À travers la profondeur des eaux du Baïkal, la Russie veut voir le passé de l'univers

Les mystères de l’univers peuvent être mieux percés par les scientifiques russes à travers les eaux du Baïkal et ce grâce au télescope placé au fond de ce lac qui chasse la particule cosmique neutrino. Alors que la sensibilité du télescope a encore été augmentée, l’un des concepteurs du projet, un professeur russe, parle à Sputnik de cette quête.
Sputnik

Un télescope, le plus grand du genre dans l'hémisphère nord, construit pour explorer les trous noirs, les galaxies lointaines et les restes d'étoiles explosées, installé dans les profondeurs du lac Baïkal, a été mis en exploitation en Russie en mars 2021. Le physicien russe Grigoriï Domogatskiï, qui a été impliqué dans la construction et le développement de cet observatoire pendant 40 ans, a dévoilé dans un entretien à Sputnik comment cet instrument déposé au fond du lac pourrait percer les mystères de l’univers et regarder dans le passé. Il le fait en cherchant des particules connues nommées neutrinos, des particules cosmiques si minuscules que plusieurs trillions traversent chacun de nous chaque seconde, détaille le scientifique. 

D’après les chercheurs, nous pourrions étudier en détails l'univers et son Histoire, d'une manière que nous ne pouvons pas encore pleinement imaginer grâce à l’étude de ces particules cosmiques, si seulement nous pouvions apprendre à lire les messages qu'elles portent. Et le télescope russe Baïkal-GVD est l’un des appareils de ce type qui doit nous aider dans cette quête.

Le neutrino est une particule unique. Pourquoi?

Pourquoi les neutrinos sont des victimes de cette «chasse» menée par des scientifiques? Le professeur a précisé dans son interview que si les autres particules existantes dans l’espace changent de nature alors qu’elles traversent l’univers, suite à des interactions avec les obstacles qu’elles heurtent, les neutrinos, qui sont électriquement neutres, traversent l’espace librement, comme si tout était transparent.

«Le neutrino n'interagit pas avec les autres objets, il vole sans heurter d’obstacles, c’est pourquoi il est si difficile de l'attraper, car tout est transparent pour lui, il traverse la Terre librement et partout. C'est la difficulté de cette particule, sa complexité. Et cela la distingue parmi les autres», relate Grigoriï Domogatskiï.

Cette unicité fait également de cette particule une source riche d’information sur l’univers lointain et qui nous est inconnu, car, une fois attrapée, elle possède toujours les informations de sa source d’origine, qui n’ont pas été modifiées pendant son voyage spatial.

«C'est une particule qui traverse tout. Lorsque nous parlons, vous avez été traversé par plusieurs milliards [d’elles, ndlr]. Cette quantité est impossible à imaginer, c'est des milliards et des milliards, des dizaines de milliards, voire plus», indique le professeur.

Une fois attrapée par le télescope, qu’est-ce qui se passe avec la particule neutrino? Qu’est-ce que les chercheurs apprennent?

«Nous avons besoin de connaître son énergie, la direction à partir de laquelle elle est arrivée, et de trouver les coordonnées de la source dans l’espace céleste qui l'a produite. Un neutrino est une source inestimable d'informations sur sa source d’origine, elle porte des informations sur sa naissance», relate le scientifique russe Grigoriï Domogatskiï au micro de Sputnik.

Différences entre les neutrinos

Toutefois, il est important de savoir que toutes les particules de neutrino n’intéressent pas les scientifiques. Grigoriï Domogatskiï a expliqué qu’ils existaient des neutrinos à vitesse et à source d’origine différente.

Les neutrinos qui peuvent être attrapés par de tels télescopes peuvent être porteurs d’énergies différentes. Les scientifiques chassent principalement ceux qui ont d’énormes vitesses, car ce sont ces neutrinos qui sont nés dans les abysses de l’espace et qui pourraient nous en raconter plus sur l’univers.

«Avec de telles énergies frénétiques, ce sont des neutrinos qui viennent de l'espace lointain, de certaines galaxies actives qui remplissent l'univers. Et ceux à énergies plus basses, ce sont des neutrinos peu intéressants qui naissent dans l’atmosphère de la Terre quand des particules chargées interagissent avec eux», explique l’interlocuteur de Sputnik.

Le télescope russe et ses homologues

Afin de pleinement étudier les particules si difficilement attrapables comme les neutrinos, il ne suffit pas d’un seul télescope, «il faut un réseau de télescopes à neutrinos dans le monde entier».

Ces appareils existent et étudient déjà des particules pendant plusieurs années, cela concerne aussi le télescope russe. Pourtant, la sensibilité de ce dernier a été augmentée pendant des années pour qu’il soit capable de retenir plus de particules. Pour donner un exemple, le professeur a expliqué que le télescope de grande sensibilité IceCube, placé en Antarctique, fonctionne depuis huit ans et n’a pu attraper que moins d’une centaine de particules. Le télescope russe possède désormais presque la même sensibilité, selon le professeur. Alors que l’augmentation de la sensibilité du Baïkal-GVD n’est pas finie, les chercheurs russes continueront de travailler dans cette direction.

Néanmoins, le télescope russe Baïkal-GVD n’est pas le dernier de ces appareils. La France et l’Italie, avec les autres pays européens, sont en train de développer un télescope observant des neutrinos, dont l’un des détecteurs sera placé près de la ville française de Toulon et l’autre non loin de la Sicile. Ce projet européen est baptisé KM3NeT. Il est envisagé qu’il prenne la suite de l'expérience Antares, inaugurée en 2008, mais avec une sensibilité améliorée. Ainsi, les scientifiques créeront ce réseau nécessaire pour une étude plus large de ces particules cosmiques.

Et pourquoi le fond du lac Baïkal?

Interrogé sur le choix de l’endroit en Russie, le scientifique russe a évoqué des critères spécifiques exigés pour le placement de ce type de télescope.

«L'idée de tels détecteurs est de les placer en profondeur, et cela doit être fait à une grande profondeur d'environ un kilomètre, afin que les particules de rayons cosmiques tombées au-dessus n’interviennent pas et ne compromettent pas le fond des autres particules cosmiques. Le détecteur est de ce fait créé à une grande profondeur, et l'eau doit être transparente et propre», fait savoir Grigoriï Domogatskiï.

Par la suite, il a conclu que le fond du lac Baïkal est un endroit convenable, où le télescope est placé à une profondeur d’environ 1.300 mètres.

«En termes de qualité et de transparence de l'eau du Baïkal, il n'y a pas d'isotope de potassium 40», raconte le professeur.

Il explique que la présence de cet élément peut autrement créer un arrière-plan pour le télescope lors de sa chasse aux particules cosmiques.

L’époque de l'astronomie multimessager

Aujourd’hui, dans notre ère où les vols spatiaux ne sont pas encore notre quotidien et traverser l’univers à bord d’un vaisseau spatial pour aller visiter Mars ou Saturne n’est possible que dans notre imagination, les scientifiques cherchent à attraper et étudier différents signaux de tous les coins de l’univers. Ils essayent d’envoyer des sondes pour attraper des particules de l’espace pour les analyser par la suite sur Terre. Cela reste l’une des méthodes principales du monde scientifique pour percer les mystères de l’univers. Cela est l’époque de l'astronomie multimessager, explique l’interlocuteur de Sputnik.

«Nous vivons aujourd'hui à l'époque de la naissance des multimessagers d'astronomie, c'est-à-dire l'astronomie de divers signaux. C'est à la fois les neutrinos et les rayonnements électromagnétiques, les rayons gamma et les ondes gravitationnelles», a conclu le scientifique.
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