«Ce n’est pas Wall Street qui a construit ce pays. La classe moyenne a construit ce pays. Et les syndicats ont construit la classe moyenne.» Voilà le genre de saillies qui ont ponctué le discours de Joe Biden devant le Congrès américain, ce mercredi 28 avril. Dans une allocution aux accents populistes assumés, le Président américain s’est directement adressé à la classe moyenne américaine. «Vous vous sentez abandonnés et oubliés dans une économie qui change rapidement», a-t-il ainsi lancé. Avant de marteler, dans une sortie que n’aurait pas reniée un certain Donald Trump: «Il n’y a aucune raison pour que les pales des éoliennes ne puissent pas être construites à Pittsburgh au lieu de Pékin.»
«Biden a fait du Biden: il a toujours été proche des classes populaires. Il ne faut pas oublier qu’il a grandi dans un milieu ouvrier! Ce n’est pas quelqu’un qui est né avec une cuillère en argent dans la bouche», rappelle le spécialiste des États-Unis Jean-Éric Branaa au micro de Sputnik.
Si l’itinéraire de Joe Biden n’est en rien comparable avec celui du magnat de l’immobilier Donald Trump, le cœur de cible du 46e Président des États-Unis peut pourtant évoquer celui de son prédécesseur républicain. «Il y a des points de convergence avec Donald Trump», reconnaît ainsi le chercheur au Centre Thucydide de l’université Paris II. D’abord parce qu’ils viseraient tous deux «les classes populaires et les classes moyennes». Ensuite, estime-t-il, parce que leurs plans de relance se ressembleraient. «Il y a eu sous Trump deux plans de relance très importants: 2.000 milliards de dollars au mois d’avril 2020 et 900 milliards en décembre dernier.» Enfin, par leurs conséquences: «Heureusement qu’ils ont été là, autrement les classes populaires auraient été en grande difficulté –et pas seulement elles d’ailleurs».
«Le ruissellement des richesses n’a jamais marché»
«Mais la comparaison s’arrête là. Par exemple, avec son slogan “l’Amérique d’abord”, Trump restait dans le déclaratif. Avec Biden, par contre, les mots sont suivis d’actes. Joe Biden essaie véritablement de reconstruire l’appareil industriel américain, notamment à travers son plan d’infrastructures et en donnant de l’emploi aux personnes modestes», avance Jean-Éric Branaa, qui reste sceptique à l’encontre de Donald Trump.
Autre différence de taille avec son ex-rival républicain: Joe Biden mise sur la hausse de l’impôt sur les sociétés pour financer son programme d’infrastructures. La taxe sur les entreprises passerait ainsi de 21% à 28%, tandis que le prélèvement sur les filiales étrangères doublerait pour atteindre 21%. Le Président américain a d’ailleurs proposé d’augmenter l’impôt sur les revenus du capital pour les 0,3% d’Américains les plus fortunés qu’avait institué son prédécesseur. Un interventionnisme économique affiché donc, qui tranche avec le néolibéralisme des années Reagan, Bush ou Clinton. «Le ruissellement des richesses n’a jamais marché, il est temps de favoriser la croissance de bas en haut», a ainsi lancé Joe Biden devant les parlementaires américains.
«C’est une vraie rupture avec Trump, qui voulait quant à lui alléger les impôts des plus riches pour créer davantage d’emplois. Biden propose de donner d’abord du bien-être aux classes les plus pauvres pour relancer la consommation», analyse Branaa.
«Le vrai changement, même s’il n’a bien évidemment rien inventé, c’est que Joe Biden demande désormais aux Américains de payer des impôts à hauteur de leur fortune», précise celui qui a fait paraître une biographie de Joe Biden en octobre dernier (Éd. Nouveau Monde).
Le spectre des divisions internes
À l’aune de cet ambitieux plan de relance, certains observateurs de la vie politique américaine vont jusqu’à pousser la comparaison entre Joe Biden et Franklin Delano Roosevelt, instigateur du fameux New Deal dans les années 1930 pour sauver l’économie américaine alors durement frappée par la Grande dépression. C’est d’ailleurs au 32e Président américain que l’on doit la mise en avant du cap symbolique des «100 jours» au pouvoir. Mais, pour Jean-Éric Branaa, comparaison n’est pas raison entre les deux hommes. «Restons calmes et attendons! Il est bien trop tôt pour le dire. En 100 jours, Roosevelt avait déjà fait voter plus d’une centaine de lois, Biden n’en est qu’à quinze. La comparaison s’arrête au fait que Biden apprécie Roosevelt et qu’il aimerait bien lui ressembler, mais il est avant tout Biden», tempère l’universitaire.
D’autant que si les intentions keynésiennes de Joe Biden semblent ne faire aucun doute, rien ne dit que le Président démocrate pourra faire voter tous les plans de relance sans en être empêché. L’ancien vice-Président de Barack Obama ne possède qu’une majorité très courte d’une petite voix au Sénat. Si par hasard certains «frondeurs» venaient à apparaître dans les rangs démocrates, les plans de relance proposés par Joe Biden pourraient bel et bien tomber dans l’eau du Potomac.
«Sa majorité est très étriquée et il reste encore très dépendant des francs-tireurs et de ceux qui vont vouloir tirer la couverture à eux. En même temps, Joe Biden a 36 ans d’expérience de Sénat et il sait que son action ne pourra s’inscrire que dans une longue durée», veut croire Jean-Éric Branaa.
«M. le Président, si votre programme réussit, vous serez le plus grand Président de l’histoire américaine. S’il échoue, vous serez le pire», avait glissé un visiteur de la Maison-Blanche à Franklin D. Roosevelt alors tout juste élu. Reste à savoir si cette petite phrase pourra s’appliquer à Joe Biden dans les mois qui viennent.