Sergueï Lavrov: la liste des pays inamicaux envers la Russie sera bientôt diffusée

Dans une interview à Sputnik, Sergueï Lavrov, chef de la diplomatie russe, se livre sur de nombreux sujets d’actualité. Le Donbass, les relations avec les États-Unis et l’Occident, le vaccin russe Spoutnik V ou encore la dédollarisation et la possible sortie de la Russie du système SWIFT.
Sputnik

- Sergueï Victorovitch, les relations avec les États-Unis partent en vrille. Personnellement, je ne me souviens pas qu’elles aient été aussi mauvaises. C'est probablement pire encore que la guerre froide, de mon avis. Les ambassadeurs restent dans leurs pays. Que va-t-il se passer ensuite? Quelles sont les évolutions possibles?

Si cela dépendait seulement de nous, nous reviendrions probablement à des relations normales. Comme première étape, évidente et pas du tout difficile à mon avis, nous annulerions toutes les mesures qui ont été prises pour restreindre le travail des diplomates russes aux États-Unis - en réponse, nous avions limité le travail des diplomates américains en Russie. Nous l'avions proposé à l'administration Biden dès qu'elle avait prêté tous les serments nécessaires et pris ses pouvoirs. Je l’ai rappelé à Blinken, sans m’imposer. J’ai simplement dit que l'étape évidente pour que nous puissions travailler normalement serait de remettre à zéro tout ce que Barack Obama avait commencé lorsque, quelques semaines avant de quitter la présidence, en claquant la porte et en faisant preuve d'irritation, il avait saisi des biens russes, violant ainsi absolument toutes les conventions de Vienne, et avait expulsé des diplomates russes. Puis il y a eu une réaction en chaîne. D’ailleurs, nous avons été patients pendant longtemps: nous avons attendu tout l'été 2017 avant de réagir, car l'administration Trump nous avait demandé de ne pas réagir aux excès de l'administration Obama sortante, qui quittait la Maison-Blanche. Mais l'administration Trump n'a pas non plus réussi à ramener cette situation à la normale, nous avons donc dû répondre de manière plus ou moins similaire. Mais les Américains ne se sont pas calmés.

On voit que l'administration Biden continue également de glisser sur ce mauvais chemin. Pourtant dans une conversation entre Poutine et Biden, qui a eu lieu peu de temps après l’investiture, et dans ma conversation avec le secrétaire d'État Blinken, nos homologues américains nous ont dit qu'ils menaient un examen sérieux des relations avec la Russie et espéraient que les choses seraient plus claires à la suite de cette conversation. Mais le résultat de cette conversation a été de nouvelles sanctions, auxquelles nous avons dû répondre non pas symétriquement mais, comme nous en avions averti à plusieurs reprises, nous agirions finalement de manière asymétrique. Cela concerne notamment, entre autres, une disparité importante dans le nombre de diplomates et autres employés qui travaillent dans les missions diplomatiques américaines en Russie, dépassant largement le nombre de nos diplomates aux États-Unis. Nous en avons parlé, je n'irai pas plus loin.

Mais si on parle de l’aspect stratégique de nos relations, j'espère vivement que Washington se rend compte comme nous de sa responsabilité dans la stabilité stratégique du monde. Pas seulement les problèmes russes et américains, pas seulement les problèmes qui compliquent considérablement la vie de nos citoyens, leurs contacts, leurs communications, leurs projets commerciaux et humanitaires, mais aussi les problèmes qui posent de graves risques pour la sécurité internationale au sens le plus large du terme. Par conséquent, vous savez comment nous avons réagi aux excès qui se sont fait entendre dans la fameuse interview de Joe Biden à ABC. Vous savez comment le Président Poutine a réagi à la proposition du Président américain de tenir une réunion, nous avons accueilli favorablement cette proposition. Nous voulons comprendre tous les aspects de cette initiative et nous l’étudions actuellement. Je le répète, si les États-Unis cessent d’agir en position de souverain, comme le Président l'a dit dans son message à l'Assemblée fédérale, s'ils se rendent compte de la futilité de toute tentative de relancer un monde unipolaire, de créer une sorte de structure où tous les pays occidentaux seront subordonnés aux États-Unis et tout le camp occidental recrutera d'autres pays sur différents continents contre la Chine et la Russie sous leurs bannières, si les États-Unis se rendent compte que ce n'est pas pour rien que des principes comme le respect de la souveraineté, l'intégrité territoriale, la non-ingérence dans les affaires intérieures et l'égalité souveraine des États sont inscrits dans la Charte des Nations unies, et s’ils remplissent simplement leurs obligations statutaires et mènent un dialogue avec nous, comme avec tout autre pays, dans un respect mutuel, basé sur un équilibre des intérêts qui doit être trouvé... Sinon, nous n’y arriverons pas. Le Président l'a clairement indiqué dans son message, soulignant que nous sommes prêts pour les accords les plus larges si cela répond à nos intérêts. Et, bien sûr, nous réagirons durement à toute tentative de franchir les «lignes rouges» que nous définissons nous-mêmes, comme vous l’avez entendu.

- Sergueï Victorovitch, mais est-il réaliste de s'attendre à ce qu'ils prennent conscience et abandonnent leur position de suzerain? Après tout, l'espoir fait vivre, mais la réalité est complètement différente.

Je n’ai pas exprimé d’espoir. J'ai dit sous quelles conditions nous serions prêts à parler.

- Et sinon, alors?

Sinon, c'est leur choix. Cela signifie que nous vivrons dans des conditions, comme vous l'avez dit, soit de guerre froide, soit dans des conditions encore pires.

- En guerre très gelée...

Je crois que pendant la guerre froide, la tension a été, bien sûr, très intense, plus d'une fois sont survenues des situations à risque importantes et des situations de crise. Mais il y avait un respect mutuel, qui, à mon avis, fait maintenant défaut. Et ici ou là, même des notes schizophréniques se glissent dans les déclarations de certains responsables à Washington. Récemment, la porte-parole de la Maison-Blanche a déclaré que les sanctions antirusses seront prolongées, que les sanctions donnent l'effet espéré par Washington et que le but des sanctions était de réduire les tensions entre les États-Unis et la Russie. Je ne peux même pas faire de commentaire à ce sujet. J'espère que tout le monde comprend que de telles déclarations ne font pas honneur à ceux qui prônent une telle politique à la Maison-Blanche.

- J'ai entendu dire que cette opinion est exprimée à un certain niveau, dans certains cercles, que les diplomates ne font pas du bon boulot, ne peuvent pas établir de relations, que nous sommes têtus, nous repoussons tout le monde, notre position n'est pas du tout flexible, pas élastique et c'est pourquoi les relations sont mauvaises...

Parlez-vous de cercles à l'intérieur de notre pays maintenant?

- Dans notre pays, oui.

Oui, j'ai aussi lu ces opinions, mais Dieu merci la liberté d'expression [en Russie], à mon avis, est beaucoup plus protégée que dans de nombreux pays occidentaux, y compris aux États-Unis. J'ai aussi lu des sites Internet de l'opposition, des journaux, et je pense que, sans doute, ces gens ont le droit d'exprimer leur point de vue, lequel consiste à dire que «si nous ne nous disputions pas avec l'Occident, nous aurions maintenant du parmesan et bien d'autres choses dont nous manquons sincèrement». Mais quand, pour une raison quelconque, l'achat de nourriture en Occident a été fermé, sans expliquer qu'il s'agissait d'une mesure de rétorsion - ils ont simplement cessé d'acheter de la nourriture, ont commencé à se livrer à des substitutions aux importations - le prix de la nourriture a augmenté. Vous savez, c'est une vision si étroite et univoque, rien que du point de vue du bien-être: choisir entre la télévision et le réfrigérateur. C'est la langue qu'ils parlent. S'ils jugent fondamental d’importer les valeurs des États-Unis, permettez-moi de vous rappeler la citation, à mon avis, du plus grand Président américain, John F. Kennedy: «Ne pensez pas à ce que votre pays peut faire pour vous. Pensez à ce que vous pouvez faire pour votre pays.» C'est une différence radicale avec les vues libérales actuelles, où seul le bien-être personnel a une importance décisive. Ceux qui promeuvent de telles approches philosophiques, à mon avis, non seulement ne comprennent pas notre code génétique, mais ils essaient de le détruire de toutes les manières possibles. Car outre le désir de bien vivre, d'avoir confiance en l’avenir de nos enfants, nos amis, nos parents, le sentiment de fierté nationale a toujours joué dans notre pays un rôle tout aussi important dans tout ce que nous avons fait tout au long de notre histoire millénaire. Si quelqu'un croit que pour lui ou elle, comme il est maintenant correct de le dire, ces valeurs n'ont plus d'importance, c'est son choix. Mais je suis convaincu que l'écrasante majorité de notre peuple pense différemment.

- Sergueï Victorovitch, malgré tout, comptez-vous sur une rencontre avec Blinken? Quand cette réunion peut-elle avoir lieu et aura-t-elle lieu dans un avenir prévisible?

Lorsque nous avons parlé au téléphone, conformément à l'étiquette diplomatique, je l'ai félicité. Nous avons échangé quelques avis sur la situation. La conversation a été, je pense, amicale, calme, pragmatique. J'ai signalé que lorsque nos collègues américains auront achevé la formation de toutes leurs équipes, au Département d'État notamment, nous serons prêts à reprendre les contacts, étant entendu que nous rechercherons des accords mutuellement acceptables sur de nombreuses questions, du travail des missions diplomatiques jusqu’à la stabilité stratégique et bien d'autres choses. Par exemple, les entreprises américaines et russes souhaitent élargir leur coopération, comme nous en a récemment informé la Chambre de commerce américano-russe. Nous en sommes arrivés à la conclusion que des sortes d’événements multilatéraux communs seront organisés, en marge desquels il sera possible de négocier au besoin. Pour l’instant, nous n’avons pas reçu le moindre signal de la part des États-Unis. Si nous parlons du calendrier des événements, dans trois semaines, la Russie reprendra à la suite de l'Islande la présidence du Conseil de l'Arctique. À Reykjavik, une réunion ministérielle est prévue, il me semble, les 20 et 21 mai. Si la délégation américaine est dirigée par le secrétaire d'État, je serais bien entendu prêt, s'il le souhaite, à m'entretenir avec lui. Étant donné que nous prenons la présidence du Conseil de l'Arctique pour deux ans, j'ai déjà annoncé à nos collègues islandais que je participerai à cette réunion ministérielle.

- Sergueï Victorovitch, [à propos de] la liste des pays inamicaux: y a-t-il des certitudes quant à qui sera sur cette liste?

Le gouvernement s’en occupe actuellement selon les instructions du Président. Nous participons à ce travail, de même que d’autres structures concernées. Mais je ne voudrais pas aller trop vite maintenant: nous ne voulons pas inscrire sur cette liste, sans distinction ni fondement, tout pays qui dirait quelque part quelque chose de mal à l’égard de la Russie. Nous allons bien entendu fonder nos décisions sur une analyse profonde des situations et sur les opportunités de mener nos affaires avec ce pays d’une façon différente. Si nous arrivons à la conclusion que nous ne parvenons pas à agir autrement, je pense que cette liste va, bien sûr, régulièrement se compléter. Ce n’est pas pour autant un papier «mort», nous allons, naturellement, le réviser au fur et à mesure que nos relations avec un État en particulier se développeront.

- Quand sera-t-il possible de consulter cette liste?

Bientôt, je crois. Le gouvernement a des instructions concrètes, des critères clairs, que nous appliquons dans ce travail. Je pense donc qu’il n'y aura pas à attendre longtemps.

- Et il sera interdit à ces États inamicaux d’embaucher du personnel local?

Des personnes physiques, qu'elles soient russes ou étrangères.

- C’est la seule mesure à l’encontre des États inamicaux, ou y aura-t-il d’autres mesures?

À ce stade, pour les objectifs de ce décret signé par le Président Poutine, c'est concrètement ce qui est visé par cette mesure.

- Merci! Un autre sujet: le Donbass. La tension y monte depuis le début de l'année. Depuis un entretien téléphonique de Joe Biden avec Vladimir Poutine, cela a l’air de s’améliorer. À mon avis, et je l’ai dit dans l’émission Vesti Nedeli [Nouvelles de la semaine, ndlr], les garanties militaires américaines données à l'Ukraine se sont avérées être du bluff. Mais les échanges de tirs continuent, des armes de gros calibre interdites y sont toujours employées, et on a le sentiment que cette paix ne se distingue pas beaucoup de la guerre, l'équilibre est très instable. Dans le Donbass, déjà plus d'un demi-million de personnes ont reçu des passeports russes et sont ainsi devenues citoyens de la Fédération de Russie. Y aura-t-il une guerre?

Si cela dépend de nous et des milices - dans la mesure où nous pouvons comprendre leurs approches de principe - alors on peut et doit éviter la guerre. Côté ukrainien, avec Volodymyr Zelensky, je ne vais pas faire de suppositions car en apparence, l'essentiel pour lui est de rester au pouvoir, et il est prêt à payer n'importe quel prix, y compris à laisser faire les néo-nazis et les ultra-radicaux qui accusent toujours les milices du Donbass d'être des terroristes. D’ailleurs, nos collègues occidentaux n’ont qu’à lire, qu’à suivre le cours des événements depuis février 2014. Aucune de ces régions n’a attaqué le reste de l’Ukraine. Ils ont été déclarés terroristes, ils ont d'abord été visés par une opération antiterroriste, puis par une sorte d'opération de forces conjointes. Mais ils n'ont aucune envie, nous le savons de façon sûre, de faire la guerre au régime de Kiev. J'ai dit à plusieurs reprises à nos collègues occidentaux qu'ils étaient absolument biaisés dans leur évaluation de ce qu'il se passait, justifiant imprudemment les actions de Kiev. Je leur ai dit que c'était une image objective que nos journalistes et nos correspondants militaires, qui y travaillent presque continuellement, montrent régulièrement du côté droit de la ligne de contact.

- Dans les tranchées.

Dans les tranchées. Mais sans cesse ils font chaque jour des reportages qui permettent de juger de comment les gens se sentent dans ces territoires, des territoires coupés du reste de l’Ukraine par un blocus économique, des territoires où des enfants, des civils meurent régulièrement, des infrastructures civiles, des écoles et des crèches sont détruits. Et j’ai posé la question, je le fais en permanence, à nos collègues occidentaux, de savoir pourquoi de leur côté ils ne stimulent leurs médias pour organiser le même travail du côté gauche de la ligne de contact, pour que l'on comprenne à quel point les territoires là-bas [contrôlés par l’Ukraine] ont subi des dégâts et, tout d’abord, quels sites ont le plus souffert. En effet, il y a quelques années, après de nombreux mois de demandes de notre part, l'OSCE avait finalement publié non seulement un rapport sur le nombre de morts et de blessés, mais aussi un rapport montrant combien de sites civils et de simples habitants ont été touchés dans le territoire des milices et combien dans le territoire contrôlé par Kiev. Cette statistique est cinq fois en la défaveur de Kiev, et elle confirme que dans l'écrasante majorité des cas, Kiev initie les frappes contre des cibles civiles, et que la milice répond contre les points d'où les tirs partent. Depuis, nous essayons de nouveau de rendre ce genre de rapports réguliers. La direction de la mission spéciale de suivi, et en fait l'OSCE elle-même, se sentent en quelque sorte très mal à l'aise dans cette affaire et essaient par tous les moyens d'éviter de publier des données aussi honnêtes. Concernant les récents événements, lorsque nous avons annoncé ouvertement que nous menions des exercices dans les districts militaires du sud et de l'ouest de la Russie, sans rien cacher, nous avons organisé des événements de deux semaines sur notre territoire, vous vous souvenez de ces cris selon lesquels la Russie transférait des troupes à la frontière de l'Ukraine. Et ce dans la terminologie même: nous annonçons ces exercices des districts du sud et de l'ouest, ils disent: la Russie déploie des unités militaires à la frontière avec l'Ukraine. Ensuite, lorsque les exercices se sont terminés et que nous l'avons annoncé, des déclarations malveillantes ont commencé à se faire entendre à partir de ce moment-là du côté occidental: voilà, désormais, la Russie a été forcée de reculer, la Russie s'est retirée. Il y a, vous savez, cette expression: une prophétie autoréalisatrice, mais dans ce cas il s'agit d'autre chose, c'est du wishful thinking, un vœu pieux. Par ailleurs, cela ressemble à la situation avec le G7, à chaque fois qu'ils se rencontrent, ils disent: «Nous n'inviterons pas la Russie au G7». Seigneur, nous avons dit à plusieurs reprises que nous n'y retournerons jamais. Ce G8 n’existera plus, c'est terminé, mais néanmoins, la relance de ce sujet, ainsi que le sujet concernant l'idée que la Russie a capitulé et retiré ses troupes, les a renvoyées à la caserne, bien sûr, montre que l'Occident veut en tirer avant tout un avantage pour promouvoir sa parole décisive, une place décisive dans les relations internationales modernes. C'est triste.

Mais le règlement ukrainien a été discuté par Poutine et Merkel, et récemment, le Président Poutine en a parlé avec le Président Macron, et il a également été abordé au cours d'une récente conversation avec Biden. La situation, à mon avis, est très simple. Ceux qui patronnent Zelensky et son équipe ne veulent catégoriquement pas le forcer à se conformer aux accords de Minsk. Ils comprennent la futilité totale de parier sur l'usage de la force, ils ont entendu des signaux de Donetsk et de Lougansk sur leur volonté de défendre leur terre, leurs foyers, leur population, qui ne veut pas vivre selon les lois imposées par les néo-nazis. Et le Président Poutine a dit très clairement que nous ne laisserons jamais tomber ceux qui vivent en difficulté dans le Donbass, ceux qui résistent au régime néonazi ouvertement radical.

Et ce que dit le Président Zelensky dans ses différentes interviews, affirmant qu'il n'y a pas de problèmes ni avec la langue russe ni avec l'Église orthodoxe russe en Ukraine, et qu'il est prêt à en discuter avec le Président Poutine. Vous savez, c'est dommage pour une personne probablement intelligente de déclarer que la langue russe et l'Église orthodoxe ukrainienne n'ont pas de problèmes en Ukraine. Je suis sûr qu'il sait tout parfaitement. Peut-être qu'on ne lui rapporte rien du tout et qu'il vit dans une sorte de monde fermé. Mais l'Occident, bien sûr, a envoyé des signaux à Zelensky. Vous avez dit qu'il ne sert à rien de compter sur l'assistance militaire des États-Unis. Tout le monde l'a toujours su. Si quelqu'un a pu nourir l'illusion qu'une telle aide viendrait, eh bien, de tels conseillers n’ont aucune valeur dans n'importe quel gouvernement, y compris le gouvernement de M.Zelensky.

Et les tentatives, malheureusement, se poursuivent de la part de l'Occident, de toutes les manières possibles, pour nous convaincre que, d'une manière ou d'une autre, les accords de Minsk doivent être assouplis, leur ordre doit être en quelque sorte modifié. Zelensky dit qu’il n’aime pas cela. Eh bien, si cela se produit dans l'autre sens, c’est-à-dire, d'abord ils prennent le contrôle total de ce territoire, y compris la frontière avec la Russie, ensuite ils s’occuperont des élections, et de l'amnistie, et en général de tout, avec le statut spécial de ces territoires... Il est clair que s'ils faisaient ainsi, si quelqu'un leur permettait de le faire, alors il y aurait un massacre, à vrai dire. Et l'Occident ne peut pas ou ne veut pas le forcer à se conformer strictement aux accords de Minsk dans cet ordre qui n'est pas soumis à une interprétation ambiguë, qui est assigné, écrit de la première étape à la dernière. Et le contrôle de la frontière est la toute dernière étape, lorsque ces territoires auront un statut spécial inscrit dans la Constitution ukrainienne, lorsque des élections libres auront lieu dans ces territoires, qui doivent être reconnus comme tels par l'OSCE, etc. Et, bien sûr, il y aura une amnistie complète, non seulement comme elle avait été imaginée sous Porochenko et sous le régime actuel, conduite dans l’idée que «nous verrons que ceux qui n'ont commis aucun crime spécial seront amnistiés à titre individuel». C'est une autre déformation. Les accords de Minsk impliquent une amnistie complète pour tous ceux qui ont participé aux hostilités des deux côtés sans aucune justice transitionnelle, ce dont nos collègues occidentaux commencent actuellement à parler. Par conséquent, je pense que la responsabilité principale incombe à l'Occident, car seul l'Occident peut forcer Zelensky à faire ce que son prédécesseur a signé et ce que Zelensky a signé, quand en décembre 2019 à Paris, il a confirmé avec les Présidents russe et français et la chancelière allemande l’absence d’alternative aux accords de Minsk et s’est engagé à intégrer les questions du statut spécial du Donbass dans la législation et la loi principale.

- Beaucoup n'arrivent pas à comprendre pourquoi la Russie ne reconnaît pas le Donbass, tandis que l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud sont reconnues. Et même parmi les journalistes, mes collègues, on entend parler d’une demande de reconnaître le Donbass à la fin des fins - la République populaire de Donetsk et la République populaire de Lougansk. Pourquoi on ne le fait pas?

Vous avez raison de dire qu'il existe probablement une analogie avec l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud, seule exception: en Abkhazie et en Ossétie du Sud, lorsque l'agression de Saakachvili contre Tskhinval a visé les positions des soldats de la paix, y compris russes, il n’y a pas eu d'arrangements similaires aux accords de Minsk. Là-bas, le texte Medvedev-Sarkozy - qui impliquait un certain nombre d'étapes, mais n'a pas été signé par la Géorgie - n'a même pas été ratifié, mais seulement discuté. Et Sarkozy, après être parvenu à un accord avec nous ici à Moscou, s'est envolé pour Tbilissi afin d'obtenir le soutien de ce texte de la part de Saakachvili. Saakachvili n'a signé ce document qu'après avoir supprimé les points clefs. Sarkozy a essayé de présenter cela comme un compromis, mais tout était assez clair pour tout le monde. Le document s'ouvrait par une phrase, un préambule. La Fédération de Russie et la République française, aspirant à normaliser la situation en Transcaucasie, offrent à la Géorgie, à l'Ossétie du Sud et à l'Abkhazie ce qui suit: un cessez-le-feu... Saakachvili a effacé cet en-tête et ce qu'on a obtenu, c'est le premier point: un cessez-le-feu et ainsi de suite... Et depuis lors, l'Occident exige que nous respections ces accords. Bon, ce n’est qu’un exemple.

Dans le cas du Donbass, la situation était différente, et les pourparlers de 17 heures à Minsk avec la participation des dirigeants du format Normandie - le Président Hollande, la chancelière Merkel, le Président Porochenko et le Président Poutine - ont donné des résultats, qui, deux jours plus tard, ont été approuvés par le Conseil de sécurité de l'Onu sans aucun appendice, sans aucun doute sur ce qui doit être mis en œuvre ou pas. Par conséquent, maintenant la vérité juridique internationale et morale est globalement de notre côté et du côté de la milice. Et je crois que nous ne devrions pas laisser filer de l'hameçon Monsieur Zelensky et toute son équipe, laquelle se tortille de toutes ses forces. Prenons la déclaration de Zelensky, alors qu'il se désespérait déjà pour renverser les accords de Minsk, selon laquelle ceux-ci ne conviennent plus, mais qu'ils en ont besoin, car la préservation des accords de Minsk garantit que les sanctions contre la Russie restent également en vigueur. Nous demandons à l'Occident, comment trouvez-vous ces propos? Ils détournent timidement le regard, sans rien dire. À mon avis, c'est une honte quand un document juridique international subit de telles moqueries, et l'Occident, qui est co-auteur de ce document et qui l'a soutenu au Conseil de sécurité de l'Onu, fait montre de son impuissance totale.

- Volodymyr Zelenski n’arrive pas à joindre Vladimir Poutine par téléphone: il ne décroche tout simplement pas. Dmitri Kouleba n’arrive pas à vous joindre. Qu’est-ce que cela signifie?

Cela signifie simplement que dans ce domaine de leur activité également, ils cherchent à déformer les accords de Minsk et à présenter la Russie comme une partie en conflit. Parce que les requêtes que j’ai jusqu’à récemment reçues de la part de mon homologue Dmitri Kouleba et du Président Zelensky ne concernaient que le règlement du conflit dans le Donbass. Ce à quoi nous répondions: «Chers amis, il ne faut pas en discuter avec nous mais avec Donetsk et Lougansk». Il y est écrit noir sur blanc que les étapes clés du règlement doivent être le sujet de consultations et de concertations avec Donetsk et Lougansk. Et quand on nous dit qu’il y a une situation désagréable qui se profile sur la ligne de contact, qu’ils veulent parler au ministre Lavrov ou au Président Poutine, cela ne nous concerne pas. Et le Président vient de dire très concrètement, lors d’une rencontre au Kremlin avec Alexandre Loukachenko, que s’ils veulent en parler, ils doivent s’adresser à un autre destinataire. Mais si nos collègues, y compris le Président Zelensky, veulent discuter d’une normalisation des relations bilatérales, ils sont les bienvenus, nous sommes toujours prêts à ce genre de dialogue.

- Mais pour l’instant, il n’y a pas de réponse de ce genre? Ils ne sont pas d’accord?

J’ai entendu dire que Zelensky avait dit avoir chargé [Andreï] Ermak, le chef de son bureau, de s’entendre sur la date et le lieu [d’une rencontre avec Vladimir Poutine, ndlr], et que le lieu était sans importance car chaque jour d’atermoiement signifie que des gens vont périr. Concernant le fait que des gens meurent et ce qu’il se passe sur la ligne de contact, Kiev s’est mis à proclamer avec acharnement, ces dernières semaines, la nécessité de reconfirmer le cessez-le-feu. Tous ses protecteurs occidentaux se sont mis à nous implorer d’influer sur le Donbass pour que le cessez-le-feu s’applique pour de bon.

Le Président Poutine, en parlant au téléphone au Président Macron et à la chancelière Merkel durant ces deux dernières semaines, leur a rappelé les faits. Et les faits nous disent qu’en juillet 2020, l’entente probablement la plus sérieuse, la plus efficace, sur le cessez-le-feu a été conclue au sein du groupe de contact. Efficace parce qu’elle prévoyait un mécanisme de contrôle de son respect. Ce mécanisme prévoyait toute une série d’actions, et avant tout des engagements de chaque partie à ne pas répondre aux tirs sur-le-champ et plutôt à rapporter les violations au haut commandement. Et ce n’est que ce haut commandement qui formule ensuite un ordre disant comment il faut agir: faut-il répondre ou bien s’entendre sur les mécanismes mis en place pour assurer une communication entre les commandants sur le terrain. Eh bien, cette entente a été, comme prévu, traduite dans les ordres édités par la République populaire de Donetsk et la République populaire de Lougansk. Ces ordres militaires ont été publiés. Et Kiev s’est engagé à en faire de même, mais il ne l’a pas fait. Au lieu de cela, il s’est à nouveau mis à jongler avec les mots et, au lieu de remplir ses engagements qui prévoient de rapporter au haut commandement pour en recevoir des ordres, ils se sont mis à substituer à ce schéma bien précis des formules très vagues. Et ce, malgré le fait que lors de chaque rencontre qui s’en est suivie, Donetsk et Lougansk le leur reprochaient, et nos représentants dans le groupe de contact l’ont plusieurs fois évoqué. C’est ce que faisait Dmitri Kozak pendant ces derniers mois au sein du format de Normandie en communiquant avec ses collègues français et allemands, et Andreï Ermak y participait également du côté de l’Ukraine.

J’ai lu la retranscription de ces entretiens. C’est ce qu’on appelle parler à un mur, ils répondent à une autre question que celle qui leur a été posée. Et voilà que soudain, semble-t-il, il y a environ deux semaines, les dirigeants ukrainiens ont décidé qu’il fallait à nouveau raviver le thème du cessez-le-feu. C’est honteux et indigne.

Vous savez, j’ai regardé avec un grand plaisir la série télévisée «Serviteur du peuple» [avec Volodymyr Zelensky dans le rôle-titre, ndlr], lorsque personne ne soupçonnait que le protagoniste emprunterait ce chemin dans la vie réelle. Mais en réalité il n’a pas emprunté ce même chemin, car si aujourd’hui Volodymyr Alexandrovitch Zelensky regardait à nouveau cette série et essayait de comprendre les convictions de ce personnage, qu’il a si bien incarné à l’écran, puis comparait ces convictions avec ce qu’il est en train de faire… Sans doute a-t-il réussi l’une des meilleures métamorphoses. Je ne sais pas à quel moment il était lui-même ni à quel moment il s’est métamorphosé, mais le contraste est frappant.

- Un autre sujet: la République tchèque. Que s’est-il passé, comment le comprendre?

Je ne peux pas en discuter, parce que je ne comprends pas, intellectuellement je ne comprends pas ce qu’ils ont voulu. Vous pouvez voir cela comme une série télévisée pas très élégante. Il y a beaucoup de lignes schizophrènes dans cette histoire encore. Lorsque le Président Zeman dit qu’il faut faire le point sur la situation, il ne nie pas la possibilité qu'il s'agisse d'un sabotage de la part de certains agents étrangers. Mais il suggère également de prendre en compte la version exprimée en 2014 par les dirigeants tchèques, y compris l'actuel Premier ministre Babis, selon laquelle il s'agissait d’un comportement négligent des propriétaires de cet entrepôt. Et le Président Zeman a suggéré de prendre en compte la version qui n'a jamais été réfutée au cours de ces sept années. Il est maintenant accusé de haute trahison. Et le président du parlement a déclaré que le Président Zeman avait révélé des secrets d'État en déclarant qu’il fallait étudier toutes les versions. Eh bien, n'est-ce pas de la schizophrénie? À mon avis, c’est clair comme de l’eau de roche.

Et nous devons faire le point sur ce qui s’est finalement passé dans cet entrepôt. Les médias allemands ont écrit qu'il y avait des mines antipersonnel, qui sont interdites par la convention signée notamment par la République tchèque et la Bulgarie. Là, il y a beaucoup de questions.

- Mais comment se fait-il qu'un citoyen bulgare qui fournit ces mines antipersonnel, lesquelles ont été trouvées là-bas, contrôlait apparemment un entrepôt en République tchèque, lequel n'était pas contrôlé par le gouvernement à l'époque?

C’est comme ça.

- Peut-être dans ce cas les Tchèques devraient-ils commencer par eux-mêmes?

Peut-être. Ou bien il faut prendre l’Ukraine pour modèle, où également un grand nombre d’hommes armés et une énorme quantité d'armements et de munitions ne sont pas contrôlés par les forces armées ukrainiennes, mais par des bataillons de volontaires. C'est déjà une tendance, vous savez, quand l'État montre son incapacité à assurer le monopole de l'usage de la force, si vous voulez.

- Eh bien, l’Ukraine c’est une chose, mais la République tchèque fait partie de l’Union européenne. La République tchèque est liée par des engagements internationaux complètement différents de ceux de l’Ukraine et se présente de manière complètement différente.

Mais des engagements mentionnés, au-delà de la convention, c’est surtout la Convention d'Ottawa sur l'interdiction des mines antipersonnel, le fameux Traité sur le commerce des armements. Mais ils sont tous signataires de ce traité, et au sein de l’Union européenne, ils ont leurs propres normes assez strictes qui n'encouragent pas et même interdisent la participation à des actions, des approvisionnements ou l'envoi de contingents dans des régions en conflit.

En ce qui concerne les relations entre la Russie et l'Europe, je pense que, comme auparavant, les Britanniques jouent un rôle subversif actif et très sérieux. Ils ont quitté l'Union européenne, mais dans ce domaine-là, leur activité n’a pas diminué. Au contraire, ils essaient d'influencer autant que possible les attitudes que les membres de l'UE adopteront vis-à-vis de Moscou. Rien de surprenant ici. Même si vous ne rentrez pas dans l’histoire profonde, voici une histoire des années 2000 de notre siècle. Litvinenko empoisonné au polonium à l’hôpital. Le procès commence selon un modèle, puis il passe à huis clos, car il est nécessaire de prendre connaissance des éléments fournis par les services spéciaux afin de formuler un verdict, puis le verdict est annoncé. Personne n'a jamais vu ces documents. Mais «croyez-nous», ou comme Schwarzenegger dirait: «Trust me». Mais personnellement, je penche plutôt pour une citation de Reagan, qui a dit «faites confiance, mais vérifiez». Nous ne sommes pas autorisés à vérifier, ils ne demandent qu'à faire confiance.

Puis, en 2014, il y a eu le Boeing malaisien, quatre pays se sont réunis: les Pays-Bas, la Belgique, l’Australie et l’Ukraine. La Malaisie, à qui appartenait l'avion, n'a pas été invitée. Les quatre pays se sont mis d’accord, on le sait désormais, pour que toute information provenant de ce cercle ne puisse être diffusée que sur une base consensuelle. Ainsi, l’Ukraine, sur le territoire de laquelle cette catastrophe s’est produite, a obtenu un droit de veto, et la Malaisie n’a été appelée que six mois plus tard. D’ailleurs, les boîtes noires que les milices ont données aux Malaisiens ont été étudiées à Londres, et je ne me souviens pas qu’ils aient informé du contenu découvert. Puis il y a eu les Skripal, «highly-likely». Jusqu'à présent, personne ne sait pourquoi ils ont survécu, pourquoi le policier qui a travaillé avec eux n'a même pas présenté de symptômes. Pourquoi cette femme est-elle morte et sa colocataire n'a-t-elle été infectée en aucune façon? Eh bien, beaucoup de questions.

Puis il y a eu Navalny, qui a pris l’avion pour Moscou, mais a atterri à Omsk. Personne à bord n'a été contaminé, tout comme à l’hôpital d'Omsk avec ceux qui ont été en contact avec lui. Tout comme à bord de l'avion qui l'emmenait en Allemagne, des chanteurs sont partis avec lui, [son associée Maria] Pevtchikh, ils avaient ces bouteilles [des échantillons de biomatériaux], on n’en sait rien. Et en fin de compte, ils n'ont rien trouvé non plus dans l’hôpital de la Charité [à Berlin].

Récemment, à l'occasion de nos exercices dans le sud et l'ouest, Madame la ministre allemande de la Défense a exigé que nous soyons transparents sur ce que nous y faisons, que nous ne cachions rien. Tout d’abord, nous n'avons rien caché, nous avons annoncé ces exercices. Mais la Bundeswehr, à laquelle l’hôpital [de la Charité] est affectée, là où ils ont découvert l'empoisonnement prétendu de Navalny, cache quelque chose, car ils ont refusé de nous fournir les résultats des examens et des échantillons des biomatériaux. Puis il y a eu une longue histoire avec l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques. Ils seraient venus pour prélever des échantillons. L'information publiée par Berlin selon laquelle l'OIAC a participé au prélèvement d'échantillons de Navalny est très intéressante, [elle dit] que des spécialistes allemands étaient présents lorsque les échantillons ont été prélevés. Et le fait que des spécialistes de l'OIAC étaient présents n'a pas été annoncé. Nous essayons maintenant de le comprendre. Personne n'explique rien. Les Allemands disent «allez à l'OIAC», l'OIAC dit «les Allemands ont demandé, nous avons exécuté la commande des Allemands, allez vers les Allemands». C'est un cercle vicieux, nous avons eu affaire à ça, surtout quand on regardait des films policiers sur les premières années d'après-guerre chez nous, quand les gangs opéraient dans tout le pays. C'est triste.

Cela étant dit, pour en revenir à la Grande-Bretagne, oui, nous voyons comment ils poursuivent leur ligne antirusse. Récemment, leur chef du MI6, du service de renseignement étranger, a déclaré que la Russie est une puissance déclinante, qu’il faut la surveiller, car dans un tel état, elle peut avoir des gestes brusques. Ce sont une arrogance et une conviction innées, que tu continues de diriger le monde.

Mais, vous savez, ils nous envoient des signaux, ils suggèrent d'établir des contacts. Autrement dit, ils ne craignent pas eux-mêmes la communication, mais ils essaient d’en décourager les autres. Encore une fois, probablement, il s’agit du désir d'avoir le monopole de ces contacts et de prouver à nouveau qu'ils sont supérieurs.

 

- Si nous parlons d'extinction d'une puissance, alors la Grande-Bretagne est un exemple éclatant. D'un empire sur lequel le soleil ne se couchait jamais aux îles de la mer du Nord aux perspectives brumeuses. Mais encore, si nous revenons à la République tchèque, il y a aussi une incohérence totale au sein du pays sur les déclarations concernant ce qu’il s'est passé, il n'y a pas d'opinion commune et, en général, rien n'a été prouvé. Les diplomates ont été expulsés et le résultat est déjà là.

Absolument. Par ailleurs, les diplomates n'ont pas été expulsés à cause de cela, d’après leurs dires. Deux annonces avaient été faites le même jour et il y a eu l’impression que celles-ci étaient liées. Et maintenant, ils s'éloignent très diligemment de ce lien. Ils ont dit que les explosions avaient été organisées par Petrov et Bochirov. Ces gens, omniprésents, sont déjà là...

- C’est déjà une marque de fabrique…

Et le naufrage du Titanic aussi c’est eux…

- Et Notre-Dame.

- Oui, oui, dans Photoshop. Mais ce même jour, l'expulsion de 18 diplomates avait été annoncée. Et tout le monde, largement, a eu l'impression qu'il s'agissait d'une punition pour les explosions de 2014. Puis ils ont commencé à expliquer que «non, non, les explosions ont été faites par Petrov et Bochirov, nous allons les chercher, nous émettrons un mandat d'arrêt, Interpol et ainsi de suite. Mais ces 18... Nous, les Tchèques, allons déterminer que ce ne sont pas des diplomates, mais des agents du renseignement. Et nous les expulsons, car il s’agit bien de ce genre de professionnels». Naturellement, aucune preuve, aucune confirmation d'activité illégale, pour ne serait-ce qu’un seul de ces 18 diplomates, ne nous a été fournie.

Et ce n'est pas un hasard si l'ancien Président tchèque, M.Klaus, a comparé les actions de ses compatriotes avec celles d’un Toy Terrier russe [une race de chien] qui aboie sur un gros chien dans l'espoir que ses amis forts le couvriront, nommant directement les États-Unis et la Grande-Bretagne, en fait. Une autre comparaison: rappelez-vous comment, dans votre enfance, des voyous se promenaient quand il faisait noir, et si un garçon sans défense passait près d’eux, ils lui demandaient de leur donner 15 kopecks. Et s'il ne donnait pas 15 kopecks, alors toute une bande sortait, eh bien, là... C'est à peu près la même logique d'actions. C'est triste. Et nous n'avons jamais eu envie d’intriguer contre nos collègues tchèques. Pourquoi vouloir ces querelles? Certains disent: «mais les Russes étaient fâchés que ce Bulgare puisse fournir des bombes ou des munitions à l'Ukraine». Écoutez, c'est encore tellement schizophrène, je n'ai pas d'autre mot pour comprendre ce qui se passe. Comment peut-on supposer cela? Pourquoi avez-vous besoin de faire cela? Mais la machine s’est emballée. J'espère vraiment que nos collègues tchèques reviendront à la raison et regarderont les résultats de ce qu'ils ont déclenché. Si la raison l'emporte, nous sommes prêts à restaurer, certes progressivement, les conditions du fonctionnement normal des missions diplomatiques. Je vous le dis d’office, nous savons comment nous continuerons à travailler, nous ne chercherons pas les bonnes grâces de qui que ce soit, nous ne marcherons pas à la baguette...

- Comprendre comment nous allons continuer à travailler, c'est-à-dire?

En République tchèque...

- Précisément en République tchèque?

-Oui. Et dans d'autres pays également. Aujourd'hui, ce genre d'attaques ciblées se poursuivent contre nous. Aussi bien dans les pays baltes, et la Pologne, et désormais la Roumanie. Les Roumains ont cependant dit, j'en étais même surpris, que cela n'a rien à voir avec la position de l'Union européenne. C'est nous, Roumains, qui voulons renvoyer cette personne chez elle. Pourquoi? Ils ne l'ont pas dit.

- Mais il est intéressant de noter que l'Allemagne n'a pas soutenu la psychose tchèque.

J'ai lu la déclaration de Heiko Maas, ministre allemand des Affaires étrangères. Je pense que c'est une déclaration de politique responsable. Le ministère allemand des Affaires étrangères n'a pas toujours eu une position aussi équilibrée, une position clairvoyante. Très souvent, de nombreuses déclarations ont soutenu simplement l’injustice sans discernement. Y compris, par exemple, quand des sanctions ont été introduites en Ukraine contre le parti Plateforme d'opposition-Pour la vie, contre Medvedtchouk et ses autres associés, des sanctions introduites contre leurs propres citoyens, la diplomatie allemande avait exprimé son approbation, soulignant que tout cela est pleinement conforme aux principes de l'OSCE. C'est absurde! Mais ce que Heiko Maas a dit récemment, je pense qu'il s'agit d'une déclaration politique responsable qui ne caresse pas les désaccords, mais souligne la nécessité de mener un dialogue et de rechercher des accords communs, car nous vivons ensemble.

- M.Lavrov, vous avez récemment dit en Chine qu’il faut chercher une alternative au système de paiements international SWIFT et que la Russie s’y prépare. Pouvons-nous parler de délais concrets? Quel est le stade de préparation? Cette alternative, quelle apparence peut-elle prendre?

De nombreuses personnes en ont déjà parlé et en parlent. Quand l’Occident cherche un moyen de porter atteinte aux intérêts légitimes de la Russie, tous ceux qui y sont impliqués ces dernières années se sont mis à mentionner la possibilité de déconnecter la Russie du système de paiements SWIFT. Les politiques responsables sont alors obligés de réfléchir là-dessus pour s’assurer contre tout problème. Outre des déclarations visant la Russie, les États-Unis ont abusé toujours davantage du rôle du dollar dans le système monétaire international, ont utilisé la dépendance au dollar des pays indésirables en vue de limiter leurs capacités concurrentielles. Notamment contre la Chine et certains autres pays. À l’heure actuelle la Chine, la Russie, la Turquie et de nombreux autres pays cherchent comment diminuer leur dépendance au dollar en optant pour des monnaies alternatives et, ce qui est mieux encore, en réalisant des règlements en monnaies nationales. Les autorités financières responsables, y compris dans notre pays, réfléchissent sur la manière d’éviter tout préjudice à notre économie, à notre système financier, dans le cas où des têtes brûlées décident de déconnecter la Russie de SWIFT.

Depuis plusieurs années, nous avons un système national de cartes de paiement. La carte Mir a été lancée dans ce cadre. Cette carte Mir développe ses liens avec les autres, les compagnies émettrices en Chine, au Japon. Soit dit en passant, des liens se nouent également avec la carte Maestro, qui est une carte de paiement internationale.

En ce qui concerne plus concrètement SWIFT, il y a quelque temps notre Banque centrale a mis en place et continue de développer un système de transmission de données financières qui jouit d’une certaine popularité. Je pense qu’il faut le soutenir et le renforcer afin de ne pas être dépendant de qui que ce soit.

Je tiens à souligner que nous n’optons pas pour l’isolement, pour une autarcie. Nous voulons faire partie de la communauté internationale, mais une communauté internationale qui est régie par la justice et la démocratie. Quand nous discutons de la démocratie avec l’Occident, son enthousiasme disparaît dès que nous proposons de nous mettre d’accord et de déclarer que la démocratie doit prendre le dessus dans les relations internationales. Ils sont les premiers à donner des leçons sur les processus démocratiques intérieurs. Mais à quoi cela sert sur la scène internationale? Dans le domaine international, il y a des règles que la Russie et la Chine cherchent à installer. Le seul souhait de la Russie et de la Chine est de conserver les principes de la Charte de l’Onu en vertu de laquelle tous sont égaux et tous doivent s’entendre.

C’est pourquoi il faut avoir un filet de sécurité en matière de systèmes de paiement et de transmission de données financières. Nous l’avons mis en place. J’espère qu’il sera renforcé et qu’il nous servira de garantie si, malgré notre volonté de coopérer avec tout le monde, nous sommes discriminés et si l’Occident abuse de sa position dans le système financier international, monétaire et économique. Nous n’avons pas le droit d’être dépendants en la matière.

Est-ce que cela veut dire que le système en place de la Banque centrale est un élément déjà opérationnel de l’alternative à SWIFT?

Oui, c’est le cas. Je ne suis pas spécialiste. Je ne sais pas à quel point il est fiable et s’il assure une garantie complète. Mais une base existe. Je suis convaincu que le gouvernement et la Banque centrale doivent faire tout leur possible pour qu’il soit fiable et garantisse notre indépendance totale, qu’il nous protège contre tout préjudice supplémentaire que quiconque puisse nous porter.

De concert avec votre homologue chinois Wang Yi, vous avez pris l’initiative de mettre au point une tradition regroupant les pays victimes de sanctions illégitimes. Dans quelle mesure ce projet gagne du terrain et quels pays pourrait-il réunir?

Je dirais autrement. Dans l’enceinte de l’Onu, nous œuvrons depuis longtemps pour mettre un terme à la pratique des sanctions, des embargos et des blocus illégitimes. Depuis plusieurs décennies, nous luttons contre l’embargo imposé à Cuba par les États-Unis. Une résolution en ce sens collecte chaque année plus de 190 voix. Seuls les États-Unis et un petit État insulaire votent contre. Lorsque les sanctions unilatérales sont devenues choses courantes – cela a commencé sous Obama, s’est développé sous Trump et continue jusqu’à présent – l’Onu et un grand groupe de pays ont voté pour créer le poste de rapporteur spécial sur les sanctions unilatérales illégitimes et leur impact sur la population civile, y compris sur la situation socio-économique dans tel ou tel pays. Soit dit en passant, ce poste est occupé par une représentante de la Biélorussie. Cette institution, ce mécanisme mis en place par l’Assemblée générale de l’Onu, fonctionne, il diffuse des rapports. J’estime que c’est une initiative très très utile.

La mise en place d’un groupe de soutien de la Charte de l’Onu est un autre volet de l’activité menée actuellement à New York contre les actions unilatérales illégitimes que vous avez évoquées. Cela n’a rien de révolutionnaire. C’est un groupe en faveur de la Charte de l’Onu. Cela se fait alors que nos collègues occidentaux forment des groupes dont la composition n’est pas, a priori, universelle. Joe Biden a avancé l’idée d’organiser un sommet de la démocratie. Il va de soi que les participants seront choisis par les Américains qui vont décider de la question de savoir qui est digne ou non d’être considéré comme une démocratie. En outre, nos collègues français et allemands ont annoncé il y a quelques années la mise en place d’une Alliance des multilatéralistes en dehors des institutions universelles. Dans le cadre de cette alliance, ils lancent des appels en faveur de la liberté des médias. Pourtant il y a l’UNESCO et ce thème est discuté par n’importe qui. Ils ont déjà rassemblé un peu plus de 30 États sous leurs drapeaux. Il s’agit d’un appel en faveur du droit humanitaire international. C’est un droit universel, il est du ressort de l’Onu. Et de son côté, l’organisation a recruté une cinquantaine d’États sous sa houlette. Ils lancent des appels qui n’ont rien à voir avec les institutions universelles, mais qui concernent une problématique discutée à un niveau universel. Ils placent ces thèmes dans un cadre qui leur est aisé pour s’entendre avec ceux qui sont dociles et affirment ensuite proférer d’ultimes vérités. C’est pourquoi le mouvement contre les actions unilatérales illégitimes est beaucoup plus large que celui contre les seules sanctions.

Ce mouvement, peut-il prendre la forme d’une adhésion?

Mais il s’agit de l’adhésion à l’Onu. C’est là la différence. Nous ne créons rien contre personne. En Asie-Pacifique, nous ne voulons rien changer, là l’ASEAN a des partenaires et tous ceux qui veulent viennent et participent aux débats sur la sécurité. La logique de l’Occident est dirigée contre cet état de choses, une stratégie Inde-Pacifique est suggérée qui se fixe pour objectif de contenir la Chine et qui isole la Russie. La même chose a lieu à l’Onu. Ils créent des partenariats sur des thèmes qu’il est nécessaire de discuter dans le cadre de l’ordre du jour de l’Onu. Nous voulons insister sur la nécessité pour tous de respecter la Charte afin que les problèmes ne soient pas discutés en petit comité et leurs décisions ne soient pas présentées ensuite comme une opinion de la communauté internationale.

Une information de dernière minute. Les Américains ont confirmé avoir déployé des efforts pour forcer le Brésil à renoncer au vaccin russe Spoutnik V. Le Brésil s’est vu obligé de renoncer bien que la situation autour du coronavirus soit catastrophique au Brésil. Que penser de cela?

Cela ne m’étonne pas. Les Américains ne cachent pas leurs activités en ce sens. Ils n’ont pas honte. L’administration sortante a fait les mêmes choses. Mike Pompeo se rendait en Afrique et appelait de vive voix, en public, lors de conférences de presse, ses collègues à ne pas coopérer ni faire du commerce avec la Russie et la Chine, affirmant que la Russie et la Chine poursuivaient leurs intérêts égoïstes, tandis que, eux, les Américains, commerçaient uniquement dans l’intérêt des peuples concernés.

Ce renoncement a engendré un mouvement de protestation au Brésil. Si les Américains ont reconnu se trouver derrière cette issue, alors ils sont fidèles à leur logique selon laquelle tout leur est permis. Ils n’éprouvent aucune gêne de recourir ouvertement au diktat.

N’oublions pas que le Président Macron avait récemment évoqué une nouvelle guerre dans laquelle la Chine et la Russie utilisaient le vaccin en tant qu’arme et instrument de propagande. C’est déjà du passé, ce genre de positions recule. L’Allemagne, la chancelière Merkel comprise, parle sérieusement de la possibilité d’utiliser le vaccin russe. Nous n’obligerons personne à le faire. Je pense que la vie remet toujours tout à sa place. Vladimir Vyssotski, paix sur son âme, disait: «Je cherche toujours chez les hommes ce qu’il y a de bon. Ce qu’il y a de mauvais, ils le montreront eux-mêmes».

Dernière question. Dans une interview accordée à notre agence il y a un an en pleine pandémie, vous aviez dit que le sport vous manquait. Avez-vous repris?

Oui, j’ai recommencé. La pause n’a duré que quelques semaines. D’abord, on était sur nos gardes [avec le confinement, ndlr]. Mais nous avons repris dès que nous avons compris quelles devaient être les mesures de précaution. On se retrouve tous les dimanches.

Vous jouez?

Oui.

Merci beaucoup, Sergueï Victorovitch.

Vous êtes toujours le bienvenu.

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