«Je me réjouis de cet amendement. Même si je sais qu’il risque de ne pas être confirmé à l’Assemblée nationale», confie à Sputnik Lydia Guirous, ex porte-parole des Républicains.
Réagissant à l’adoption par le Sénat d’un amendement interdisant le port de signes religieux chez les parents accompagnateurs scolaires, celle qui fut auparavant secrétaire nationale du parti chargée des valeurs de la République et de la laïcité milite depuis plus de six ans contre le foulard islamique dans toute fonction liée à l’éducation.
«J’ai toujours milité pour la neutralité et le respect de la laïcité durant le temps scolaire. Ce respect doit être une obligation pour tous, y compris les accompagnatrices, afin de protéger les enfants de ce signe prosélyte», ajoute l’auteure de Allah est grand, la République aussi (JC Lattès, 2015).
Extension de la loi de 2004 sur le port de symboles religieux dans les établissements scolaires, cet amendement s’adresse cette fois aux «personnes qui participent, y compris lors des sorties scolaires, aux activités liées à l’enseignement dans ou en dehors des établissements».
La société divisée
Interrogé par Sputnik sur sa pertinence, le sociologue Tarik Yildiz, auteur notamment de De la fatigue d’être soi au prêt-à-croire : Lutter contre la délinquance pour combattre le radicalisme islamiste (éd. du puits du Roulle, 2020) se veut plus nuancé.
«C’est un amendement plutôt anecdotique et qui était loin d’être une priorité au regard de l’enjeu qu’est la protection des valeurs républicaines. Cette question n’est que la partie émergée de l’iceberg et j’aurais pour ma part été plus prudent à son sujet», considère le directeur de l’Institut de recherche sur les populations et pays arabo-musulmans (IRPAM).
Rejetée à plusieurs reprises, dont pas plus tard qu’il y a 10 jours par la commission des lois du Sénat, cette proposition avait déjà été formulée en 2019 par les sénateurs LR après différentes polémiques. D’une part, la séquence montrant une mère de famille voilée prise à partie par l’élu RN Julien Odoul, qui avait suscité l’indignation et relancé le débat, d’autre part, l’aveu de Jean-Michel Blanquer qui, tout en ne le jugeant «pas souhaitable» avait rappelé que la loi n’interdisait pas aux femmes voilées le fait d’accompagner les enfants en sortie scolaire.
Si cette fois le voile n’est pas nommément en cause, c’est bien de lui qu’il s’agit en premier lieu et les opposants à cette loi n’ont pas tardé à dénoncer une nouvelle «stigmatisation des musulmans».
«Ce texte peut éventuellement être perçu comme un message disant: tous ceux qui ont une mission de service publique ou assimilée doivent s’y conformer. Mais, en même temps, dans les rues ces femmes voilées sont ce qu’elles sont et ne vont pas changer pour ces sorties scolaires», rétorque Tarik Yildiz.
Ce paradoxe soulevé par celui-ci s’observe également au Sénat, où les convictions sur le sujet sont très partagées. Adopté à 177 voix contre 141, l’amendement a notamment été qualifié de «dangereux» et d’«acharnement législatif» par les sénateurs socialistes. À l'inverse, la grande majorité des députés LR avaient jugé le projet de loi plutôt «tiède» et «mou» lors de son vote à l’Assemblée nationale.
La loi de 1905 en danger?
Au sein même du gouvernement, certains ministres ont exprimé leur désaccord avec une loi qui s’opposerait au principe même de laïcité. C’est le cas du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, qui fustigeait avant le vote un «paradoxe» et rappelait, à toutes fins utiles, le principe de la laïcité comme une «acceptation de la pluralité religieuse» telle que voulue par la loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l’État.
Même son de cloche chez Marlène Schiappa, ministre déléguée à la Citoyenneté. Sur la chaîne Public Sénat, elle s’est opposée à cette disposition, affirmant: «je suis très favorable à deux grands principes: la liberté de conscience et la neutralité religieuse de l’État et des services publics. Je ne crois pas qu’on combatte l’islamisme de cette manière-là, je crois que ce n’est pas souhaitable».
La laïcité se serait donc retournée contre elle-même à force de chasses aux sorcières? Aurait-elle perdu tout son sens? Dans une tribune, l’évêque de Nanterre, Mgr Matthieu Rougé, avertit de ce danger qui pèse sur la France, celui du «contrôle des cultes». Évoquant la fameuse loi de 1905, celui-ci déclare: «les différents cultes, dans leur diversité foncière et historique, y ont progressivement trouvé leurs repères. La priorité est de faire adhérer à ces repères, pas de les faire voler en éclats».
Une conviction que partagent certains défenseurs acharnés de la laïcité telle que la militante Caroline Fourest, laquelle juge «abusif», «inexplicable» ou encore «contre-performant» ce genre de procédés.
Le député LFI de la Somme François Ruffin prenait, lui aussi, appui sur cette loi historique dès 2019 lors des premières propositions. «Je suis pour la loi de 1905, toute la loi de 1905, rien que la loi de 1905. Que les mères de famille, voilées, accompagnent leurs enfants en sortie scolaire, où est le souci?» interrogeait-il.
Pour autant, le sens originel du terme n’est pas esquinté par cet amendement, considère Tarik Yildiz.
«Cet amendement ne va pas jusque-là mais en revanche certaines déclarations autour mettent en danger le principe de la laïcité. Je pense notamment à l’initiative de la charte républicaine pour les imams. Ce n’est pas dans ce projet de loi mais c’est concomitant. Et là, il y a une menace envers le principe fondateur de séparation des Églises et de l’État. Mais sur ce projet de loi en lui-même, on ne peut pas dire qu’il porte atteinte à la loi de 1905, c’est sur le base du volontariat, ces mères ne sont pas obligées de venir», juge l’essayiste.
Si une telle mesure reste donc «républicaine», son efficacité pour la lutte contre le séparatisme - et l’assurance qu’elle ne produira pas l’effet inverse, à savoir accentuer le communautarisme - semble moins évidente.