Dissolution des associations organisant des réunions «en non-mixité»: pas de liberté pour les ennemis de la liberté?

Le Sénat a voté ce jeudi 1er avril un amendement permettant de dissoudre toute association qui organiserait des réunions en «non-mixité» raciale. Si l’objectif est de dissuader les organisations telles que l’UNEF d’y recourir, la mesure pourrait toutefois s’avérer «inconstitutionnelle». Explications.
Sputnik

L’organisation de réunions en «non-mixité» raciale pourrait bientôt valoir une dissolution à l’association ou au syndicat qui s’y risquerait. C’est en tout cas le sens de l’amendement déposé hier au Sénat, adopté à l’unanimité et qui sera intégré au projet de loi «confortant les principes républicains». Présenté ce jeudi 1er avril par Stéphane Le Rudulier, sénateur Les Républicains des Bouches-du-Rhône, l’amendement vise les associations qui «interdisent à une personne ou un groupe de personnes à raison de leur couleur, leur origine ou leur appartenance ou non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée de participer à une réunion».

«Il fallait légiférer car la loi était insuffisante à ce niveau-là», justifie Stéphane Le Rudulier au micro de Sputnik. «L’idée est d’avoir un arsenal juridique le cas échéant: cela fait porter une certaine menace sur les associations tentées d’organiser ce genre de réunions.»

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En cause donc, les réunions «non-mixte» ou en «non-mixité». Celles-ci ont été récemment admises par l’UNEF, le syndicat étudiant, dans ses propres rangs. Très fréquentes dans les milieux féministes, antiracistes et LGBT, ces rendez-vous consistent à exclure les personnes jugées «problématiques» d’une assemblée syndicale ou associative: par exemple, en refusant l’accès à un Blanc si la réunion réservée aux personnes «racisées» (de couleur), ou à un homme si la réunion est réservée aux femmes.

«C’est une forme d’exclusion qui n’a pas lieu d’être», dénonce à notre micro Chantal Deseyne, sénatrice LR d’Eure-et-Loir. «Peu importe que cela soit réservé aux Noirs, aux Blancs, aux boiteux ou que sais-je encore: la mixité doit s’appliquer partout», poursuit l’élue.

«Une menace contre les fondements de notre République»

Récemment, Audrey Pulvar, candidate du Parti socialiste aux régionales en Île-de-France a déclenché une vive polémique en estimant que les réunions en «non-mixité» ne la «choquaient pas profondément». «S'il se trouve que vient à cet atelier une femme blanche, un homme blanc, il n'est pas question de la ou le jeter. En revanche, on peut lui demander de se taire, d’être spectateur ou spectatrice silencieux», lançait ainsi l’ancienne journaliste à l’antenne de BFM TV le 27 mars dernier. Un entre-deux que rejette catégoriquement Stéphane Le Rudulier:

«Les réunions non-mixtes sont surtout dangereuses pour notre vivre-ensemble», avance le sénateur des Bouches-du-Rhône. «Tout le monde est censé pouvoir échanger son point de vue, quelle que soit sa couleur de peau, ses opinions politiques ou religieuses: le fait de cloisonner et de fracturer notre société est une menace contre les fondements de notre République»

Reste que l’amendement adopté par les sénateurs pourrait ne jamais voir le jour en raison d’une possible «inconstitutionnalité» de la mesure. Une crainte qu’a confiée Marlène Schiappa devant les parlementaires hier et que confirme la constitutionnaliste Anne-Marie Le Pourhiet à notre micro.

«C’est un amendement liberticide qui a toutes les chances d’être retoqué par le Conseil constitutionnel», juge-t-elle «Si on considère que les réunions non-mixtes organisées par l’UNEF sont discriminatoires et tombent sous le coup de la loi, il suffit d’aller déposer plainte devant le procureur, et puis c’est tout!»

«On s’en remettra aux neuf sages du Palais Royal. Pour moi, l’inconstitutionnalité n’est pas avérée», argue de son côté le sénateur Stéphane Le Rudulier.

«Logorrhée législative»

Mais au-delà d’une potentielle inconstitutionnalité, Anne-Marie Le Pourhiet fustige un «amendement de communication politique» de la part de la droite. Et pour cause: en vertu de «l’article L212-1 (alinéa 6) du Code de la sécurité intérieure», précise la juriste, «on peut dissoudre par décret en Conseil des ministres une association qui “provoque à la discrimination un groupe de personnes en raison de son appartenance ou de sa non-appartenance à une race, une ethnie, une religion ou une nation déterminée”».

Si le contexte n’a rien de semblable, l’article en question a été utilisé par Gérald Darmanin pour justifier la dissolution du groupe d’extrême droite Génération identitaire.

Conséquence importante toutefois: «il n’y a pas besoin de condamnation judiciaire» pour motiver la dissolution d’une association ou d’un syndicat qui contreviendrait aux principes républicains, explique Anne-Marie Le Pourhiet.

«La droite réagit de manière hystérique et épidermique sur ce sujet. Ils utilisent des gourdins pour écraser des mouches, c’est totalement disproportionné. C’est de la pure logorrhée législative: c’est la chose la plus exaspérante de l’évolution de notre régime! La droite n’a rien trouvé de mieux à faire que de la com’ politique: elle ferait mieux de connaître ses textes», assène la professeur en droit public.

«C’est une lecture pénaliste et non constitutionnaliste du droit», réplique Stéphane Le Rudulier. Pour le sénateur LR, l’amendement est parfaitement justifié en ce qu’il «permet de clarifier la position du Code pénal», lequel sanctionne déjà la provocation à la discrimination raciale. «Le fait que l’UNEF n’organise pas de manière publique ces événements ne permet pas de rentrer dans ce cadre-là. Dans ce cas précis, le Conseil d’Etat aurait probablement retoqué une éventuelle dissolution de l’UNEF», justifie notre interlocuteur.

Anne-Marie Le Pourhiet se dit néanmoins convaincue que la pratique des réunions en non-mixité est parfaitement illégale. «Il suffit prouver que l’UNEF provoque à la discrimination, ce qui me paraît assez évident», tranche-t-elle. «Ne soyons pas caricatural, c’est loin d’être un coup politique: cela offre une option supplémentaire au gouvernement s’il veut prononcer la dissolution d’une association qui contreviendrait aux principes républicains», surenchérit Stéphane Le Rudulier. Plus que jamais, l’étau se resserre autour de l’UNEF, donc.

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