Alors que seulement 30 milliards d’euros sur les 100 du plan de relance ont été engagés et que la France n’a toujours pas reçu le premier versement au titre du plan de relance européen, Emmanuel Macron évoque déjà un possible soutien supplémentaire.
Le 30 avril, le chef de l’État a évoqué une «grande concertation» dans les prochains mois afin d’«inventer un deuxième temps de la relance». Pour le moment, le flou règne quant à savoir quelle forme cette initiative prendra. Le locataire de l’Élysée a parlé d’«une simplification drastique, un réinvestissement dans les secteurs dont nous avons le plus besoin et une accélération».
Et quid d’un nouveau shoot d’argent public?
«C’est extrêmement tentant pour le gouvernement. La politique de taux zéro est un véritable pousse-au-crime. Cela ne coûte quasiment rien de s’endetter. La charge d’intérêt a baissé ces dernières années alors que la dette a fortement augmenté», analyse au micro de Sputnik l’économiste Philippe Herlin.
L’auteur de France, la faillite? (Ed. Eyrolles) faisait récemment remarquer sur Twitter que «de 2010 à 2020, la charge d’intérêt a baissé de 20 milliards d’euros alors que la dette a augmenté de 770 milliards d’euros», traitant au passage les gouvernements successifs d’«irresponsables».
«Les dettes anciennes, qui étaient remboursées avec des taux d’intérêt relativement élevés, se renouvellent avec un taux proche de zéro», ajoute l’expert.
Un constat fait par l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) qui estimait fin janvier que Paris pourrait doubler le plan de relance de 100 milliards d’euros en profitant de ces conditions d’endettement favorables.
«L’objectif de Macron n’est pas de relancer l’économie»
Des conditions permises par la politique monétaire ultra accommodante de la BCE qui, en plus de garder des taux proches de zéro, a acheté «la quasi-totalité» du surplus de dette causé par le Covid-19, note Philippe Herlin. Le bilan de l’institution dirigée par Christine Lagarde avoisine les 7.500 milliards d’euros. Une somme qui représente les deux tiers du PIB de la zone euro.
En attendant, l’exécutif français va tendre l’oreille aux élus locaux et autres acteurs économiques durant l’été. «On fera le bilan à l’été de tous les dispositifs» et de la situation économique, a expliqué le 3 mai sur RTL le ministre de l’Économie Bruno Le Maire. Il a précisé qu’il faudrait attendre septembre pour évaluer «à ce moment-là s’il est utile pour le pays [...] de rajouter ou non de l’argent dans le plan de relance».
«Ma conviction est que l’objectif de Macron n’est pas de relancer l’économie. Il veut éviter une vague de faillites avant la présidentielle», estime pour sa part Philippe Herlin.
Ce dernier met en avant le différé d’un an accordé pour les remboursements des prêts garantis par l’État (PGE). De quoi, selon lui, gagner du temps et éviter un certain nombre de faillites. Au 16 avril, 137,3 milliards d’euros avaient été accordés par les banques avec une garantie de l’État. La très grande majorité des prêts avaient été octroyée à des très petites entreprises (88,48%).
De très nombreuses sociétés françaises ont cependant contracté de précédents prêts, s’ajoutant aux PGE. «Nous avons énormément de refus de la part des établissements financiers de rééchelonner les dettes qui ont été contractées par les entreprises avant la crise, sur la base d’une activité qui n’a strictement plus rien à voir», alertait récemment Didier Chenet, président du Groupement national des indépendants Hôtellerie & restauration (GNI), qui réunit des restaurateurs indépendants.
Le 28 avril, alors qu’il était sur le plateau de BFM Business, François Asselin, président la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), y allait d’une triste prévision: «Sur 12 mois glissants à partir du moment où on va commencer à débrancher les mesures de soutien, on estime que la sinistralité peut osciller entre 65.000 et 100.000 défaillances d’entreprises.»
D’après Philippe Herlin, le gouvernement en est bien conscient et cherche des moyens de distribuer davantage d’argent public. Dans le cas contraire, «cela pourrait condamner Macron».
«Les faillites interviendront après»
Il n’y a pas qu’au sommet de l’État que l’on appelle à remettre la main à la poche. C’est aussi le cas de Geoffroy Roux de Bézieux, président du Medef, qui jugeait encore récemment que le plan de relance devrait être complété de manière «significative» pour les secteurs mis en difficulté par la crise.
Même son de cloche du côté de Jacques Creyssel, le patron de la Fédération du commerce. Il a appelé sur le plateau de BFM Business à un deuxième plan de relance qui concerne «en priorité les secteurs qui ont été les variables d’ajustement, notamment le commerce». Quoi qu’il en soit, Philippe Herlin pense que la vague de défaillances d’entreprises est «inévitable».
Emmanuel Macron hypothèque-t-il l’avenir des finances publiques pour des raisons politiques?
«Oui. Mais il ne fait rien que n’ont pas fait les précédents Présidents de la République depuis les années 80», rétorque l’expert qui juge «triste» une telle politique.
Il prévient que ces orgies de liquidité permises par «la planche à billets» des banques centrales ne sont pas sans risques et pourraient conduire à «un dérapage des prix». «On le constate déjà sur les matériaux de construction, les matières premières ou le pétrole», alerte l’économiste.
«Une crise obligataire ou économique et sociale»
Il rappelle qu’un tel contexte engendrerait une montée des taux qui obligerait les États à réduire la voilure budgétaire. De quoi mener à une crise de la dette comme celle qui a touché plusieurs pays européens à la suite de la crise financière de 2008?
«Difficile d’en prévoir la forme. On pourrait avoir affaire à une crise obligataire ou économique et sociale. Car il faudra fermer le robinet», répond Philippe Herlin.
D’après l’auteur de Pouvoir d’achat: le grand mensonge (Éd. Eyrolles), l’État fait fausse route avec sa stratégie: «Il suffirait de tout rouvrir tout de suite sans contraintes pour relancer sainement l’économie sans que cela coûte d’argent public. Les Français devraient avoir épargné 200 milliards d’euros de plus d’ici à la fin 2021», souligne Philippe Herlin.
Ce dernier se méfie du calendrier de réouverture diffusé par le gouvernement:
«Pour le moment, il ne s’agit que d’annonces. Nous n’avons aucune certitude que tout sera rouvert pour l’été. De plus, on nous parle déjà de passeport sanitaire.»