de Napoléon.»