Une «demi-victoire» pour la laïcité au Québec: le voile intégral permis dans les écoles anglophones

Au Québec, au grand dam de ses opposants, la nouvelle loi sur la laïcité ne sera pas suspendue. La Cour supérieure a toutefois décidé d’en exempter les écoles anglophones. L’avocat Guillaume Rousseau, l’un des concepteurs du texte, se réjouit de son maintien, mais il dénonce la création de «deux catégories de citoyens».
Sputnik

C’était sans doute l’une des décisions les plus attendues de l’année 2021 au Québec: Après des mois d’attente, la Cour supérieure a rendu son verdict: la nouvelle loi sur la laïcité de l’État sera maintenue en vigueur.

Jugement historique sur une loi historique

En juin 2019, le gouvernement Legault marquait l’histoire québécoise et même canadienne en faisant adopter ce texte qui interdit aux juges, policiers, gardiens de prison et enseignants de porter des signes religieux au travail.

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Dans un jugement de 240 pages, le juge Marc-André Blanchard confirme la conformité du texte avec les Chartes et la Constitution, mais décide d’en exempter les écoles anglophones. Par ailleurs, les élus de l’Assemblée nationale du Québec ne seront pas soumis à l’obligation d’exercer leurs fonctions à visage découvert.

«D’abord, on doit dire que la Cour a validé en bonne partie notre loi. Ça, c’est la bonne nouvelle et c’est une victoire pour les Québécois. Mais, là où je suis profondément en désaccord, c’est quand le jugement veut exempter les commissions scolaires anglophones de la loi 21. [...] La laïcité et les valeurs communes québécoises n’ont pas de barrière linguistique», n’a pas tardé à réagir le Premier ministre québécois, François Legault, sur sa page Facebook.

Professeur de droit à l’université de Sherbrooke, l’avocat Guillaume Rousseau est l’un des rédacteurs du texte controversé. Ex-conseiller du gouvernement Legault sur la question, ayant pris part à la défense de la loi devant la Cour, il évoque une «demi-victoire» au micro de Sputnik:

«99% des arguments invoqués contre la loi ont été rejetés. La loi est jugée conforme à la primauté du droit, à l’architecture constitutionnelle, à l’indépendance de la magistrature, etc. Notre réaction, c’est 50-50. Autant nous sommes soulagés de voir la loi validée, autant nous sommes très déçus que les commissions scolaires y échappent», souligne d’entrée de jeu l’universitaire.

De nombreux observateurs ont interprété le procès comme un duel opposant les défenseurs de l’identité québécoise aux représentants du multiculturalisme, principe constitutionnel au Canada. De même, on y a vu une lutte entre la souveraineté du Parlement québécois et le «gouvernement des juges» imposé par les instances fédérales.

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Guillaume Rousseau déplore le fait qu’il soit encore permis à des femmes musulmanes d’enseigner vêtues de la burqa ou du niqab dans les écoles anglophones:

«Malheureusement, le juge n’a pas retenu les arguments de nos témoins experts, selon lesquels il n’est pas éthique pour un enseignant de porter des signes religieux au travail», résume l’avocat.

Autrefois confessionnelles, les commissions scolaires sont aujourd’hui linguistiques au Québec, ce qui les divise en deux grandes catégories: les francophones et les anglophones. Des commissions anglophones avaient utilisé la voie des tribunaux pour contester la loi, arguant qu’elle allait abolir des droits fondamentaux.

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«La loi force les individus à choisir entre un emploi au gouvernement et le désir de porter des signes religieux», plaide toujours Joe Ortona, le président de la Commission scolaire English Montréal.

Dans sa décision, le juge Blanchard consolide le modèle de deux régimes scolaires distincts. Cette ordonnance incitera Québec à aller en appel de la décision.

«Les lois du Québec doivent s’appliquer pour tous et sur l’ensemble du territoire québécois. Il n'y a pas deux Québec, il n'y en a qu'un seul», a dénoncé au Salon bleu Simon Jolin-Barrette, le ministre qui a piloté la loi 21.

Vice-doyen aux études de la faculté de droit de l’université de Sherbrooke, Guillaume Rousseau s’inquiète aussi de la création de «deux catégories de citoyens».

Vers une «ségrégation» scolaire?

C’est sur la base du droit à l’enseignement dans la langue de la minorité que les écoles anglophones sont dispensées de suivre la loi.

«Au départ, ce droit était un droit individuel, mais il est maintenant devenu un droit collectif. Les anglophones auraient maintenant toute licence de gérer leurs écoles à l’abri des lois votées par l’Assemblée nationale. [...] La loi 21 n’empêche aucun Québécois anglophone de recevoir une éducation dans sa langue. Il ressort de ça une logique partitionniste et colonialiste», observe Guillaume Rousseau.

Dès le lendemain de l’adoption de la loi 21, une étudiante musulmane en enseignement avait intenté une action en justice auprès de la Cour supérieure. La plaignante faisait valoir une atteinte à sa liberté de religion. Le Conseil national des musulmans canadiens, la commission canadienne des droits de la personne et la branche canadienne d’Amnesty International, entre autres organisations, l’ont rejointe dans son combat contre la loi.

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