Téhéran veut ouvrir le dialogue avec Riyad, mais «l’Arabie saoudite voit en l’Iran un danger qui menace son existence»

Téhéran réitère sa proposition d’ouvrir un canal de communication privilégié avec Riyad. Une suggestion qui a peu d’avenir, estime Riadh Sidaoui. Au micro de Sputnik, le spécialiste du monde arabe revient sur les griefs nationaux et régionaux qui font que l’Arabie saoudite devrait, comme à son habitude, repousser cette main tendue.
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Riyad voudrait une place à la table des nouvelles négociations sur le nucléaire iranien qui débutent à Vienne ce 6 avril.

«L’Otan arabo-israélienne», perçue par Téhéran «comme une agression», attiserait les tensions dans la région
Problème: certains acteurs, et l’Iran en particulier, ne l’entendent pas de cette oreille. «Je regrette que Riyad n’ait pas encore développé le courage de dialoguer en dehors du domaine des puissances transrégionales. Riyad se tourne toujours vers des capitales en dehors de la région», a ainsi répondu à Fars News Agency le porte-parole du ministère des Affaires étrangères iranien, Saeed Khatibzadeh, ce 5 avril.

Éloigner Riyad de Washington

Téhéran n’a toutefois pas balayé la doléance saoudienne d’un revers de main. L’Iran a en effet réitéré une astucieuse proposition: ouvrir un canal de discussions diplomatiques direct entre les deux puissances, afin de régler les problèmes locaux… localement. Une proposition qui obéirait à des objectifs précis:

«Quand l’Iran parle de relation bilatérale, c’est aussi pour éloigner Washington de Riyad», explique Riadh Sidaoui, directeur du Centre arabe de recherches et d’analyses politiques et sociales (CARAPS): «Que dit Téhéran? “Il ne faut pas qu’on laisse les étrangers, en l’occurrence les États-Unis, voire Israël, s’immiscer dans nos relations et nos conflits.”»

Bien sûr, ce n’est pas la première fois. Régulièrement, «Téhéran rappelle à l’Arabie saoudite que les deux pays sont voisins et musulmans et qu’il faut qu’ils règlent leurs problèmes directement et de manière pacifique

Ces deux puissances régionales partagent de nombreux socles identitaires et religieux. Dans les deux pays, les deux branches principales de l’Islam, sunnite et chiite, sont fortement présentes. Historiquement également, ces deux pays se sont souvent trouvés dans des empires communs.

MBS, l’américanophile

La stratégie iranienne a pourtant peu de chances de réussir, estime directeur du CARAPS. Les deux pays restent des adversaires. Riadh Sidaoui considère même que, d’un point de vue chronologique, les deux pays n’ont jamais été aussi loin de rouvrir des canaux de communication diplomatiques:

«Avant, il y avait un certain rationalisme des sages saoudiens. Aujourd’hui, le prince héritier Mohamed ben Salmane est très agressif vis-à-vis de l’Iran. Il a laissé savoir à maintes reprises que l’ennemi juré, c’est l’Iran.»

Bien plus occidentalo-compatible que son père, le jeune prince héritier MBS ne rate jamais une occasion d’afficher son hostilité envers la République islamique iranienne et ses dirigeants depuis qu’il est aux commandes effectives du pays.

Trump, Israël et le Yémen

En 2017, alors fraîchement nommé prince héritier, MBS expliquait dans un entretien pour le New York Times que l’Ayathollah Ali Khamenei, figure politico-spirituelle la plus importante d’Iran, n’était autre qu’un «nouvel Hitler». En 2019, dans un contexte régional tendu, une source militaire révélait au Figaro que MBS avait demandé à ses généraux de lui préparer un plan pour envahir l’Iran. C’est dire l’ampleur de l’hostilité du nouveau prince envers le pays des mollahs.

Pour contrer l’influence iranienne, l’Irak veut jouer des pétrodollars saoudiens
De surcroît, le nouveau dirigeant du royaume saoudien s’est considérablement rapproché des appareils diplomatiques et sécuritaires américains et israéliens durant la présidence Trump, les deux acteurs de la scène internationale les plus hostiles à Téhéran. Ce rapprochement, et l’aide de Téhéran aux soldats houthis que combat l’Arabie saoudite au Yémen, n’a certainement pas aidé à faire remonter le thermomètre des relations entre les deux pays. Riyad voit d’ailleurs d’un mauvais œil les rapprochements de ses alliés avec Téhéran:

«L’Iran a fait des percées dans les pays du Golfe. Il a des relations avec Oman, le Qatar, le Koweït, et même les Émirats arabes unis, avec qui Téhéran a des échanges commerciaux», rappelle Riadh Sidaoui.

Une défiance qui trouve son origine dans la crainte du royaume à l’égard de l’Iran: «L’Arabie saoudite voit en l’Iran un danger qui menace son existence. Et ce, à cause de la population chiite du royaume», analyse-t-il.

Menace intérieure chiite

10 à 15% de la population saoudienne est en effet de confession musulmane chiite. Une portion importante de la population qui donne des sueurs froides au gouvernement central depuis 1979 et la révolution islamique.

«Les relations entre le pouvoir et la communauté chiite sont très tendues en Arabie saoudite, notamment après l’exécution du cheikh chiite Nimr Baqr al-Nimr [un ayatollah influent mis à mort le 2 janvier 2016, ndlr]. Il y a donc une crainte permanente à Riyad de voir cette population de soulever d’une manière ou d’une autre», analyse Riadh Sidaoui.

D’autant que, «la partie de l’Est de l’Arabie saoudite est composée en grande partie de chiites, et c’est dans ces régions que l’on trouve le plus de pétrole», conclut-il. Difficile donc d’imaginer les lignes bouger, même avec le changement d’Administration américain, plus favorable aux négociations avec Téhéran.

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