«Ces signataires sont responsables de la situation actuelle!» accuse le Dr Christophe Prudhomme, après avoir pris connaissance d’une tribune alarmante de ses confrères dans Le Journal du dimanche.
«En particulier le directeur médical de crise [Bruno Riou, de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, AP-HP, ndlr]. C’est lui qui, au mois de mai, a refusé de maintenir ouverts les lits que nous avions mis en place avec le personnel formé durant la première vague», accuse le médecin urgentiste au micro de Sputnik.
Pas de doute: le débat sur la situation hospitalière reprend de plus belle. Ces directeurs médicaux de crise de trente-neuf hôpitaux publics prennent pourtant la parole au nom du «serment d’Hippocrate», qu’ils ne sauraient «trahir» en restant silencieux. Mais ce qu’ils annoncent ne serait rien d’autre que le fruit de leur propre politique menée depuis un an et même davantage.
Un situation catastrophique?
La suppression de lits hôpitaux est en effet dénoncée de manière régulière par une partie de la classe politique et scientifique. Et les faits seraient avérés. Ainsi, selon Le Canard enchaîné, le nombre de lits de réanimation serait passé, en Île-de-France, de 2.500 en mars 2020 à 1.700 un an après. De plus, sur l’année 2019, c’est 3.400 lits qui ont été supprimés selon l’AFP, soit 0,9% de la capacité totale d’accueil.
Si le Dr Prudhomme admet qu’il y a un risque de saturation, il souhaite qu’on en identifie clairement la cause. Selon lui, les responsables sont toujours en poste et continuent de prendre les mêmes décisions malgré la crise, tant Emmanuel Macron que Martin Hirsch (directeur de l’AP-HP) «qui ferme actuellement des hôpitaux» ou encore les directeurs médicaux de crise.
Actuellement, près de 4.900 patients se trouvent en réanimation. Or le nécessaire ne serait pas toujours fait afin d’éviter un tri dramatique.
L’argument des lits de réanimation qui seraient libres et non sollicités dans le secteurs privé a été soulevé maintes fois. Notamment par l’eurodéputé du Rassemblement national Jordan Bardella. Une affirmation réfutée par l’AP-HP, pour qui le secteur privé prend sa part, ainsi que par le président de la Fédération de l'hospitalisation privée, Lamine Gharbi, mais également par Christophe Prudhomme lui-même.
«Il n’y a pas de lits vides dans le privé. Nous, les urgentistes, travaillons avec les deux secteurs et les capacités sont exploitées. Seulement, les cliniques privées qui cherchent le profit avant tout ne sont pas très équipées en lits de réanimation, qui sont coûteux et moins rentables», rectifie-t-il.
Même chose concernant les places en réanimation qui seraient occupées par des patients ne nécessitant pas d’assistance respiratoire.
«Les critères ont changé depuis le début de la crise, on confond maintenant réanimation et soins intensifs. C’est pour cela qu’aujourd’hui toutes les personnes dites en réanimation ne sont pas nécessairement intubées», poursuit notre intervenant. L’occupation abusive de lits de réanimation ne serait donc pas en cause, la plupart des patients concernés étant en réalité en soins intensifs.
«Il faudra passer à la caisse»
La saturation aura de surcroît un impact dramatique sur d’autres patients. «Les autres maladies pâtissent depuis le début de la crise du tri qui s’opère. 93.000 dépistages du cancer n’ont pu être effectués [en 2020, ndlr] à cause du virus et du manque de prise en charge», rappelle Christophe Prudhomme. Pour lui, la gestion de la crise dans son ensemble laisse à désirer depuis le début. Cela se paye très cher aujourd’hui. Avec l’échec de la vaccination notamment.
«On a un retard colossal de livraisons et, pour des raisons diplomatiques, on refuse certains vaccins qui montrent pourtant leur efficacité. Pendant ce temps, Martin Hirsch ferme des services d’urgence, comme celui de l’Hôtel-Dieu. Il faudra bien finir par passer à la caisse et établir les responsabilités…»
Les signataires de la tribune évoquent une «situation de médecine de catastrophe, où il y aura une discordance flagrante entre les besoins et les ressources disponibles», où il faudra «faire un tri des patients afin de sauver le plus de vies possible. Ce tri concernera tous les patients, Covid et non Covid, en particulier pour l’accès des patients adultes aux soins critiques.» Et d’ajouter qu’une telle situation est inédite en France et que les déprogrammations massives ont bel et bien commencé.
Si tel est bien le cas (à titre d’exemple, déjà près 20% des opérations chirurgicales ont déjà été déprogrammées à l’hôpital Bichat), il serait primordial, selon le Dr Prudhomme, de questionner le fonctionnement de tout un système qui, au bout d’un an, n’a pas pris la mesure de ses erreurs. Résultat, le système hospitalier se trouve dans la délicate situation de désigner les patients qui n’auront aucun accès aux soins.