Et si l’idylle entre la France et le Liban était sur le point de s’altérer?
Alors que le chef de la diplomatie française s’apprête à se rendre au Liban, Paris a pris la décision le 29 avril de sanctionner plusieurs dirigeants du pays du Cèdre. Jean Yves Le Drian a annoncé restreindre l’accès au territoire français à certains responsables libanais. Lors d’un voyage à Malte, le patron du quai d’Orsay a déclaré avoir «commencé à mettre en œuvre des mesures restrictives en matière d’accès au territoire français à l’encontre de personnalités impliquées dans le blocage politique en cours ou impliquées dans la corruption», avant d’ajouter: «je voudrais le redire ici: les responsables du blocage doivent comprendre que nous ne resterons pas inactifs.» Dépourvu de gouvernement depuis septembre dernier, le Liban est au bord de l’implosion économique et sociale.
Le texte ne précise ni le type des restrictions d’accès ni l’identité des personnes visées. Ces sanctions sont toutefois une mise en pratique des menaces proférées à l’encontre des élites libanaises le 7 avril dernier. Devant l’Assemblée nationale, Jean-Yves Le Drian avait lancé «si certains responsables libanais ne prennent pas leurs responsabilités, nous n’hésiterons pas à prendre les nôtres.»
Pour Michel Fayad, analyste économique et politique libanais, ces punitions pourraient être bénéfiques si et seulement si elles concernaient toutes les personnalités corrompues. Ne sanctionner que «certains dirigeants libanais» serait «un aveu de faiblesse»:
«La France n’a pas réussi à imposer un gouvernement, donc elle est obligée de prendre des mesures fortes. Or, ces mesures risquent d’être contre-productives, car partisanes», craint-il au micro de Sputnik.
C’est pourtant la société civile libanaise elle-même qui avait enjoint à la France de prendre des mesures à l’encontre des élites corrompues. Dans une tribune publiée par Le Monde le 3 avril dernier, plusieurs journalistes, universitaires et d’anciens politiques avaient demandé à Paris qu’il agisse pour le bien du Liban en gelant les avoirs de certains dirigeants. «Plusieurs éléments nous prouvent que les sanctions visent un camp plus qu’un autre», pense Michel Fayad. Serait notamment visé l’ancien ministre des Affaires étrangères Gebran Bassil.
Hariri, chouchou de la France?
Autre indice: la binationalité française de Saad Hariri. «Comment voulez-vous que la France interdise l’entrée sur son territoire à un citoyen français?» fait remarquer Michel Fayad. Paris aurait donc choisi son camp, estime l'analyste politique. Si nous n’avons pu retrouver la date exacte de son acquisition, sa nationalité française n’est jamais évoquée avant 2017, date à laquelle Paris l’avait reçu après qu’il eut démissionné de son poste de Premier ministre depuis l’Arabie saoudite. Dernier signe et non des moindres, le tweet de Gebran Bassil le 30 avril: «je serai plus fort et plus victorieux quand les sanctions tomberont.»
«Quand Macron était venu au Liban au lendemain de l’explosion du port, il y avait une démarche sincère, indépendante et neutre. Aujourd’hui, force est de constater le changement de posture et l’alignement de plus en plus visible sur Washington», accuse Michel Fayad.
En effet, la France semble suivre la politique des sanctions mises en place par l’Administration américaine. En novembre dernier, les États-Unis avaient décidé de sanctionner Gebran Bassil, accusé de corruption.
Washington attaque le Hezbollah au portefeuille
Dans un communiqué on ne peut plus clair, l’ancien secrétaire d’État Mike Pompeo avait déclaré que le chef du CPL avait «contribué au système de corruption et de favoritisme politique qui sévit au Liban, qui a aidé et encouragé les activités déstabilisatrices du Hezbollah.» Ainsi, la réelle intention d’une telle mesure serait d’affaiblir et de contenir l’influence du parti pro-iranien. En septembre 2020, le Trésor américain avait également ciblé deux personnalités libanaises accusées d’avoir aidé le mouvement chiite. Il s’agissait de Youssef Fenianos, ancien ministre des Transports, et de l’ancien ministre des Finances, Ali Hassan Khalil. Le Hezbollah avait réagi en affirmant que «tout ce qui émane de cette Administration (américaine) est condamné et rejeté.» Pour Michel Fayad «la politique américaine n’a pas bougé d’un iota au Liban, ils veulent lutter contre le Hezbollah par le volet économique.»
Assailli par les sanctions étrangères, Gebran Bassil se tourne donc vers Moscou, espérant y trouver un soutien de poids. Il s’est rendu dans la capitale russe le 29 avril. Or, «la Russie n’a pas vocation à prendre parti dans les contentieux internes libanais», souligne Michel Fayad. Elle entretient en effet de bonnes relations avec tous les partis politiques du pays. Tout l’inverse de la position de Paris, donc, estime l’analyste politique:
«Cette politique partisane n’a jamais porté ses fruits au Liban. Le pays est divisé et ce genre de mesures accentuent la division. A trop vouloir s’ingérer au Liban, Paris ne résout pas le problème du blocage politique, il en crée un autre», conclut-il avec pessimisme.