«Tout ça pour ça!» se seraient exclamés des députés après que l'Assemblée nationale a voté le report d'une semaine des Régionales et des Départementales aux 20 et 27 juin. Un décalage en forme de rétropédalage, déguisé en compromis, après l’indignation affichée par une partie de l’opposition devant la perspective d’un ajournement de plusieurs mois.
Dans le camp LREM, les avis allaient d’ailleurs finalement plutôt dans le sens d’un maintien aux 13 et 20 juin. Emmanuel Macron lui-même se déclarait finalement favorable au statu quo après une grande consultation auprès des 34.970 maires.
Opération sauvetage
Le week-end dernier, 56% des édiles avaient affirmé préférer un maintien. Cette position a perturbé les plans du gouvernement et du président de l’Assemblée nationale, Richard Ferrand. Lequel avait milité en faveur d’un vote en octobre. En effet, le Conseil scientifique, consulté par le gouvernement, ne s’était pas positionné clairement sur la nécessité ou non d’un report, laissant le pouvoir dans l’embarras.
Le débat s’est donc prolongé le 13 avril sur les bancs de l’Assemblée nationale. Là, le désaccord était encore plus marqué. L’hémicycle soutenant la date initiale par 443 voix contre 73 et 13 abstentions.
Emmenés par les maires LR de Nice, Christian Estrosi, et de Reims, Arnaud Robinet, les rares partisans d’un scrutin repoussé à l’automne soutenaient que la campagne électorale risquait d’être parasitée par la crise sanitaire. Ils disaient redouter des contaminations massives. Comme lors des dernières municipales, dont le second tour avait dû être fortement décalé.
Toutefois, la grande majorité de la classe politique voyait dans ce report un aveu d’impuissance de la part d’un exécutif effarouché par la perspective d’une débâcle. Beaucoup disaient même redouter que le pouvoir se mette à jongler avec les dates des scrutins en fonction des aléas de la conjoncture!
Le président du Sénat Gérard Larcher assurait en tout cas qu’il saisirait le Conseil constitutionnel en cas de report du vote.
«La date d'une élection ne se décide pas en fonction des opportunités. Le Président nous a annoncé la réouverture des écoles le 26 avril et on ne pourrait pas voter le 13 et le 20 juin?» déplorait-il sur LCI.
Le déplacement du scrutin d’une semaine relève d’une simple opération «sauver le soldat Ferrand» ironise Christian Jacob. «Certes, ce n’est qu’une semaine, mais une semaine de campagne supplémentaire, une semaine de vaccination en plus, soit au moins deux millions de personnes vaccinées. Cela compte!» a plaidé, de son côté, Jean Castex.
Enjeux de taille
Ce qui est qualifié de «pataquès» par l’opposition pourrait laisser des traces et peser dans l’organisation de la Présidentielle dans un an. Mais l’impact des résultats du 27 juin se fera sentir à une plus grande échelle.
En effet, une déconvenue pour LREM pourrait handicaper le parti présidentiel, lequel aurait du mal à se refaire une santé dans un laps de temps si court. Une question sérieuse puisque certains cadres du parti –son président Stanislas Guerini en tête– réfléchissent à une stratégie présidentielle occultant l’étiquette En Marche. À droite aussi, les résultats des Régionales pourraient donner le ton pour 2022. Ainsi, Xavier Bertrand, candidat déclaré à la magistrature suprême, et Valérie Pécresse, pressentie pour concourir sous la casaque LR, s’engagent à quitter la vie politique et donc à renoncer à la Présidentielle en cas de défaite dans leurs régions respectives.
«Si les Franciliens pensent que je peux être le rempart qui les protège, ils voteront pour moi, s’ils pensent que quelqu’un d’autre fera mieux le travail, à ce moment-là, ça sonnera effectivement la fin de ma carrière politique», confiait dernièrement la présidente de la région Île-de-France.
Des candidatures à double détente, donc, qui, outre les questions qu’elles soulèvent sur la sincérité de ceux qui les portent, sont un pari risqué pour les partis concernés.
Enfin, certaines alliances pourraient également voler en éclats plus tôt que prévu et peser définitivement sur le vote de 2022. Le Modem, allié de la première heure d’Emmanuel Macron s’est, pour la première fois du quinquennat, positionné contre la majorité, votant contre le maintien des régionales en juin. Une prise de distance symbolique en guise de message? Au parti, on l’assure, cela n’a rien de politique. «Nous avons vu deux risques, un risque sanitaire et un risque démocratique, et nous avons eu une cause, celle d'un report dans le temps», clame François Bayrou. À un an de la présidentielle, l’ancien candidat devrait pourtant le savoir: chaque décision peut faire l’objet d’interprétations diverses et… se retourner contre celui qui l’a prise.