Province la plus peuplée du Canada, l’Ontario connaît sa plus grande flambée de cas de Covid-19, à tel point que plusieurs experts évoquent une «catastrophe».
«Il aurait fallu durcir les mesures beaucoup plus tôt. Il aurait fallu fermer de façon généralisée beaucoup plus tôt. On voyait les signes. C’était assez évident que ça montait en flèche», déclarait tout récemment au journal La Presse Santiago Perez, infectiologue à l’Université Queens.
Le 7 avril dernier, le Premier ministre Doug Ford a décrété l’état d’urgence pour la troisième fois. Un décret qui s’accompagne d’un «ordre de rester à la maison». Les citoyens sont donc tenus de demeurer chez eux, à moins de devoir sortir pour des raisons «essentielles» comme se rendre à l’épicerie, au travail et se faire vacciner.
Covid-19: de nouveaux pouvoirs controversés pour la police
Jugeant que l’Ontario était «en train de perdre la bataille entre les variants et les vaccins», Doug Ford avait décidé d’accorder de nouveaux pouvoirs aux forces de l’ordre.
«La police aura le pouvoir d’exiger de toute personne qui ne se trouve pas dans un lieu de résidence de fournir d’abord la raison pour laquelle elle n’est pas à la maison et d’indiquer son adresse», a ainsi déclaré le 16 avril Sylvia Jones, la Solliciteuse générale de l’Ontario.
Mais contre toute attente, une douzaine de corps policiers de la province ont fait savoir que leurs agents n’arrêteraient aucun automobiliste ni piéton de manière arbitraire.
«De nouvelles consignes d’urgence annoncées hier pour aider à limiter la propagation de Covid-19 sont maintenant en vigueur. Le service de police de Toronto continuera de s’engager, d’éduquer et de faire respecter [les mesures sanitaires, ndlr], mais nous ne ferons pas de contrôles aléatoires de personnes ou de voitures.»
Un refus d’obéir aux ordres de l’exécutif tout aussi exceptionnel que l’état d’urgence.
«Je suis à tout moment très préoccupé par les arrestations arbitraires par la police», avait aussi réagi John Tory, le maire de Toronto, la plus grande agglomération du Canada.
Criminologue et ex-députée fédérale à Ottawa, Maria Mourani «salue franchement» la décision des forces de l’ordre de l’Ontario de s’opposer à la consigne.
«Bravo aux policiers de l’Ontario! Ce sont des personnes raisonnables qui savent que l’on est dans un pays démocratique, où les libertés individuelles sont aussi importantes que le bien commun. En ce sens, ils savent qu’il est de leur responsabilité de faire respecter les consignes, mais également de rappeler les gouvernements à l’ordre lorsqu’ils tentent d’abuser de leur pouvoir», se réjouit Maria Mourani à notre micro.
Expert en criminologie et auteur de plusieurs ouvrages dans son domaine, Jean-Claude Bernheim considère lui aussi que le gouvernement Ford est allé trop loin. Il estime que l’application de cette disposition aurait rompu avec la déontologie policière, du moins telle qu’elle est conçue au Canada.
«La mesure n’aurait pas été le meilleur moyen de faire passer le message du gouvernement Ford. On ne peut pas instaurer un régime où les policiers vont intervenir au hasard, le hasard n’est pas un principe censé les guider. Les agents doivent intervenir quand il y a des motifs qui pointent vers une situation précise», analyse l’expert au micro de Sputnik.
Selon certains, les contrôles aléatoires auraient eu pour effet d’accroître la discrimination à l’égard de citoyens considérés comme marginalisés tels que les personnes noires ou autochtones. C’est notamment le point de vue de Peter Soly, le chef du service de police d’Ottawa, et de Jill Andrews, un député provincial de gauche.
«Mal conseillé», le Premier ministre Doug Ford?
Devant le refus des policiers et l’opposition de diverses autorités publiques, le gouvernement Ford a reculé et finalement annoncé que les agents ne seraient pas tenus de procéder à ce genre de contrôle. C’était la chose à faire, estime Jean-Claude Bernheim, pour qui le Premier ministre Ford a été «mal conseillé» sur cet enjeu:
«Ces contrôles aléatoires, c’est comme aller à la pêche. C’est contraire à l’esprit du droit au Canada. […] Ce n’est pas comme l’instauration de barrages, une mesure qui oblige toutes les personnes qui le franchissent à se voir contrôlées. Nul n’est censé ignorer la loi, tout comme nul agent n’est censé faire appliquer la loi sans motif», souligne le chargé de cours en criminologie.
Dans la matinée du 22 avril, 7.829 décès avaient été attribués à des complications dues au Covid-19 en Ontario, pour une population de 14,5 millions d’habitants.