Trafic de drogue, accès à l’eau, «le risque d’embrasement est permanent» en Asie centrale

Les affrontements frontaliers entre le Kirghizstan et le Tadjikistan ont fait plus d’une quarantaine de victimes, dont une majorité de civils. Pour l’ancien colonel René Cagnat, cette dispute territoriale serait notamment engendrée par une volonté de contrôle de l’eau et du trafic de drogues.
Sputnik

C’est le pire affrontement frontalier entre les deux pays d’Asie centrale depuis trente ans et la chute de l’URSS. 34 morts, dont 31 civils, et plus de 120 blessés, côté kirghize et 10 victimes et 90 blessés côté tadjik, relate le média francophone Novastan.

Plusieurs «villages ont été attaqués et bombardés» depuis le 28 avril dans une lutte pour l’accès à l’eau, précise René Cagnat, spécialiste de l’Asie centrale et de l’espace postsoviétique et auteur de Le Désert et la Source (Éd. du Cerf, 2019). Des jets de pierres entre locaux dans la province de Batken, notamment autour de l’enclave tadjike de Voroukh, ont dégénéré en bataille rangée avec l’implication des armées des deux pays. Cette vidéo montre ainsi l’avancée des soldats kirghizes.

Le 29 avril, un premier cessez-le-feu était signé pour mettre fin aux violences… sans toutefois y parvenir. Les tirs se sont en effet poursuivis de part et d’autre de la ligne de front durant deux jours, selon Bichkek. Les chefs des Comités de sécurité ont alors signé un protocole sur la délimitation de la frontière, a indiqué le 2 mai le gouvernement kirghize. Cette fois avec plus de succès: «aucun incident et aucun tir n’ont été signalés» depuis, a indiqué à l’AFP un porte-parole du Comité kirghize, décrivant la frontière comme «calme».

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«Ce n’est pas seulement un problème d’eau» que des villageois se disputent, estime toutefois l’ancien attaché de défense en Ouzbékistan et au Kirghizstan: «c’est aussi un problème de drogue, sur lequel tout le monde se fait discret.»

Partageant 971 km de frontière tortueuse, dont plus d’un tiers est contesté et peu démarqué, le Kirghizstan et le Tadjikistan ont une histoire commune mouvementée. En 2019, des affrontements avaient déjà lieu faisant plusieurs morts, dont des gardes-frontières dans la vallée de Ferghana, comprise entre l’Ouzbékistan au nord, et le Tadjikistan au sud. Une avancée territoriale en territoire montagneux qui est truffée d’enclaves dont les plus importantes sont Chakhimardan, Vorukh et Sokh, distantes de quelques dizaines de kilomètres.

Trafic de drogue, accès à l’eau, «le risque d’embrasement est permanent» en Asie centrale

Pour René Cagnat, l’origine de ces affrontements serait ainsi l’accord du 26 mars entre le Kirghizstan et l’autre pays voisin, l’Ouzbékistan pour régler le sort de l’enclave de Sokh.

«C’est encore plus compliqué, c’est une enclave ouzbèke, dirigée par les Ouzbeks, encerclée par les Kirghizes, alors qu’elle est peuplée d’une forte majorité tadjike. C’est idéal pour nourrir une guerre civile», précise l’ancien officier de chasseurs alpins et de renseignement opérationnel.

L’entente entre Bichkek et Tachkent a permis de créer un «nouveau point de passage à Sokh», ce qui serait devenu «gênant pour les Tadjiks».

«Ce point de passage peut récupérer une partie du trafic, y compris de drogue, qui passait par Vorukh, et qui maintenant aura tendance à passer plus ou moins clandestinement par Sokh. C’est-à-dire que les Ouzbeks court-circuitent les Tadjiks dans la région.»

L’Afghanistan, plaque tournante de la drogue, produisant 80% de l’opium mondial, se situe à quelques encablures au sud du Tadjikistan. Carrefour de l’Asie centrale, stratégique pour le projet pharaonique des Routes de la Soie, la vallée fertile de Ferghana est le passage obligé pour tout trafic.

«L’idéal pour nourrir une guerre civile»

Un enjeu qui recèle ainsi bien plus d’importance «que de simples problèmes d’eau» habituels après l’hiver, pour lesquels des «paysans se lancent des cailloux et qui parfois se tuent.»

«Dans cette région, le risque d’embrasement est permanent. Ça éclate quasiment chaque année, toutes les années, il y a 10 morts, trois ou quatre embuscades. Cela se passe à petite intensité, c’est le chaudron centre-asiatique, ce chaudron qui, de temps en temps, soulève le couvercle et fait des bulles», souligne René Cagnat.

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La situation sur le terrain semble donc être revenue calme. Ainsi, l’ancien attaché à la Délégation aux affaires stratégiques écarte-t-il tout «embrasement généralisé» de la région, car la situation est sous contrôle et surveillée de près «par les nombreux gardes-frontières». Les deux États membres de l’Organisation de Coopération de Shanghai, qui comporte aussi la Russie et la Chine, ne semblent pas en mesure de déclencher un conflit bilatéral. Selon le Croissant Rouge, près de 60.000 personnes ont été déplacées depuis le lancement des hostilités, lesquelles ont été incitées à revenir chez elle par le président kirghize.

«Les Tadjiks sont rentrés chez eux et les Kirghizes ont récupéré leurs territoires. C’est le plus important. Les frontières ont été rétablies, et il y a eu certainement un début de conversation pour de nouvelles bases de négociations entre Tadjiks et Kirghizes.»

Dans une adresse à la Nation, le Président kirghize, Sadyr Japarov, a proposé le 2 mai à la création d’une «commission de maintien de la paix» composée des aînés des communautés kirghizes et tadjikes des zones contestées, «afin de prévenir de nouveaux conflits». Malgré les heurts, les contacts entre Bichkek et Douchanbé se sont maintenus pour apaiser la situation. Sadyr Japarov et son homologue tadjik Emomali Rakhmon se sont appelés à deux reprises et ont convenu de se rencontrer prochainement.

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