Huit tués et trente-quatre blessés depuis le 21 mars! Le bilan s’alourdit du côté de l’armée vénézuélienne à la suite d’affrontements avec des «groupes armés irréguliers colombiens». C’est ce qu’a annoncé Vladimir Padrino, ministre de la Défense du Venezuela, le 5 avril à la télévision. Dans le camp d’en face, neuf combattants auraient été éliminés et une trentaine d’autres arrêtés. Tous seraient des dissidents de l'ex-guérilla des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), à en croire une «source sécuritaire colombienne» citée par l’AFP. Les escarmouches se déroulent à la frontière entre les deux pays, dans l’État d’Apure, au sud-ouest de Caracas. Ces combats pourraient trahir «une nouvelle tentative d’opération militaire contre le Venezuela» selon Romain Migus, journaliste spécialiste de l’Amérique latine et fondateur du site d’information Les Deux Rives.
Des narcos manipulés par Bogota?
Selon celui-ci, la Colombie a été «le fer de lance de toutes les attaques militaires et financières contre le Venezuela».
«Ce qui se passe en ce moment, à mon sens, est une répétition pour un théâtre d’opérations futur et plus violent […]. Il y a plus de 2.200 kilomètres de frontière commune entre les deux pays, le long d’États très sauvages. Cela facilite les incursions.»
Déclenchée en mars dernier par Caracas à l’aide d’avions, d’artillerie et de blindés légers, l’opération Escudo Bolivariano («bouclier bolivarien») vise à contenir ces groupes de combattants dans l’État d’Apure. Là passe une frontière constituée approximativement d’un «fleuve et d’un pont». Constituée de «grandes plaines», la région est «sauvage, très peu peuplée et hostile». C’est dans ce théâtre «extrêmement difficile» que des groupes irréguliers s’abritent de part et d’autre de la frontière, en fonction des offensives militaires. Il s’agit en particulier de «narcos». Des bandes financées non seulement par le trafic de drogue, mais aussi par l’exploitation de mines clandestines.
Ayant appartenu auparavant aux Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc), l’ancien Front 10 du groupe commandé par Gentil Duarte n’a pas déposé les armes, violant l’accord de paix signé en 2016. Ce groupe a renforcé sa mainmise sur ces zones isolées. Il a été jusqu’à déposer des mines antipersonnel. Voilà pourquoi Nicolas Maduro a demandé ce 4 avril l'aide des Nations unies afin de sécuriser ces «champs de mines». Selon le ministre de la Défense, l'armée a déjà désamorcé seize engins explosifs.
En annonçant la création d’une unité militaire spéciale pour plusieurs municipalités de l’État d’Apure, le ministre vénézuélien a dénoncé des tentatives de déstabilisation de la part de Bogota. À ses yeux, l’installation de narcotrafiquants sur le territoire vénézuélien a pour objectif de déclencher une guerre civile. Les affrontements ont déjà provoqué le déplacement de milliers de civils dans la région! Pour Romain Migus, ces groupes de narcos «facilement achetables et manipulables» en fonction de leurs «intérêts et du laissez-passer de leur chargement» seraient utilisés comme des proxys. Ils collaboreraient de facto avec les autorités colombiennes en vue d’une action armée contre le Venezuela.
Les Contras, bis repetita
Il s’agirait plutôt d’une «répétition de la stratégie des Contras» mise en œuvre au Nicaragua par les États-Unis dans les années 1980. Washington voulait alors renverser le gouvernement sandiniste. Pour financer des groupes paramilitaires séditieux vivant eux-aussi du trafic de drogue, les Américains n’avaient pas hésité à vendre des armes à l’Iran. Ce faisant, ils avaient violé l’embargo frappant Téhéran et… suscité un scandale retentissant.
«En quelques jours de combats, il y a eu huit morts. Le but, c’est d’essayer d’entraîner le Venezuela dans une spirale de guerre et de démoraliser la population.»
Notre interlocuteur en veut pour preuve l’inaction du gouvernement d’Ivan Duque face à ces narcos.
«La moindre chose qu’aurait pu faire le gouvernement colombien, en voyant un groupe de narcos établi à la frontière que l’armée vénézuélienne oblige à fuir en Colombie, c’est de les “choper au vol”. Or il n’y a personne pour les cueillir.»
Déjà en février 2019, le Président du Venezuela, Nicolas Maduro, avait vu l’envoi d’un convoi humanitaire à la frontière avec la Colombie provenant notamment des États-Unis comme une tentative de renversement. D’autant que Washington avait reconnu Juan Guaido Président par intérim, un mois plus tôt.
En mars 2020, Donald Trump offrait 15 millions de dollars pour la capture de l’héritier de Hugo Chavez. Deux mois plus tard, l’opération Gedeon obtenait le même résultat que la baie des Cochons contre Cuba. Parti de Colombie, un commando d’aventuriers dirigé notamment par deux Américains s’est fait piteusement arrêter le 3 mai par les forces armées vénézuéliennes. Depuis, la situation politique n’a pas changé. Nicolas Maduro est toujours aux commandes du pays. Quant à Guaido, il continue de briguer la magistrature suprême, malgré une perte objective de crédibilité.
Pour Diego Molano, ministre colombien de la Défense, c’est au contraire le gouvernement de Nicolas Maduro qui serait de mèche avec certains groupes dissidents des Farc. Dans un entretien accordé au journal El Tiempo, il livre des accusations non voilées: «L’objectif des opérations n’est pas la protection des frontières, c’est la protection du trafic de drogue.» Des allégations rejetées par le Venezuela. Le chef de la diplomatie à Bogota a également appelé au respect des populations civiles d’Apure et de l’État limitrophe colombien d’Arauca. Alors que la nouvelle Administration américaine impose au Venezuela de sévères sanctions, les liens entre Caracas et Bogota, allié traditionnel de Washington, sont «extrêmement mauvais», rappelle Romain Migus. Les deux voisins n’entretiennent d’ailleurs plus de relations diplomatiques officielles depuis la reconnaissance de Juan Guaido par la Colombie. C’est Jorge Arreaza, ministre vénézuélien des Relations extérieures, qui l’a annoncé ce 6 avril: Caracas va demander à l’Onu de faciliter des négociations bilatérales visant à résoudre ces tensions.