À écouter les Français, la délinquance n’en finirait pas d’augmenter. Cette année, ils seraient ainsi 71% à observer une hausse de l’insécurité, selon l’IFOP. Une inquiétude généralisée qui, selon Laurent Lemasson, docteur en droit public et responsable des publications de l’Institut pour la justice, reflète «correctement» la réalité:
«La sécurité est dans le top 5 des préoccupations des Français depuis bien longtemps et leur perception correspond évidemment à une réalité», avance-t-il avant de préciser: «L’insécurité n’est pas toujours visible dans les chiffres qui ne montrent qu’une partie du phénomène, celui-ci n’étant pas toujours quantifiable.»
A contrario, pour Véronique Le Goaziou, sociologue spécialisée dans les questions liées à la délinquance et chercheuse au CNRS, bien qu’existante, l’insécurité subit un effet de surexposition qui la rend omniprésente dans les esprits.
«Le discours ambiant donne souvent l’impression d’être dans un pays à feu et à sang. Il y a eu quelques événements traumatisants cette année, toutes les rivalités entre bandes, l’histoire de cette fille tuée par ses camarades de classe,… dès lors que ces histoires tournent en boucle, elles contribuent à l’aggravation ou à l’éclosion du sentiment d’insécurité, c’est assez classique», observe-t-elle.
Un avis identique à celui du garde des Sceaux, lequel affirmait en septembre: «L’insécurité, il faut la combattre, le sentiment d'insécurité, c'est plus difficile, car c'est de l'ordre du fantasme». Un sentiment nourri selon lui par «les difficultés économiques», «le Covid» et «certains médias» comme les «chaînes d'infos continues».
La confiance en la justice entachée
Le sondage pointe pourtant une réponse insuffisante des pouvoirs publics, qui serait même le cœur du problème de l’insécurité.
Réalisée pour CNews et Sud Radio auprès d’un échantillon représentatif de 1.013 personnes, l’enquête s’intéresse en effet aux exigences des Français en matière de sécurité et de lutte contre la délinquance.
Y transparaît la volonté nette d’un système judiciaire plus strict. À la question «parmi les actions ou mesures suivantes, quelles sont celles qui vous sembleraient les plus efficaces pour lutter contre la délinquance?», les réponses les plus données concernent l’instauration de mesures plus radicales. Près de la moitié des sondés se sont ainsi montrés favorables à la suppression des aides (logement, allocations, etc.) pour les familles de mineurs délinquants multirécidivistes, ainsi qu’à l’expulsion des délinquants étrangers après avoir purgé leur peine.
L’efficacité des forces de l’ordre semble également remise en cause, avec seulement 8% des sondés réclamant avant tout l’augmentation des effectifs de police sur le terrain.
«Le problème est en effet majoritairement du côté de la justice, et l’État en est directement responsable», tacle Laurent Lemasson avant d’asséner: «On observe chez une partie de la magistrature, chez les gardes des Sceaux, notamment depuis Taubira, une préoccupation pour la défense des délinquants. Quand vous entendez leurs déclarations, que vous observez leur politique carcérale, vous avez le sentiment que l’on n’a pas forcément envie de vous protéger.»
Pour Véronique Le Goaziou, ces «poncifs classiques» ne sauraient refléter la réalité: «La justice traine avec elle cette étiquette de laxisme depuis plusieurs années maintenant, mais elle n’est pas une machine qui, dès lors que l’action est commise, va actionner la peine», entend nuancer la sociologue. Aussi, affirme-t-elle que les attentes du public face à la violence correspondent souvent aux propositions politiques du moment, voire aux idées en vogue: «La suppression des aides, par exemple c’est en pleine actualité, ça vient d’être voté au Sénat dans le cadre de la loi séparatisme». L’impression d’une hausse de la délinquance serait donc en partie contextuelle.
Et dans les faits?
Il en reste tout de même que, pour 71% des Français sondés par l’IFOP cette année, la violence continuerait de croître. Pourtant, celle-ci a bel et bien diminué, à en croire les chiffres du ministère de l’Intérieur… même si le phénomène s’explique.
En effet, en raison de la pandémie et des mesures restrictives, «la plupart des indicateurs de la délinquance enregistrée par les services de police et de gendarmerie reculent fortement en 2020», rapporte la place Beauveau. Seule exception, les viols (+11%) et les violences intrafamiliales (+9%) qui ont augmenté pour la troisième année consécutive. L’apparente accalmie de la violence serait donc à prendre avec nuance.
Quoi qu’il en soit, la peur des citoyens n’est pas pour autant irrationnelle, notamment en raison de la médiatisation de faits divers parfois très violents, note Véronique Le Goaziou.
«La délinquance et le sentiment d’insécurité peuvent être décorrélés. Les statistiques dont on dispose peuvent mettre en évidence une délinquance qui n’augmente pas, mais, en raison d’un malaise, une explosion de la violence peut être ressentie. Et puis celle-ci a toujours eu un côté spectaculaire qui marque.»
Laurent Lemasson reconnaît, lui aussi, un écart entre les statistiques et le sentiment majoritaire des Français sur la question. En insistant toutefois sur l’incapacité des statistiques à refléter la réalité. Aussi, des faits pas si divers, aux incidences minimes dans les chiffres de la délinquance, nourrissent-ils selon lui durablement un sentiment d’insécurité parfaitement justifié, jusqu’à modifier les comportements de la population: «Il suffit d’un fait, le chauffeur de bus battu à mort à Bayonne pour avoir réclamé le port du masque à des jeunes par exemple, pour que les gens en déduisent qu’il vaut mieux ne pas s’exposer aux mêmes risques. Dans les faits, cela ne se verra pas, il y aura eu un seul mort, mais l’impact est réel». Ainsi, les Français en viennent-ils par exemple à adopter des «procédures d’évitement» des zones dangereuses.
«Trois choses nourrissent le sentiment d’insécurité», explique Laurent Lemasson: «Il y a d’abord tous ces non-respects des règles de la vie commune et qui marquent une perte de confiance chez les citoyens. Deuxièmement, les violences urbaines, dont on trouve des cas tous les jours dans les journaux, tout comme le fait d’être exposé à certaines "zones de non droit". Enfin, la perception que les autorités ne répondent pas à cette demande de justice et de sécurité.»
Si la délinquance est loin d’être la seule cause d’inquiétude des Français, elle risque néanmoins de peser lourdement dans la campagne présidentielle qui se prépare. Chiffre significatif, la politique sécuritaire d’Emmanuel Macron n’est jugée positive que par 26% des sondés de l’IFOP (contre 41% en avril 2018). Un pourcentage qui accrédite davantage l’idée d’une perte de confiance en la justice.