Le Conseil militaire de transition (CMT) qui a pris le pouvoir au Tchad veut organiser un dialogue politique inclusif pour sortir le pays de la crise née de la mort d'Idriss Déby, qui a succombé à ses blessures le 20 avril en combattant les rebelles dans le nord du pays.
«Un Premier ministre, chef du gouvernement de transition vient d’être nommé. Sa mission est de former un nouveau gouvernement de réconciliation nationale, composé d’une équipe soudée, compétente et représentative du Tchad pluriel. La réconciliation nationale, la paix, l’unité, la solidarité seront en tête des actions prioritaires du gouvernement. Ces valeurs si chères à notre défunt Président seront éprouvées et sanctuarisées dans le cadre d’un dialogue national inclusif qui sera organisé pendant cette période de transition» a indiqué le Président de la transition.
Le général Mahamat Déby Itno s’est porté lui-même garant de ce dialogue qui, affirme-t-il, «n’éludera aucun sujet d’intérêt national selon un calendrier précis que le gouvernement sera appelé à dévoiler».
Il a promis la mise en place «de façon consensuelle et concertée d’un Conseil national de transition», de manière qu’il soit «représentatif de toutes les provinces et de toutes les forces vives de la nation» pour permettre «l’accompagnement législatif de l’action gouvernementale et de donner au pays les bases d’une nouvelle constitution».
Rassurer l’Union africaine de ses intentions
Le 23 avril 2021, lors des funérailles du maréchal Idriss Déby Itno, le Président de la RDC et Président en exercice de l’Union Africaine Félix Tshisekedi a insisté dans un discours sur l’urgence d’une transition qui respecte les lois tchadiennes, sans laquelle le pouvoir tchadien ne bénéficierait pas du soutien de l’instance régionale.
Le même jour, le Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’UA a réitéré cette position appelant les actuelles autorités tchadiennes «à s'engager rapidement dans un processus de restauration de l'ordre constitutionnel et de transfert du pouvoir politique aux autorités civiles» à travers un «un dialogue national inclusif».
S'exprimant auprès de Sputnik, le Dr. Cheikh Lo Fall, président du think tank Perspectives Afrique, basé à Bordeaux, estime que si cet appel n’est pas respecté, le Tchad pourrait faire face à de «lourdes sanctions, telle une suspension des instances de l’Union», comme ce fut le cas en août 2020 pour le Mali au lendemain du coup d'État qui a renversé le régime du Président Ibrahim Boubacar Keïta.
Et pour cause, la prise du pouvoir par le CMT n'est pas conforme à la constitution - au demeurant suspendue - qui prévoyait que l'intérim soit assuré par le président de l'Assemblée nationale en cas d'empêchement définitif du Président.
Dès lors, l'intérim du CMT s'apparente bien à un changement anticonstitutionnel de gouvernement, chose qu'interdit aux pays membres l’acte constitutif de l’Union africaine de juillet 2000.
Concernant le Mali, ses relations avec l’UA ne se sont d'ailleurs rétablies que trois mois après le coup d'État, à la suite du transfert du pouvoir à un civil et de la nomination d’un Premier ministre civil. Ce que le CPS, l'organe décisionnel permanent de l'Union africaine pour la prévention, la gestion et le règlement des conflits a salué à l'époque comme des «développements politiques positifs».
C’est donc pour mettre en confiance l’UA et «échapper à ses sanctions» que le discours et les annonces du CMT ont été faits, insiste le chercheur sénégalais Cheikh Lo Fall.
Ce discours est aussi prononcé pour «rassurer les forces politiques internes et la jeunesse après les manifestations de ce mardi à N’Djamena dans la capitale et dans le sud qui ont fait plusieurs morts», poursuit l’analyste.
Enfin, il s'agit aussi de «rassurer les partenaires extérieurs sur la nécessité pour le Tchad de continuer à assurer ses engagements régionaux dans le cadre de la lutte contre le terrorisme dans le vaste espace sahélo-saharien».
Saisir au rebond l’opportunité du dialogue
En promettant le dialogue national inclusif, le général Mahamat Déby Itno a aussi appelé dans son discours les Tchadiens en exil à rentrer pour participer à la reconstruction du pays.
«Au Tchad, il y a traditionnellement une méfiance en ce qui concerne les appels lancés aux opposants pour rentrer au pays. L'ancien Président n’ayant pas tenu ses engagements dans le passé, en emprisonnant ou en faisant disparaître des opposants qui sont rentrés au pays en croyant à sa promesse de réconciliation nationale», rappelle le Dr. Cheikh Lo Fall.
S'il se déroule dans un cadre national approprié et accepté par tous, ce dialogue va même pouvoir motiver les organisations régionales africaines comme l'Union africaine à changer de ton et accompagner le processus de transition plutôt que de sanctionner.
«Quoi qu'il en soit, le Tchad, ce pays carrefour entre le monde arabe et africain et dont les pays frontaliers sont tous instables (hormis, et dans une moindre mesure, le Cameroun) a besoin du dialogue et de la réconciliation de tous ses fils pour surmonter cette phase compliquée et potentiellement chaotique pour le pays mais aussi pour toute la sous-région», conclut le chercheur sénégalais.