Loi séparatisme revue et corrigée par les sénateurs de droite: «Avec des demi-mesures, on ne règle pas les problèmes»

La majorité sénatoriale de droite entend durcir le projet de loi contre le séparatisme, en adoptant une série d’amendements très critiqués par la gauche. Pour le sénateur LR Marc-Philippe Daubresse, ce projet de loi est crucial, tant il redéfinira la laïcité pour les années à venir.
Sputnik

650. C’est le nombre d’amendements déposés en commission des lois par les sénateurs pour le projet de loi confortant les principes républicains (ex-loi contre le séparatisme).

«Nous voulons montrer que nous pouvons construire des dispositifs bien plus efficaces à partir de cette loi», plaide le sénateur LR Marc-Philippe Daubresse au micro de Sputnik.

La droite étant largement majoritaire au Sénat, un certain nombre de ces amendements ont d’ores et déjà été adoptés en séance. Presque tous ces apports se traduisent par des interdictions: interdiction du «port de signes religieux ostensibles» dans les compétitions organisées par les fédérations sportives, interdiction de l’exercice du culte à l’université (à l’exception des aumôneries), interdiction des «actions de prosélytisme ou de propagande de nature à perturber les activités d'enseignement et de recherche», interdiction des listes communautaires aux élections étudiantes, ou encore interdiction des «prières dans les couloirs» à l’université.

Un texte «qui redéfinit la laïcité à la française pour les années qui viennent»

De fait, les amendements introduits par la Chambre haute risquent fort d’être révisés par les députés à l’issue de la navette parlementaire. Les négociations s’annoncent âpres entre élus de l’Assemblée et du Sénat, qui se réuniront en commission mixte paritaire à la mi-mai. «Sur un texte aussi important, qui redéfinit la laïcité à la française pour les années qui viennent, l’intérêt du gouvernement est de trouver les voies d’un accord avec la majorité sénatoriale», veut croire Marc-Philippe Daubresse. Mais le sénateur du Nord n’est pas dupe et admet qu’«il y a de vrais points de clivage entre la majorité présidentielle à l’Assemblée et la majorité sénatoriale» sur la lutte contre le séparatisme et l’islam politique.

«La loi contre le séparatisme, telle qu’elle est présentée, est une loi de demi-mesures: c’est du “en même temps”! Avec des demi-mesures, on ne règle pas les problèmes», tacle Marc-Philippe Daubresse.

D’ailleurs, certains apports des sénateurs n’ont pas manqué de provoquer un tollé dans les travées. Ainsi, les pensionnaires du palais du Luxembourg ont rejeté un amendement porté par le sénateur Jérôme Bascher (LR) visant à interdire le port du voile, ou de tout signe «ostentatoire», à l’université. Une mesure qui avait suscité l’indignation de la gauche, et à laquelle le gouvernement était opposé lui aussi.

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L'interdiction du port du voile pour les mères accompagnatrices lors des sorties scolaires ainsi que pour les jeunes filles de moins de 18 ans dans l’espace public a fait sauter au plafond une partie de la gauche. «Qu’avez-vous contre les musulmans? Je veux savoir. Quand ce n’est pas le voile, c’est le burkini. Quand ce n’est pas cela, c’est le hallal. Quand ce n’est pas le hallal, c’est autre chose», a protesté Esther Benbassa, sénatrice Europe Écologie-Les Verts. «Nous ne pensons pas que la laïcité doive conduire nécessairement à écarter de l'espace public toute forme d'expression religieuse et c'est un sénateur athée qui vous le dit», a fulminé de son côté Pierre Ouzoulias, sénateur CRCE, à majorité communiste.

Une supposée stigmatisation des musulmans que rejette en bloc Marc-Philippe Daubresse: «Il faut systématiquement faire la différence entre l’islamisme radical, idéologie terroriste qui refuse les valeurs de la République, et la grande majorité des pratiquants du culte musulman qui s’inscrit pleinement dans le respect de nos principes.»

Risque d’«inconstitutionnalité»

Reste que la constitutionnalité des amendements en question est loin d’être garantie. L’élu nordiste le reconnaît:

«Pour ce qu’il en est de la constitutionnalité de ces amendements, deux questions se posent. D’abord, celle de la nécessité: on peut facilement argumenter, compte tenu de l’évolution du terrorisme islamiste sur cette question. Ensuite vient la proportionnalité: les dispositifs présentés sont-ils proportionnels au danger encouru? Sur ce point-là, il y a effectivement sur deux ou trois arguments phares des risques d'inconstitutionnalité.»

Deux mesures en particulier pourraient bien être retoquées par le Conseil constitutionnel, quand bien même elles survivraient à un second passage au Palais-Bourbon. Le sénateur LR des Hauts-de-Seine Roger Karoutchi a ainsi déposé une disposition visant à proscrire la délivrance ou le renouvellement de titres de séjour aux étrangers qui rejetteraient «manifestement les principes de la République». «Le contour juridique est totalement imprécis, qui dit imprécis dit possibilité d’arbitraire», a répliqué la sénatrice socialiste Marie-Pierre de La Gontrie. Du côté du gouvernement, Marlène Schiappa, ministre déléguée à la Citoyenneté, a émis des «réserves» sur la constitutionnalité de cet amendement, même si elle ne le rejette pas. «Se pose à notre humble avis la question de la caractérisation du degré de rejet des valeurs de la République. Ça nous semble difficile et nous expose à un risque constitutionnel.»

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L’autre amendement potentiellement problématique d’un point de vue juridique concerne la possibilité de suspendre les allocations familiales en cas d’absentéisme scolaire. «Le premier respect des principes de la République, c'est d'aller à l'école de la République», a souligné le député LR Jacques Grosperrin. Le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, a expliqué comprendre «l’intention», mais dit vouloir «appliquer le droit existant». «Il y a un point que je partage, c'est le respect de l'obligation scolaire», a-t-il néanmoins concédé.

Si Marc-Philippe Daubresse salue le «très beau discours contre le séparatisme» prononcé par Emmanuel Macron le 2 octobre dernier aux Mureaux, «qui expliquait à juste titre qu’on avait changé de société avec des ferments de terrorisme et d’islamisme radical sur notre sol», le sénateur LR estime que la loi telle qu’elle a été présentée aux parlementaires a été vidée de sa substance.

«Le problème, c’est que vous passez systématiquement par la moulinette de la haute administration qui vous explique par a + b que ça peut poser des problèmes constitutionnels. Si on veut vraiment restaurer l’autorité de l’État, avoir de vrais outils pour lutter contre le terrorisme et mieux maîtriser l’asile politique aujourd’hui dévoyé, il faut réformer la Constitution», tranche l’ancien ministre de la Jeunesse de Nicolas Sarkozy.

En attendant une hypothétique refonte de la Constitution, l’examen du projet de loi confortant les principes républicains reprendra ce lundi 12 avril au Sénat.

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