Apaisement en vue au Moyen-Orient: Ankara s’engage dans une démarche à double détente avec Riyad et Le Caire

Après des années de tensions, la Turquie et l’Arabie saoudite semblent prendre le chemin du réchauffement diplomatique. Et ce, sur fond de dégel parallèle des relations entre le Qatar et l’Arabie saoudite et entre la Turquie et l’Égypte. Décryptage de l’échiquier proche-oriental avec Anne Gadel, spécialiste du Moyen-Orient.
Sputnik

Entre la Turquie et l’Arabie saoudite, de l’eau semble avoir coulé sous les ponts. Désormais, Ankara cherche «des moyens de rétablir les relations avec l'Arabie saoudite en adoptant un agenda plus positif», a expliqué à Reuters Ibrahim Kalin, porte-parole et conseiller d'Erdogan, ce 26 avril.

«C’est une forme de détente», résume Anne Gadel, spécialiste du Moyen-Orient, au micro de Sputnik. «On a d’ailleurs pu être surpris par ces déclarations, mais en réalité elles s’inscrivent dans un rapprochement entre l’Arabie saoudite et la Turquie qui étaient jusqu’à peu ennemies dans la région.» 

Quid de l’affaire du journaliste Jamal Khashoggi, tué et démembré dans l’ambassade saoudienne en Turquie en 2018? Une affaire vue comme le «point culminant de cette animosité entre les deux pays» par Anne Gadel. «Des procès ont eu lieu», s’est contenté de déclarer Ibrahim Kalin. «Ils ont pris une décision, donc nous respectons cette décision.» De l’histoire ancienne donc, à en croire le haut responsable turc.

Des années de tensions

Pourtant, à l’image de ce sordide épisode, difficile d’oublier tous les griefs qui ont opposé les deux puissances régionales durant la dernière décennie. L'Arabie saoudite et la Turquie étaient à couteaux tirés depuis les soulèvements de 2011 dans le monde arabe, lorsque Riyad a accusé Ankara de soutenir des groupes politiques islamistes.  

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Depuis, de la condamnation saoudienne de «l’agression» turque en Syrie, au soutien militaire de Riyad à Athènes, en passant par leur opposition en Libye, de nombreux dossiers stratégiques ont opposé les deux pays. Mais un dossier prévaut par-dessus tout: la crise entre le Qatar et l’Arabie saoudite.

En 2017, Doha était mis au banc diplomatique par Riyad et ses alliés (notamment l'Égypte, les Émirats arabes unis et le Yémen) pour de prétendus liens avec les réseaux djihadistes de Daech* et d'Al-Qaïda*. Une ostracisation régionale qui a poussé les alliés que sont la Turquie et le Qatar à renforcer considérablement «leurs liens à la fois économiques, sécuritaires et financiers», rappelle Anne Gadel.    

Entre la Turquie et le Qatar, commerce «fraternel»

Face à l’adversité géopolitique, les deux pays, réputés proches de la mouvance des Frères musulmans*, ont donc fait front commun face à l’Arabie saoudite et ses alliés. Durant cette période, ils se sont serré les coudes. Signe qui ne trompe pas, le commerce bilatéral augmente exponentiellement. Le volume des échanges entre Doha et Ankara a bondi de 6 % pour atteindre 1,6 milliard de dollars l'année dernière. Il devrait dépasser l'objectif de 5 milliards de dollars au cours l’année à venir, a déclaré une organisation turque.

Un bilan stupéfiant. Surtout si on le compare aux tensions entre la Turquie et l’Arabie saoudite. Durant ces quatre années de rivalité, les deux pays en étaient venus à un tel point d’animosité que le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane (MBS) décrivait en 2018 la Turquie comme faisant partie d'un «triangle du mal» avec l'Iran et les groupes islamistes radicaux.

En novembre 2020, les plus grandes chaînes de supermarchés du royaume boycottaient les produits turques. Non officiel, cet embargo a été proposé par des chefs d'entreprise et des influenceurs saoudiens sur les médias sociaux, au nom des crispations avec Ankara. Conséquence: le commerce entre les deux pays a chuté de 98% depuis l'an dernier.

Réchauffement diplomatique

Selon Anne Gadel, deux faits géopolitiques majeurs permettent, ou du moins laissent espérer, une réconciliation entre la Turquie et l’Arabie Saoudite. D’abord, l’élection de Joe Biden, dont l’arrivée à la Maison-Blanche aurait «rebattu les cartes dans la région»:

«Depuis, on voit qu’Ankara modifie le ton qu’il adopte dans sa stratégie diplomatique. On l’a vu notamment vis-à-vis de la France avec un changement de ton assez net, mais ça se manifeste aussi vis-à-vis de Riyad. Avec l’arrivée de Biden à la Maison-Blanche, il y a un certain nombre de domaines dans lesquels la coopération est profitable aux deux parties», estime notre interlocutrice.

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Pour le prince héritier MBS notamment, rouvrir la porte à un partenariat avec une puissance comme la Turquie peut être bénéfique maintenant que s’effrite l’appui américain à sa personne.  Et la Turquie a tout à gagner en reprenant des parts du lucratif marché saoudien.   

«Le Président Erdogan et le roi Salman sont convenus de maintenir les canaux de dialogue ouverts pour améliorer les liens bilatéraux et surmonter les problèmes», avait d’ailleurs avancé dans un communiqué la présidence turque dans la foulée de l’élection du 46e Président des États-Unis.   

Fin de la crise diplomatique entre Doha et Riyad

Le second catalyseur du réchauffement entre la Turquie et l’Arabie Saoudite a ensuite été la fin de la crise diplomatique entre l’Arabie saoudite et le Qatar. Quelques jours avant l’investiture de Joe Biden, Riyad mettait un terme à son embargo frappant Doha. Depuis, les relations reprennent prudemment leur cours.

«Le dégel entre Doha et Riyad facilite la création de nouveaux canaux de communication. C’est un prétexte qui permet à Riyad et Ankara de rompre ces relations tendues. Et cela permet à la Turquie de renouer des liens avec l’Arabie saoudite sans perdre ceux qu’ils ont avec le Qatar. C’est l’occasion que les deux capitales attendaient», affirme la spécialiste du Moyen-Orient. 

Preuve concrète de ce rapprochement entre le royaume et l’émirat: le roi Salmane a officiellement invité ce 27 avril son homologue qatari, l’émir Cheikh Tamim ben Hamad Al Thani.

L’arrivée de Joe Biden et le réchauffement entre le Qatar et l’Arabie saoudite rendent ainsi, selon notre interlocutrice, le «contexte plus favorable» à un « dégel » entre Ankara et Riyad. Ainsi la Turquie reprend-t-elle, petit à petit , des relations normalisées avec l’un des acteurs géopolitique et économique les plus puissants de la région.

Derrière l’Arabie saoudite, l’Égypte

En effet, Ankara a récemment entrepris des démarches visant à normaliser ses relations avec l’Égypte. Ce qui lui permettrait de faire d’une pierre deux coups. Un objectif qui passe aussi par un apaisement avec le royaume saoudien:

«Ce n’est pas une condition sine qua non, mais c’est assez essentiel pour la Turquie d’être en bons termes avec Riyad si elle veut être en bons termes avec l’Égypte. Notamment parce que Riyad est un financeur très important du Caire», explique Anne Gadel.

«On l’a vu aussi pendant l’embargo saoudien sur le Qatar: l’Égypte a suivi tout de suite l’Arabie saoudite parce que de manière générale, elle s’aligne sur Riyad», poursuit-elle.  

Depuis le coup d’État de l’été 2013, mené par le général Abdel Fattah al-Sissi à l’encontre de Mohamed Morsi, membre des Frères musulmans* élu Président d’Égypte en 2012, les relations entre l’Égypte et la Turquie étaient au plus bas. Sur fond de perspectives économiques, en particulier gazières en Méditerranée, les deux pays ont renoué de prudents contacts au mois de mars.    

Signe que la fracture entre les pouvoirs de la région proches des Frères musulmans* et les gouvernement hostiles à cette mouvance est en train de se réduire?    

* Organisation terroriste interdite en Russie.

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