La vague de faillites crainte depuis des mois par de nombreux économistes l’est dorénavant par la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME). Invité de BFM Business ce 28 avril, son président, François Asselin, s’est livré à de sombres prévisions: «Sur 12 mois glissants à partir du moment où on va commencer à débrancher les mesures de soutien, on estime que la sinistralité peut osciller entre 65.000 et 100.000 défaillances d’entreprises.»
Depuis plusieurs semaines, des membres de l’exécutif évoquent à tour de rôle la fin du «quoi qu’il en coûte» d’Emmanuel Macron, qui pèse de plus en plus sur les finances publiques. La France a vu son taux d’endettement par rapport à son Produit intérieur brut (PIB) atteindre le record de 115,7% en 2020. Quant au déficit budgétaire, il s’est creusé à 9,2%. Son niveau «le plus élevé depuis 1949», a précisé l’INSEE. Et la pandémie de Covid-19 continue de peser lourdement sur l’économie, même si la stratégie du «freiner sans enfermer», prônée par le locataire de l’Élysée, a donné une sorte de confinement «light», sans commune mesure avec ce que les Français ont pu vivre au printemps 2020.
Des entreprises étranglées par leurs emprunts
Reste que 150.000 commerces ont dû fermer leurs portes, sans parler du fait que des pans entiers de l’économie sont toujours quasi à l’arrêt. Résultat? Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, soulignait récemment auprès du JDD que le coût total des aides était estimé à 11 milliards d’euros en avril.
Ces dernières permettent à de nombreuses entreprises des secteurs les plus touchés, comme l’hôtellerie-restauration, l’événementiel ou la culture, de garder la tête hors de l’eau. Et cela a globalement fonctionné. La Banque de France a recensé un peu plus de 31.000 défaillances d’entreprises en 2020. C’est environ 20.000 de moins que l’année précédente. Le chômage partiel, le Fonds de solidarité, les délais plus longs pour déclarer les situations de cessation de paiement, ainsi que les PGE (prêts garantis par l’État) ont fortement ralenti la saignée.
Cette dernière mesure a d’ailleurs été un franc succès. Selon les chiffres officiels, au 16 avril, 137,3 milliards d’euros avaient été accordés par les banques avec une garantie de l’État. La très grande majorité des sommes (88,48%) ont été allouées aux très petites entreprises, qui sont également les plus vulnérables. Mais malgré le différé d’un an accordé pour débuter les remboursements, beaucoup se retrouvent en grave difficulté pour payer.
«Au départ, on nous avait annoncé que c’était à 0%. Après, mon expert-comptable et moi-même avons entendu parler de prêts à 0,25%. Et là, au dernier report de remboursement du prêt, on était passé à 1,26%. On est pris à la gorge. Je pense que je vais devoir licencier. Malheureusement, je ne peux pas faire autrement», se désolait récemment auprès d’Europe 1 un restaurateur francilien, qui avait obtenu en 2020 un PGE de 300.000 euros.
En plus des PGE, un nombre conséquent d’entrepreneurs doivent rembourser de précédents prêts. Et certains se disent pris en tenaille. Un problème évoqué par Didier Chenet, président du Groupement national des indépendants hôtellerie & restauration (GNI), qui regroupe des restaurateurs indépendants:
«Nous avons énormément de refus de la part des banques de rééchelonner les dettes qui ont été contractées par les entreprises avant la crise, sur la base d’une activité qui n’a strictement plus rien à voir.»
Dans un tel contexte, l’exécutif cherche à rassurer concernant la fin du soutien économique, qui pourrait mettre le coup de grâce à de nombreuses entreprises. «Nous ferons les choses progressivement, pour ne brutaliser personne», soutenait encore Bruno Le Maire le 4 avril, lors du Grand Jury RTL, Le Figaro, LCI.
Des TPE en grande difficulté
Mais François Asselin est bien conscient que les aides de l’État ne pourront durer éternellement:
«Quand les entreprises qui étaient sous perfusion ne vont plus l’être, elles vont péricliter, parce qu’elles vont se retrouver pour certaines d’entre elles en cessation de paiement.»
De quoi lui faire dire concernant le rattrapage de la baisse des défaillances en 2020:
«On va le subir à un moment ou à un autre.»
Pour le moment, il n’a pas encore lieu. «Avec 7.406 procédures collectives ouvertes, soit une baisse de 32,1% par rapport au 1er trimestre 2020, le niveau général des défaillances reste exceptionnellement bas», indiquait le cabinet Altares dans une étude publiée fin mars. Mais les premiers signaux d’alerte sur la situation des entreprises françaises sont là.
«Sur les deux premières semaines de mars, les défaillances d’entreprises sont en très fort recul (-48%), mais sur les deux suivantes, elles explosent de 155% comparé à la même période de 2020, qui marquait le début du confinement, le gel des cessations de paiement, la fermeture des juridictions et donc la suspension temporaire des audiences», explique dans un communiqué Thierry Millon, directeur des études Altares.
Sans surprise, les TPE de moins de trois salariés sont les plus touchées. Environ trois quarts des procédures les concernent. Chiffre particulièrement inquiétant: 80% des entreprises sont placées directement en liquidation judiciaire. «Un taux jamais atteint depuis 20 ans», prévient Thierry Million.
Amortir la fin du «quoi qu’il en coûte»
Pour François Asselin, cela démontre une chose. Que l’on «a à faire à des entreprises qui sont d’une fragilité extrême.» Parmi les solutions qu’il souhaite voir mises en place, le président de la CPME plaide pour que «la dette sociale de l’entrepreneur –qui est souvent une dette à titre personnel– fasse partie de la liquidation, pour qu’on ne vienne pas le rechercher un mois plus tard parfois à renfort d’huissiers pour lui demander une dette qu’il ne peut bien sûr pas payer.»
De son côté, Bruno Le Maire assurait il y a quelques jours sur RMC/BFMTV qu’il allait proposer «d’ici quelques semaines un dispositif de concertation et de conciliation qui doit permettre à toutes les entreprises qui sont en train d’arriver face à ce mur de la dette, de leur proposer une solution sur mesure.» Une annulation d’une partie des dettes des entreprises a même été évoquée:
«On ne va pas attendre que l’entreprise se prenne le mur, on va regarder sa situation, l’étudier tous ensemble et voir s’il faut étaler sa dette, voire annuler sa dette en partie.»
Une solution vivement critiquée par plusieurs économistes, donc Charles Gave, lequel a qualifié au micro de Sputnik cette hypothèse d’«histoire de fous».