«Le militaire est celui qui a un engagement qui peut aller jusqu’au sacrifice suprême, donc autant vous dire qu’il a une idée et une image de son pays qui est évidemment beaucoup plus exacerbée que le citoyen lambda», tranche Jean Messiha au micro de Sputnik.
Ancien proche de Marine Le Pen, le haut fonctionnaire soutient les récents appels de membres de l’armée adressés au pouvoir politique. Notamment, la tribune des militaires publiée dans Valeurs Actuelles le 21 avril, ou encore le document remis à la mi-avril par 16 généraux aux groupes parlementaires. Deux textes pour un constat identique: celui de «l’éclatement» et du «délitement» de la France face aux «hordes de banlieue», à l’islamisme ou encore l’immigration. Et un appel au patriotisme pour empêcher une dérive vers «une guerre civile».
Pour Georges Kuzmanovic, président du Parti République souveraine et ancien conseiller Défense de Jean-Luc Mélenchon, ces militaires «ont commis une faute au regard du règlement, qui est de ne pas mentionner son état de militaire, même passé, pour défendre une position politique.» De même, l’éventualité d’un recours à l’armée pour faire face à une «France en péril» –formulation qui a fait craindre à certains une volonté séditieuse des militaires en retraite– illustre pour Kuzmanovic une confusion risquée des genres. Impliquer les forces militaires dans des domaines qui ne relèvent pas de leurs compétences ne serait pas sans conséquence:
«Ce mélange des genres est extrêmement risqué et chaque fois qu’il a eu lieu dans notre histoire, ça a mal tourné à un moment ou à un autre», affirme-t-il à notre micro.
Pour Georges Kuzmanovic, «le grand problème» remonte à 2008 avec l’initiative de Nicolas Sarkozy, qui «pour la première fois» a fait écrire un livre sur la Défense et la Sécurité nationale. L’ancien président de la République aurait alors entamé une confusion poursuivie depuis entre forces de maintien de l’ordre et forces militaires.
S’ajuster à la réalité terroriste?
«Or, c’est une règle, c’est une tradition», explique le président de République souveraine, l’armée s’occupe «de la défense des frontières et des intérêts de la patrie hors de nos frontières.» Quand la police, accompagnée de la gendarmerie, s’occuperait des affaires intérieures.
Pour Jean Messiha, nécessité fait loi: une telle «séparation artificielle» ne saurait tenir face «à la réalité». Selon lui, la menace terroriste sur le territoire français a fait bouger les lignes. Le président de l’Institut Apollon se saisit de l’exemple du djihadiste Abdelhamid Abaaoud, l’organisateur des attentats du 13 novembre à Paris, qui a traversé «tout l’espace géographique qui nous sépare de la zone irako-syrienne» pour préparer «des actes de guerre sur notre territoire».
«Est-ce que cette menace-là relève de l’armée ou de la police? Des deux, puisque c’est une menace extérieure, donc ça concerne l’armée, mais comme ça se passe sur notre sol ça concerne aussi la police. Donc, on voit bien qu’avec le terrorisme international, qui a des ramifications au sein de notre territoire national, il y a un continuum entre la Défense et la Sécurité», rétorque Jean Messiha.
En pratique aussi, Georges Kuzmanovic estime quant à lui que «les militaires ne sont pas entraînés au maintien de l’ordre, mais à faire la guerre.» Il dénonce leur présence dans les rues depuis l’opération Sentinelle, lancée sous François Hollande à la suite des attentats de 2015. Dans une tribune publiée dans Marianne le 27 avril, il avait déjà pointé du doigt cette normalisation qui accoutume les citoyens à la présence de l’uniforme militaire au quotidien «et ne sert à rien en contre-terrorisme», ajoute-t-il. De même, selon lui, la «répression massive» des Gilets jaunes par l’exécutif a également mis en lumière les dégâts de «l’utilisation par le pouvoir d’unités non entraînées au maintien de l’ordre.»
La crise sécuritaire, un «manque de volonté politique»
Pour le président de l’Institut Apollon, si le terrorisme international rebat les cartes, le problème au quotidien n’est pas tant militaire que politique. Le maintien de l’ordre et l’envoi dont «rêvent certains de l’armée dans les cités», «on n’en a pas besoin en réalité!» En France, l’appel à l’armée pour faire face au désordre dans certaines banlieues s’est en effet exprimé à plusieurs reprises dans l’espace public. En 2012 déjà, la sénatrice PS Samia Ghali réclamait l’intervention de l’armée dans les quartiers nord de Marseille pour mettre un terme au règne des dealers.
«Vous demandez à n’importe quel policier ou gendarme, il vous dira “on sait faire, qu’on nous donne le feu vert pour entrer dans les cités, choper les dealers, les voleurs, les racailles qui pourrissent la vie des quartiers, les mettre hors d’état de nuire”. Ils attendent une doctrine et des consignes claires. […] Et les policiers savent faire ça! Donc, il n’y a pas besoin d’extrapoler d’autres outils, fussent-ils militaires pour régler le problème», s’exclame Jean Messiha.
Le président de République souveraine tombe d’accord, sur ce point précis, avec le constat de son contradicteur. Pour lui, concernant «les quartiers perdus de la République», qu’ils soient tenus «par des gangs mafieux ou des extrémistes», il y a «effectivement un manque de volonté politique». Une ébauche d’accord entre les deux débatteurs? Pas vraiment.
Pour Georges Kuzmanovic, ni les militaires signataires de la tribune ni son contradicteur n’analysent l’impasse actuelle dans sa globalité. La crise résulte pour lui des effets de «40 ans de néolibéralisme et d’imposition de politiques ultralibérales voulues par Bruxelles, la destruction des services publics, y compris l’armée, la police» sur lesquels prospèrent «les mafias et les groupes communautaires». Et Jean Messiha de fixer ses propres priorités: «On ne peut rien faire sans un rétablissement préalable de l’ordre sur tout le territoire et sans ramener avec la plus grande force nécessaire tous les territoires perdus de la République au sein de la France.»
Si les deux militants souhaitent «la victoire du camp national patriote en 2022», reste à s’entendre sur le programme. Ce qui n’est pas gagné.