Donations entre générations moins taxées: «ce gouvernement sert les rentiers, la fainéantise»

Bruno Le Maire a annoncé que la mesure fiscale qui doit permettre de faciliter les donations entre générations ne portera que sur «quelques milliers d’euros» pour ne pas bénéficier aux seuls ménages les plus aisés. Pas de quoi convaincre l’économiste Dany Lang, qui estime à notre micro qu’il s’agit «une fois de plus» de favoriser les plus riches.
Sputnik

«Zéro taxe, zéro impôt, quelques milliers d’euros, pas plus, il ne s’agit pas de faire sauter les plafonds et de faire une politique qui pour le coup bénéficierait uniquement aux catégories les plus aisées de la population française.» Récemment invité de France info, le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, a livré quelques informations sur le coup de pouce qui doit alléger la fiscalité s’appliquant aux donations entre générations.

​Le but? Inciter les Français à transmettre une partie de la colossale épargne accumulée durant cette crise du Covid-19. D’après la Banque de France, ce ne sont pas moins de 200 milliards d’euros qu’ont mis de côté les Français en 2020, contre 130 milliards d’ordinaire. Et les mesures de restrictions sanitaires en place depuis le début de l’année ont fait que les Français ont commencé 2021 avec les mêmes dispositions. Un tel trésor de guerre intéresse fortement l’exécutif, qui lorgne sur ce qu’il considère comme un carburant pour la reprise économique.

«Un nouveau cadeau fiscal»

Mais la mesure annoncée par Bruno Le Maire soulève de nombreuses critiques, notamment à gauche, ses opposants estimant que ce coup de pouce fiscal est un cadeau aux plus riches. C’est également le cas de Dany Lang, membre des Économistes atterrés et enseignant à l’université Paris XIII.

«Bruno Le Maire sait que ce sont les ménages aisés qui ont majoritairement épargné durant cette crise et que c’est eux qui vont profiter de cette mesure», assure-t-il au micro de Sputnik.

«Permettre à des grands-parents de soutenir leurs petits-enfants, de soutenir les jeunes qui sont ceux qui ont probablement le plus souffert de cette crise économique et de cette crise sanitaire, ça me paraît juste», a quant à lui plaidé Bruno Le Maire. Pas de quoi convaincre Dany Lang:

«Il dit vouloir aider les jeunes. Mais encore faut-il que ces jeunes aient des familles assez aisées pour qu’elles puissent procéder à ce type de transfert. D’autant plus que la probabilité objective que ce soit ces jeunes-là qui aient été le plus touchés par la crise est faible.»

«C’est une fois de plus une manière de favoriser les couches les plus aisées de la population et de leur faire un nouveau cadeau fiscal», ajoute-t-il. Le Maître de conférences en économie à l’Université Paris XIII rappelle plusieurs mesures mises en place depuis le début du quinquennat d’Emmanuel Macron. Notamment la «flat tax» ou «Prélèvement forfaitaire Unique», une taxe de 30% qui s’applique à la plupart des produits financiers. Cette mesure a été très critiquée par l’opposition, qui y a vu un cadeau fait aux plus riches qui se retrouveraient gagnants par rapport à la législation précédente.

​Autre mesure phare controversée voulue par le locataire de l’Élysée: la suppression de l’Impôt sur la fortune (ISF), remplacé par un Impôt sur la fortune immobilière (IFI). Là encore, plusieurs partis d’opposition, notamment à gauche, réclament son retour.

«On a quand même affaire à un gouvernement et à un ministre de l’Économie qui ont fait en sorte que le capital soit beaucoup moins lourdement taxé que le travail. Cela montre une fois de plus que ce gouvernement préfère les rentiers aux actifs et aux travailleurs.»

Pour Dany Lang, le dernier «coup de pouce fiscal» annoncé par Bruno Le Maire s’inscrit dans cette volonté politique.

«Les taxes sur l’héritage ont pour but d’éviter l’accumulation des patrimoines. D’un côté, vous avez un Président qui ne cesse de mettre en avant la valeur travail et l’activité, pendant que le gouvernement tape sur les chômeurs qui n’y peuvent rien tout en faisant le beurre des rentiers. Une fois de plus, ce gouvernement sert la fainéantise.»

Bruno Le Maire s’est défendu de toute volonté de satisfaire les nantis: «donner quelques milliers d’euros à son petit-fils ou à sa petite-fille, pour moi ce n’est pas une politique pour les riches, c’est une politique de justice pour les classes moyennes, pour la solidarité entre les générations.» Et d’ajouter: «quand je dis quelques milliers d’euros, ce n’est pas quelques dizaines de milliers d’euros.»

«L’euthanasie du rentier»

Là encore, Dany Lang n’est pas sensible à l’argumentaire déployé par le patron de Bercy. Pour le spécialiste des dynamiques macro-économiques, il est clair que les choix du gouvernement profiteront «aux rentiers»:

«De célèbres économistes comme Adam Smith, David Ricardo ou Karl Marx étaient opposés à la rente. Ils la voyaient comme une source de revenus totalement stérile, qui n’était pas utile à la société. Keynes, mon économiste favori, était carrément pour l’euthanasie du rentier, donc pour la suppression de l’héritage.»

Le membre des Économistes atterrés assure ne pas être contre la transmission aux enfants d’«une petite épargne accumulée au cours de la vie» ou d’une «maison», mais, en revanche, il se dit «vent debout» contre la proposition de Bruno Le Maire.

​Alors, comment aider au mieux les jeunes en difficulté en ces temps de crise? Dany Lang en est persuadé, c’est d’une «garantie d’emploi» dont ils ont besoin: «Je le préconise depuis longtemps et je l’ai à nouveau rappelé dans une tribune au journal Le Monde en novembre dernier en compagnie d’Aurore Lalucq et Pavlina Tcherneva, l’économiste de Bernie Sanders.»

«Mettre enfin en place le droit à l’emploi qui est prévu par la Constitution ainsi que par la Déclaration universelle des Droits de l’Homme est une nécessité», martèle le keynésien.

Il assure que sa solution est d’autant plus idoine qu’«elle coûte beaucoup moins cher que toutes les inefficaces baisses de cotisations sociales qui ont été effectuées ces dernières années.»

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Au-delà du besoin d’un revenu, Dany Lang met en avant qu’«un travail donne aussi du sens et de la dignité, ce qu’un revenu n’assure pas nécessairement.» D’après les calculs de l’économiste, une telle mesure coûterait 18.000 euros par an et par chômeur. «C’est peu pour une décision qui ferait également baisser le nombre de divorces et la criminalité», ajoute-t-il.

Comment anticipant les éventuels critiques de ses collègues libéraux, Dany Lang prend les devants: «Il ne s’agit pas de rétablir l’URSS. C’est déjà fait à petit niveau en France avec les Territoires zéro chômeur longue durée. Cela avait également été proposé aux États-Unis par Bernie Sanders et c’est en place dans d’autres pays.» L’expert conclut sur un autre avantage de la garantie d’emploi:

«Vous aiderez les jeunes touchés par la crise, mais également les commerçants dont ils sont les clients. Car eux aussi vont être en grande difficulté au sortir de la crise sanitaire.»
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