Mesures anti-Covid de Macron: «L’objectif est d’écraser les petits au profit des gros»

Au micro de Sputnik, l’économiste Philippe Herlin juge très sévèrement les mesures annoncées le 31 mars par Emmanuel Macron. Selon lui, l’objectif du gouvernement est de tuer le petit commerce au profit de puissants acteurs. Un plan qui provoquera de nombreuses faillites et rendra l’après-Covid difficile pour beaucoup de Français, assure l’expert.
Sputnik

La facture est salée. En annonçant le 31 mars l’extension de la fermeture des commerces jugés "non essentiels" à partir du 3 avril sur l’ensemble du territoire, Emmanuel Macron et son gouvernement se voient dans l’obligation d’augmenter leur déjà très coûteux soutien aux entreprises. Alors que 90.000 commerces étaient déjà fermés, la dernière décision de l’exécutif en matière de lutte contre le Covid-19 va ajouter 60.000 établissements à la liste.

​Dorénavant, ce n’est pas moins de 11 milliards d’euros par mois que le gouvernement devra mettre sur la table. Une somme qui comprend le coût total du fonds de solidarité, du chômage partiel et des exonérations de cotisations sociales, y compris pour certains établissements qui restent ouverts tout en étant impactés par la crise.

«Aucune justification sanitaire»

Au micro de Sputnik, l’économiste Philippe Herlin qualifie les annonces d’Emmanuel Macron de «scandaleuses»:

«Il n’y a aucune justification sanitaire à la fermeture des petits commerces. Ils se pliaient à des normes strictes, notamment sur la distanciation. J’ai constaté moi-même à plusieurs reprises que les commerçants jouaient le jeu, avec des personnes qui contrôlaient le nombre de clients dans le magasin, etc.»

À l’instar de nombreux observateurs, l’auteur de Pouvoir d’achat: le grand mensonge (éd. Eyrolles) rappelle que de nombreux Parisiens prennent tous les jours le métro. «Il est totalement aberrant de fermer les magasins», martèle-t-il.

En se défendant de tout complotisme, le docteur en économie du Conservatoire national des arts et métiers assure que le gouvernement a un but non affiché:

«Beaucoup de gens soulignent l’incohérence des mesures prises par l’exécutif pour lutter contre le Covid-19. Je ne suis pas d’accord. Elles sont, au contraire, tout à fait cohérentes. L’objectif est d’écraser les petits au profit des gros. Et cela porte un nom: le capitalisme de connivence.»

Philippe Herlin explique que les économistes libéraux, dont il se réclame, dénoncent ce «travers» depuis longtemps.

«Il y a une volonté claire du gouvernement d’opérer un transfert de richesses des petits vers les gros. Les GAFAM, le CAC 40 ou le Dow Jones se portent très bien actuellement», note l’expert.

Depuis le début de la crise, de nombreux milliardaires parmi les plus grosses fortunes ont vu leurs avoirs augmenter. C’est notamment le cas de Jeff Bezos, le patron d’Amazon et homme le plus riche de la planète. Il pèse désormais plus de 180 milliards de dollars. En août dernier, son pécule a même dépassé les 200 milliards de dollars. Une performance inédite dans l’ère moderne.

​Quant aux marchés financiers, ils se sont parfaitement remis du krach de mars 2020. Les indices américains volent de record en record. Du côté de la France, le CAC 40 plane de nouveau au-dessus des 6.000 points. Comme avant la pandémie!

Cette opulence tranche avec le sort funeste qui guette les petits commerçants, restaurateurs et autres gérants d’établissements de nuit selon Philippe Herlin:

«Ça va être une hécatombe. Quand on va commencer à pouvoir rouvrir, certains ne seront pas en mesure de le faire.»

Il prend l’exemple des galeries d’art qui étaient jusqu’ici ouvertes avant la fermeture imposée le 19 mars. «En revanche, les salles des ventes continuent leurs activités», dénonce notre interlocuteur. Pour lui, c’est tout sauf un hasard: «Il y a deux grandes maisons de ventes aux enchères, Sotheby's et Christie's. La première a pour actionnaire majoritaire le milliardaire Patrick Drahi et la société mère de la seconde est contrôlée par la famille Pinault.»

«On voit d’un côté ceux qui ont de l’argent et des liens avec le pouvoir. Ils restent ouverts. De l’autre, les petits. Eux sont fermés et perdent du chiffre d’affaires au profit des gros», ajoute Philippe Herlin.

Les 11 milliards que va coûter chaque mois à l’État le soutien aux entreprises sinistrées posent également la question des finances publiques.

«Il ne faut pas raisonner en termes de tableau Excel»

«Entre les pertes de recettes et les dépenses que nous avons engagées pour faire face à la crise, que ce soit pour l’État en matière de dépenses, pour la Sécurité sociale en termes de pertes de recettes liées à la baisse de l’activité, le coût [...] peut être estimé autour de 160 à 170 milliards d’euros», lançait récemment devant le Sénat le ministre délégué aux Comptes publics, Olivier Dussopt.

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C’est ce dernier qui assurait en janvier qu’il fallait que le «quoi qu’il en coûte» cher au Président Macron s’arrête en 2021. Pour le moment, «on en est loin», comme le fait remarquer Philippe Herlin. Or la dette française a atteint en 2020 «son niveau le plus élevé depuis 1949»: 2.650,1 milliards d’euros soit 115,7 % du produit intérieur brut (PIB). Quant au déficit, il s’est creusé à 9,2 %. Là encore, il s’agit d’un record.

Sous la houlette de Jean Arthuis, ancien ministre de l’Économie de Jacques Chirac, la commission pour l’avenir des finances publiques vient de communiquer le résultat de ses travaux au gouvernement. Elle s’inquiète d’un endettement abyssal qui pourrait conduire à l’absence «de marge de manœuvre pour relever les défis de demain, comme celui de la transition écologique ou de la survenance d’une prochaine crise».

«On est tellement dans un délire total avec la planche à billets qui tourne à plein régime du côté de la BCE que l’on pourrait être tenté de se dire: "Ça de plus ou ça de moins, ça ne change pas grand-chose." Le problème tient plus au fait qu’il ne faut pas raisonner en termes de tableau Excel, en disant: "On ferme les commerces, on leur donne 11 milliards par mois et ils pourront redémarrer quand ils rouvriront."»

Philippe Herlin estime que les crédits distribués par le gouvernement ne compenseront pas les pertes des entreprises impactées. «Beaucoup d’entre elles devront compter avec une disparition d’une partie de leur clientèle. Des clients qui auront, à la faveur de la crise, découvert les achats sur le Net, par exemple, pourraient très bien ne pas revenir», analyse l’économiste. Et de réitérer sa mise en garde:

«Une fois que l’économie pourra redémarrer, je pense d’ici à cet été, de nombreux commerces peineront à retrouver les niveaux d’avant crise. Les habitudes des Français auront changé. Il en découlera une série de faillites chez les "non essentiels". Ces disparitions pèseront sur la croissance et sur les recettes fiscales.»

L’expert appelle à ne pas raisonner uniquement à propos de la dette Covid. «Il y aura l’après-Covid et on va le payer encore longtemps», prévient-il.

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