Les pays «riches» plus endettés que jamais: la dette mondiale est-elle hors de contrôle?

L’endettement public se creuse à grande vitesse depuis des décennies et la pandémie de Covid-19 a accéléré un phénomène qui alarme de plus en plus d’économistes. Janus Henderson vient de publier une étude édifiante: la dette des trente-cinq pays les plus actifs sur le marché obligataire a presque été multipliée par quatre en vingt-cinq ans.
Sputnik

La dette publique de nombreuses puissances économiques a de quoi donner le tournis. Les chiffres semblent difficiles à appréhender pour le commun des mortels. Et pourtant, ils concernent tout le monde! Les auteurs d’une récente étude de la société de gestion Janus Henderson ne manquent pas de le souligner: «D'une façon ou d'une autre, les ménages sont les prêteurs ultimes aux gouvernements.»

​Ces experts se sont intéressés à trente-cinq pays représentant 88% du PIB mondial. En se fondant sur les données de l'Economist Intelligence Unit (EIU), ils ont calculé que leur dette publique est passée de 16.700 milliards de dollars en 1995 à 53.300 milliards en 2019. Un phénomène de longue date pour lequel la pandémie de Covid-19 a joué le rôle de carburant. En 2020, la dette publique cumulée des États étudiés atteint la somme faramineuse de 62.515 milliards de dollars.

Des économies européennes fragiles

Ces données sont essentielles à l’heure où plane la menace d’une remontée des taux obligataires. Ces dernières années, les politiques ultra-accommodantes des banques centrales, Réserve fédérale américaines (Fed) et Banque centrale européenne (BCE) en tête, ont tout fait pour maintenir un environnement de taux bas. Des pays comme l’Allemagne ou la France bénéficient même de taux négatifs pour leurs emprunts à dix ans depuis un certain temps.

Mais la récente remontée des taux obligataires observée aux États-Unis dans le sillage du plan de relance de 1.900 milliards de dollars voulu par le Président Joe Biden a fait des remous. L’obligation assimilable du Trésor (OAT) française à dix ans est repassée plusieurs fois en positif depuis le début de l’année. Certes, ce 21 avril à 15h56 elle retourne légèrement dans le négatif (-0,029%). Mais le coup de semonce a été entendu.

​Le mouvement ne touche pas que la France. De nombreuses économies développées sont guettées par cette remontée des taux obligataires. En cause? Les espoirs de reprise économique entretenus notamment par les campagnes de vaccination qui laissent entrevoir une sortie de crise d’ici à quelques mois. Mais ce rebond économique vient avec ses risques. En cas de remontée des taux, plusieurs pays se retrouveraient en difficulté car le poids de leur dette deviendrait difficile à soutenir. Récemment invité à s’exprimer au micro de Sputnik, Josse Roussel, économiste et professeur à la Paris School of Business, lançait un avertissement:

«Étant donné la fragilité des économies européennes, une hausse des taux d’une ampleur de celle que l’on a vue aux États-Unis ne serait pas soutenable. La crise du Covid a fait significativement augmenter l’endettement des États, mais pas seulement.»

Même son de cloche du côté de l’économiste Philippe Simonnot auprès de Sputnik: «Une remontée des taux serait dramatique en Europe pour les États fortement endettés.» La France est particulièrement concernée par ce risque. Sa dette publique a bondi de 274% depuis 1995. En 2020, elle a atteint la somme colossale de 2.650,1 milliards d'euros, soit 115,7% du produit intérieur brut (PIB). Quant au déficit budgétaire, il représente désormais 9,2% du PIB. Du jamais vu depuis 1949!

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Les experts de Janus Henderson notent que la progression de la dette publique française depuis 1995 «correspond à une hausse quasiment identique à la moyenne mondiale» mais est «bien supérieure à celle de ses voisins». Et avec une croissance économique faible de 63% en un quart de siècle, les performances économiques françaises ne peuvent absorber l’explosion de l’endettement.

Cette charge est compliquée à gérer pour l’exécutif. Mais elle «reste néanmoins gérable»selon Les Échos, qui s’appuient sur le travail de Janus Henderson. «En 2020, le taux d'intérêt effectif de la France n'était que de 1,1%, ce qui est très inférieur à la moyenne mondiale. Résultat, la charge de la dette a diminué pour les Français. Les intérêts revenaient en 2020, à 518 dollars par habitant. En 2008, la facture était bien plus élevée, avec 1.355 dollars par habitant… pour une dette deux fois moins importante», note le quotidien économique de référence.

Reste que, avec plus de 3.000 milliards de dollars de dette, Paris prend la peu enviable place de plus gros emprunteur d’Europe. De quoi faire dire à Agnès Verdier-Molinié, directrice de l’Ifrap et auteur de La France peut-elle tenir encore longtemps? (éd. Albin Michel), que l’Hexagone «n’a plus les moyens du "quoi qu’il en coûte" et de toutes les mesures de soutien à l’économie qui s’ajoutent».

«Nous ne vivons que grâce à l’endettement. Je rappelle que la France a emprunté un milliard d’euros par jour en 2020», lançait-elle au micro de Sputnik.

Reste que la France fait office de bon élève à côté d’autres pays comme le Japon, qui a une dette publique équivalente à 250% de son PIB. La Grèce (209 %), l'Italie (159 %), Singapour (155 %) et l'Espagne (120 %) parviennent également à faire pire que Paris. La France ne s’en sort pas si mal dans un autre classement comme le soulignent Les Échos: «Derrière le Japon, c'est Singapour qui présente la dette publique par habitant la plus élevée (96.417 dollars). Suit le gouvernement américain qui devait plus de 59.000 dollars à chaque citoyen fin 2020, puis l'Irlande (plus de 57.000 dollars), la Belgique (près de 56.000), le Canada (plus de 53.000), l'Italie (53.000) et la France (50.500).»

«Les États-Unis sont plus vulnérables»

Reste à savoir quand la mèche sera allumée. L’étude de Janus Henderson ne se montre pas trop alarmiste: «Les Banques centrales continueront de freiner les taux d'intérêt sur l'ensemble de la courbe des taux pendant encore quelques années, maintenant les coûts de financement à un niveau bas pour les gouvernements.» Mais jusqu’à quand? Le document anticipe «une remontée assez nette de la charge des intérêts à partir de 2023», notent Les Échos.

Alors danger pour l’Europe et la France? Certainement. Mais, selon la société de gestion d’actifs, le péril est encore plus pressant outre-Atlantique: «Les États-Unis sont plus vulnérables à une future hausse des taux que bon nombre d'autres pays.»

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