Tous les quatre ans, les agences d’espionnage américaines publient une étude prospective qui recense ce qu’elles considèrent comme étant les plus grandes menaces à venir pour l’Amérique et le monde.
La multipolarité et la perte de pouvoir des institutions nationales et internationales y sont identifiées comme les causes d’une instabilité grandissante. Emmanuel Goffi, codirecteur du Global AI Ethics Institute, commente la vision élaborée dans le document d’un rôle réduit de l’État:
«Les Américains comme les Chinois continuent de voir le monde selon les règles du système westphalien, c’est-à-dire un monde fait d’États. Mais ce que l’on voit aujourd’hui, c’est que les États sont contestés dans leur existence. De plus en plus d’acteurs non étatiques viennent influer sur les relations internationales. Cette notion de multipolarité ne prend pas seulement en compte les différents pays qui cohabitent, mais aussi des acteurs privés, des multinationales, des influenceurs, des lanceurs d’alerte, qui viennent jouer un rôle. Tant que l’on reste ancré sur un système où l’État est réifié, on sera incapable de s’adapter.»
Le rapport évoque la multipolarité comme un risque potentiel. Pour Emmanuel Goffi, le principal problème est la notion d’égalité entre les États:
«Le problème que la multipolarité pose aux Américains, et aux Occidentaux en général, c’est qu’elle impose d’accepter qu’il y a des gens qui pensent différemment de nous. Or, l’on imagine que l’on est détenteur d’une vérité universelle et absolue et que l’on se doit de faire rayonner ces valeurs-là. On a du mal à admettre que d’autres personnes puissent s’asseoir autour de la table et avoir des opinions égales... Ce que l’on ne veut pas, quand on est Américain ou Européen, c’est que nos valeurs, traditions, idées, croyances soient défiées par d’autres acteurs.»
Si la Chine est bien sûr au cœur de ce rapport, les analystes du renseignement américain mettent également en garde contre le rôle des cryptomonnaies, de l’intelligence artificielle et du changement climatique. En revanche, le document se veut optimiste sur une potentielle renaissance de la démocratie dans le monde, dirigée par États-Unis et leurs alliés.
«La renaissance de la démocratie, je n’y crois pas. Déjà, démocratie, cela ne veut pas dire grand-chose. La démocratie américaine n’est pas la démocratie française, qui n’est pas la démocratie de la République démocratique du Congo. Il faut d’abord s’entendre sur la définition du terme "démocratie". Par ailleurs, ce n’est pas le meilleur des systèmes», met en garde le codirecteur du Global AI Ethics Institute.